Vivre dans un pays sans comprendre ce qu’il s’y passe, c’est le quotidien de Fatima, Alusia et Farid. A leurs arrivées en France, aucun d’eux ne maîtrisait la langue du pays. Aujourd’hui, ils se battent pour apprendre le français, pour atteindre leur Eldorado : une intégration en France. Cet espoir, ils l’ont confié à l’espace socioculturel de Jean-Moulin.

Le quartier de Jean-Moulin
Il est à peine 15h et le quartier de Jean Moulin, situé au sud de Chelles (77), semble être bien apaisé. La cause, elle se trouve sur la Place : une quinzaine de policiers, insignes dans la main, y rôdent et scrutent les passants. Des courageux osent se présenter face à eux et franchissent les portes d’un bâtiment, annoncé par les pancartes comme « espace socioculturel ». Dedans, c’est un spectacle totalement antinomique par rapport à l’extérieur : Les enfants y courent comme des loups en partie de chasse, et les parents conversent cordialement entre eux. Pour les non-initiés, un espace socioculturel est un lieu d’animations ouvert à tous les usagers d’un quartier, visant à améliorer leur vie quotidienne. Son objectif principal est d’accueillir les habitants et de les informer, tout en leur proposant un tas d’activités. Le prospectus de bienvenue parle ainsi d’« échanges cuisines », d’« atelier brico ludo », ou encore de « sorties familiales à la mer ». Mais la grande force vive de ce centre est l’atelier sociolinguistique, dit ASL, où on y apprend le français.
« Personne ne maîtrise les mêmes règles de jeu ! »
L’atelier sociolinguistique de Jean-Moulin accueille 120 personnes, 7 hommes et 113 femmes, d’horizons bien différentes : Turquie, Pologne, Mali, Guinée, Côté d’ivoire, Congo, Ukraine, Tunisie, Algérie, Maghreb et Sri Lanka. Tous vivent dans le même quartier, mais tous s’expriment dans une langue différente. Cette problématique apparaît aujourd’hui comme un réel fossé pour la vie du quartier. Agnès FENEANT, la directrice de proximité et de citoyenneté de Jean-Moulin, le prouve : « Quand j’étais à la fac, nous (i.e les étudiants) avions fait l’objet d’une expérience particulière : nous avions tous été réunis dans un amphithéâtre pour jouer aux cartes, avec une seule règle : Ne pas parler. On s’est vite rendu compte que le jeu était impossible, puisque les organisateurs avaient préalablement donné des règles différentes à chaque étudiant. Ici c’est pareil, personne ne maîtrise les mêmes règles de jeu ! ». Ainsi, aussi grand est l’espoir bâti dans ces ASL : insuffler une flamme de vie à ce quartier précarisé en donnant aux habitants des règles de vie communes, à commencer par la langue.
Ici, personne n’a l’âge d’être écoliers : les élèves ont en moyenne 50 ans. La plupart ont attendu que leurs enfants quittent la maison. Mais il ne faut pas s’y méprendre, l’ambiance y est aussi studieuse qu’en classe lambda, si ce n’est plus : Le cours de Madeleine, une des 6 bénévoles du centre, vient à peine de débuter, et ces quinze élèves ont déjà sorti leurs affaires à la vitesse d’un éclair. Du bout de leurs stylos, ils lisent les mots qu’ils doivent apprendre à prononcer aujourd’hui. Les plus assidus tiennent dans leur main un cahier et notent tout. Une fois le cours terminé, les élèves ont des devoirs ! Madeleine écrit un lien internet au tableau. Les élèves ayant un ordinateur chez eux doivent regarder la vidéo pour la prochaine fois, les autres ont des exercices écrits à faire. « A mon arrivée en France il y a 10 ans, je n’avais encore jamais tenu de crayons. Je ne suis jamais allée à l’école. Pour mes parents, les filles doivent juste se marier et élever leurs enfants » témoigne Alusia, une marocaine de 57 ans. Pour s’en sortir au quotidien, ils misent sur leur mémoire. Une mémoire hallucinante. « J’ai appris l’ordre des stations de métro par cœur » lance Fatima, une nouvelle élève. Tous sont ainsi d’accord sur un point : ne pas savoir lire ni écrire est un frein à leur intégration.
La vidéo que les élèves devaient regarder chez eux

