Le vendredi 8 décembre était le dernier jour donné aux étudiants Dauphinois pour postuler à une mobilité académique à l’étranger l’an prochain. L’un des temps fort de la vie d’un étudiant en licence est son « Erasmus ». A l’université Paris Dauphine, les étudiants en Licence de Sciences des Organisations sont incités à partir au cours de leur troisième année. Pour cela, ils devaient postuler en ligne sur le portail « MoveON », mis en place par l’administration. Cette démarche de candidature était possible du 20 novembre au 8 décembre minuit. Retour sur la dernière journée pour postuler à un « Erasmus ».
Dès le premiers cours à 8 heures 30, le sujet est sur toutes les lèvres. Certains ont déjà validé leurs choix, mais la majorité doute et essaye de s’entraider pour se décider. Déjà, il faut comprendre les ressorts du processus de candidature. Chose étrange, il faut d’abord choisir la licence souhaitée en troisième année parmi Economie Appliquée, Gestion et Sciences Sociales. Dauphine n’a en effet pas les mêmes partenaires en fonction des licences. Pour certains, ça bloque dès cet instant. Clément a l’impression que « on n’a pas eu suffisamment d’information concernant l’orientation, et plus particulièrement les débouchés en master. En plus on doit faire notre choix très tôt, avant même d’avoir postulé une formation l’an prochain d’ailleurs. Je ne comprends pas pourquoi c’est fait comme ça ». Il n’arrive pas à suivre le cours tellement il parait préoccupé.
Il faut choisir une zone linguistique parmi les cinq disponibles. Lily a du mal à choisir entre « la zone lusophone, qui me plait vraiment mais où il n’y a qu’une seule fac possible avec la licence que je demande, et puis la zone hispanophone, ce qui est le choix de la prudence vu le nombre de places disponibles ». Pour certains, le choix est rendu plus facile par leur manque de prévoyance. Le TOEFL est souvent demandé pour les universités anglophones, ce qui pousse certains à abandonner d’emblée l’hypothèse de la zone anglophone. C’est le cas d’Antoine, barbe bien taillée, casquette à l’envers et regard perdu, qui confie dans un couloir du premier étage qu’il « s’y est pris trop tard pour passer le TOEFL. C’est rageant ».
Il est possible de partir soit au premier soit au second semestre, voir même parfois à l’année. Pour Quentin, attaché case en cuir noir à la main et lunettes à fines branches métalliques, la question ne se pose pas. « Je veux partir au premier semestre, comme ça je pourrai passer les concours parallèles d’admission aux Grandes Ecoles au second semestre ». Il repart d’un pas pressé pour aller préparer une présentation de groupe. Antoine est moins utilitariste. « Franchement le second semestre c’est mieux. Tu pars de Paris quand il fait moche, et quand tu reviens t’es en vacances ».
« Quand tu dis que tu parles Hindou tu vas directement à l’oral de Sciences Po »
A midi, nombreux sont ceux qui débattent de leur choix dans le hall central de l’Université. Simon, pas très frais de la veille, explique qu’il hésite à partir à Pune en Inde, parce que « gros tu peux faire des voyages extraordinaires dans toute l’Asie du Sud-Est, et puis t’es immergé dans une culture totalement différente. Ce n’est pas comme si tu partais à Londres ». Son camarade Imad, qui est dans la même association étudiante, lui répond d’un air docte qu’en plus « quand tu dis que tu parle Hindou ça attire l’attention des jurys pour les masters. Avec ça tu vas direct à l’oral de Sciences Po ». C’est que l’Erasmus n’est pas qu’une question de goûts et de couleurs. Pour beaucoup, et notamment ceux issus de milieux moins favorisés, l’échange à l’étranger est un moyen d’écrire une belle ligne sur le CV.
Face à tous ces enjeux, les étudiants essayent de chercher des informations décisives comme ils peuvent. A 15 heures, Benjamin est dans le hall. Il fait partie des irréductibles de cet espace vide et froid entre les pauses. Tout en cherchant un Airbnb à Copenhague pour Noël, il consulte MoveON. Ce moteur de recherche mis en place par l’administration présente formellement les différentes universités partenaires, et notamment les prérequis au TOEFL. Mais Ben n’est pas satisfait. A son goût, « MoveON ne fournit pas assez d’info. Par exemple on ne sait pas combien il y a de place par an, ou le classement de ceux qui l’ont eu les années précédentes. C’est compliqué de se faire une idée des endroits pour lesquels on a le niveau pour postuler ». Sur ce, il utilise Google Street pour visualiser Christiania, « ville libre » d’inspiration anarchiste située dans Copenhague.
« Le choix de l’Erasmus est un choix personnel qui ne dépend pas que du niveau académique des établissements »
Mais les Dauphinois ont un incroyable talent : ils ont mis au point leur propre moteur de recherche. Dauphine Erasmus Exchange, une association qui s’est donné pour mission de faciliter l’intégration des étudiants étrangers en échange à Dauphine, a décidé de créer Erasmoove. Dans le local de « DEE », dont les murs sont tapissés de photos de membres de l’association et de drapeaux du monde entier, Guillaume le président explique son projet. Avec un grand sourire de fierté, il explique que « Erasmoove est né d’un constat de manque d’information concernant les échanges à Dauphine » puisque « le service des Affaires Internationales ne fournit pas assez d’information sur les universités partenaires aux étudiants pour que ceux-ci puissent faire leur choix ». Selon lui, « le choix de l’Erasmus est un choix personnel qui ne dépend pas que du niveau académique des établissements, mais également de la vie étudiante, du coût de la vie, des voyages possibles aux alentours, et de nombreux autres paramètres propres à chacun d’entre nous ». Partant de ce constat, DEE a entrepris de récolter les témoignages des Dauphinois revenus d’Erasmus au moyen d’un questionnaire pour établir une base de données disponible à tous en ligne.
Erasmoove n’est pas une solution miracle. Comme Guillaume le reconnait d’un air penaud, « le problème du volontariat des questionnaires, c’est que du coup on a pas des réponses pour toutes les universités partenaires. Du coup ça peut induire les gens en erreur ». Lily se plaint par exemple que la fac qui l’intéressait à Rio n’est pas présente sur la base de données de l’association.
Le stress est présent
A 16 heures, Ben est toujours dans le hall. Il a trouvé son Airbnb, mais pas sa destination d’Erasmus. Face au temps qui défile, il commence à se référer a des méthodes moins rationnelles. Il pense être sur qu’il veut aller en Asie, mais ne sait pas hiérarchiser différentes universités à Singapour, Seoul et Bangkok. C’est le « pile ou face » qui lui permet de le faire. Antoine est au téléphone avec une fille en troisième année de licence, qui lui parle d’une « douille ». Il existe un fait peu connu qui rend les universités de Rio intéressantes. Il est possible d’y passer ses examens en anglais, ce qui permet à ceux qui comme lui ne parle pas un mot de Portugais de rêver de Brésil. D’un ton assuré et avec le sourire de celui qui a vu la lumière, il annonce que « c’est décidé, c’est pas possible de passer à cote de Rio. En plus la fac est pas loin de Copacabana« .
Alors que Dauphine se vide en fin d’après-midi, la Bibliothèque Universitaire devient le dernier carré des étudiants n’ayant pas encore validé leur choix. Lily dit d’une voix où perce la résignation qu’elle est désormais « presque sûre de vouloir aller à Bogota« . Antoine est très fier d’avoir dégoter une autre « douille »: il est possible d’aller à l’Université d’Ottawa sans pour autant avoir le TOEFL. C’est une fac bilingue anglo-français. Il est 21 heures 45 quand une voix douce annonce dans les hauts parleurs la fermeture imminente de la « BU ». Simon referme son Mac avec rage et annonce « je ne sais pas quoi faire ».
Erwan Cozanet
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