Exemple d’ un exercice donné aux élèves
« Il ne faut pas s’attendre à des miracles »
Zone d’ombre au tableau : les niveaux apparaissent comme étant bien trop hétérogènes. A un exercice écrit proposé par Madeleine,
« Vous ne pouvez pas aller faire les courses, et souhaitez-vous les faire livrer. Écrivez votre liste de courses. », les réponses au sein de la classe vont de « Pain. Beure. Pouet. » à « Bonjour, j’ai attrapé la grippe et souhaiterais passer une commande à domicile. ». Pourtant, il y a bien un test pour répartir les cours selon les niveaux des élèves : français langue étrangère (FLE) pour ceux qui sont allés à l’école mais qui ne maîtrisent pas la langue, et alphabétisation pour ceux qui n’ont jamais appris à lire et à écrire. Mais avec seulement huit créneaux horaires dans la semaine, les problèmes d’incompatibilité d’emploi du temps se font vite sentir et les niveaux se retrouvent être mélangés. « De toute façon, il ne faut pas s’attendre à des miracles : aussi fort que je le voudrais, on ne peut pas apprendre une langue à un élève qui vient maximum 4h dans la semaine » se désole Madeleine. D’autant plus que tous ne sont pas assidus, vie d’adulte l’oblige. Le nombre d’élèves dépassant la deuxième année en ASL est denrée rare. Sur les 120 inscrits, on dénombre 67 nouveaux. Soit 67 départs. Autrement dit, la plupart parte en ayant à peine acquis les bases rudimentaires du français. « Il y a 10-15 ans, les membres du couple s’arrangeaient entre eux. L’un travaillait et l’autre apprenait la langue. Aujourd’hui, les emplois étant plus précaires, le besoin de trouver un travail vite se ressent davantage. » précise Agnès.

Madeleine et ses élèves
Le centre de Jean-Moulin travaille à la mise en place de cours contextualisés. Par exemple, proposer des ateliers pour aider les parents à suivre la scolarité de leurs enfants ou encore pour trouver un travail et préparer au fameux « DELF« . Ce dernier est un diplôme officiel certifiant les compétences en français des candidats étrangers. Un niveau B1 au DELF permet d’obtenir la nationalité française. Pour faire simple il s’agit du niveau d’un enfant sortant de 3ème. Le DELF est reconnu par les professionnels. Beaucoup se battent ainsi pour obtenir ce « ticket d’or ». Mais plus qu’un lieu d’apprentissage, ces ASL représentent aussi un véritable haras de socialisation pour des habitants souvent isolés à leur arrivée en France. C’était le cas de Farid : « Mon premier employeur en France m’avait demandé qui il devait mettre comme contact d’urgence s’il m’arrivait quelque chose. Je n’avais pu lui donner aucun nom » se remémore-t-il. « Ici, Je ne me sens plus seul. Il n’y a pas besoin de prendre un numéro en entrant, tout est fait pour que les gens se sentent comme chez eux. »
« Notre vision du monde est si erronée »
A la différence des enfants, ces élèves ont déjà acquis leur propre vision du monde et des attentes sur leur avenir. « Il ne faut pas tomber trop vite dans l’analogie avec l’école. La plupart de nos élèves mettent 7 ans pour apprendre à lire. Dès ce moment tout est différent. » clame Véronique, une autre bénévole. Cette dernière se souvient d’un homme venu accompagner sa femme pour la première fois à un ASL. Mais au départ de son mari, la femme s’est enfuie en courant, effrayée par tous ces regards tournés vers elle. « On est très donneur de leçon. On leur dit qu’ils ont de la chance d’être là, mais notre vision du monde est si erronée. C’est effrayant pour eux de venir en France. Peu le font par gaieté de cœurs. La plupart sont des immigrés arrivés en mer sur des radeaux de fortune car chez eux c’est la guerre ou une vie de misère qui les attend. Notre pays des Droits de l’Homme fait froid dans le dos. » proteste Agnès. Aujourd’hui, ils accumulent des emplois précaires dans la restauration, le service, ou le bâtiment, hier, beaucoup étaient ingénieurs ou professeurs renommés dans leurs pays. Un problème dû à la non équivalence des diplômes en France.
« Je me bats pour ce que je crois. Je sais que plus rien ne sera jamais comme avant, tout ce que j’avais construit dans mon pays … c’est fini. Mais je lutte pour ma nouvelle vie. Et cette lutte, c’est mon espoir. J’y arriverais. » proclame Farid. L’espoir, tous le gardent. Ils s’y accrochent, comme on s’accroche à une bouée de sauvetage. La même bouée qu’ils ont déjà tenu il y a 10, 30, 50 ans, pour parvenir jusqu’en en France.
BAYET Marine
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