Une autre voie pour apprendre le tatouage

La popularité du tatouage a fait augmenter le nombre de tatoués mais aussi de tatoueurs. Certains se lancent donc dans un apprentissage. L’apprenti apprendra alors avec un tatoueur référent les rudiments mais aussi l’hygiène. Il existe cependant des apprentis tatoueurs qui ont des parcours totalement différents. C’est le cas de Marishka.

 

C’est dans un petit appartement que Marishka apprend le tatouage. Il est situé au 3ème étage d’un immeuble du 14ème arrondissement. Il est petit, quand on rentre on peut en voir la totalité. A droite la cuisine, à gauche un canapé lit déplié. Au pied du lit se trouve le lieu d’apprentissage de Marishka. Au mur une map monde vieilli.

Cet appartement est le sien, elle ne s’exerce pas dans un salon de tatouage sous l’œil attentif d’un maître d’apprentissage. Elle n’a pas la place pour avoir une pièce réservée. Elle a juste un espace dédié au tatouage en face de son lit. Il y a la place pour une commode, une poubelle, une table d’appoint, un tabouret pour la tatoueuse et un fauteuil pour les clients. La seule fenêtre donne sur la cour de son immeuble. Cela rend la pièce un peu sombre. Sur le fauteuil se trouve un des amis de Marishka, « son cobaye » du jour. Il est allongé sur le fauteuil. Marishka lui a rasé le poignet droit avant d’appliquer le stencil . Ce n’est pas le premier tatouage qu’elle réalise sur une autre personne mais c’est seulement le 4ème. Son ami est déjà beaucoup tatoué, Marishka rajoute une petite branche de feuillage à sa manchette.

Marishka a 28 ans et elle s’est lancée dans une formation de tatoueuse en septembre 2017.

Son parcours commence comme la plupart des aspirants tatoueurs. Elle constitue un portfolio regroupant ses dessins et les présentent à différents tatoueurs. Mais elle ne veut pas décrocher un apprentissage en salon. Elle n’en a pas le temps. Elle cherche dans ces rencontres surtout des conseils pour débuter et savoir si son travail est de qualité suffisante. Par ces rencontres elle décide de se lancer pour de bon. Elle achète son propre matériel et son auto-apprentissage commence et continue chez elle.

Avant d’en arriver à tatouer ses amis,

elle a suivi toutes les étapes de l’apprentissage du tatouage traditionnelle, elle commence à tatouer des motifs simples sur des fruits comme des agrumes. La peau des oranges crée une sensation similaire à la peau humaine pour le tatoueur. Marishka montre alors un de ses premiers tatouages : une fleur simple avec quelques feuilles. Elle l’a tatouée sur un pamplemousse. Tous les traits ne sont pas réguliers et la symétrie n’est pas parfaite mais elle en est contente.

Le premier tatouage de Marishka sur une orange

Un art complexe et minutieux

Aujourd’hui elle est passée aux peaux humaines, la sienne « comme un rite de passage » et sur quelques-uns de ses amis maintenant. Avant de se lancer sur peau, elle a suivi la formation Hygiène et Salubrité dans un hôpital qui est obligatoire pour pratiquer le tatouage en France. Elle sait qu’elle s’est suffisamment améliorée pour que ses amis puissent lui faire confiance. « Alex en est la preuve ».

Après avoir disposé le bras de son ami sur la table, désinfecter une seconde fois ses mains et enfiler des gants, elle démarre son dermographe. C’est le même bruit qu’une fraise chez le dentiste. En plus fort. La conversation est stoppée nette.

 

Aux premiers traits son ami grimace.

Marishka comme tous les apprentis se demande si elle a fait quelque chose de mal, si elle appuie trop fort. Son ami la rassure, le poignet c’est toujours douloureux à cause du canal carpien. Elle redémarre encore plus concentrée malgré le bruit. Elle tend bien la peau de son cobaye. Elle s’y ai fait depuis les quelques que mois qu’elle l’a. Cela lui change du dessin sur papier. Dessinatrice depuis longtemps le tatouage a été un nouveau monde pour elle. C’est plus compliqué qu’un dessin normal, il faut s’adapter à la forme du corps. Tendre la peau tout en tatouant rend l’exercice plus difficile surtout sans l’habitude. Toutes les peaux sont différentes explique-t-elle. Certaines saignent d’autres non, certaines absorbent facilement l’encre d’autres non. Celle d’Alex est parfaite selon elle, pas de saignement et elle absorbe bien. En plus « le papier ne dit jamais aïe ». Elle doit surtout s’adapter à la demande. Marishka n’a plus la même liberté de dessiner ce qu’elle veut. Elle doit écouter son client, bien comprendre ses envies. Mais elle est contente que ses amis lui proposent des dessins pour qu’elle s’entraîne.

Le choix de faire un apprentissage, seule, Marishka le défend.

Artiste depuis longtemps, elle est vidéaste, dessinatrice, musicienne et auteure. Il y a un an, une maison d’édition lui propose un contrat pour la publication de son roman. Elle décide de quitter son travail de pigiste pour un magazine féminin. L’écriture de son roman ne permettait pas d’avoir le temps pour un travail à temps plein. Le tatouage devient alors un complément de revenu pour elle. Cette idée lui vient de plusieurs amis musiciens , qui comme elle, se sont lancés seuls. Elle-même tatouée depuis longtemps, elle reconnaît le tatouage comme un art. Elle y trouve la flexibilité qu’elle y cherchait. Pour l’instant elle n’en tire aucun revenu. Marishka tatoue ses amis gratuitement, faute de clientèle. Elle confie qu’il est difficile de trouver des clients en free-lance, tout se fait par le bouche à oreille. Les apprentis tatoueurs en salon peuvent tatouer des clients de leur maître d’apprentissage. Si le client approuve et sous promesse d’une réduction du prix. Ils bénéficient de la réputation du salon. En indépendant tout ça n’existe pas. Même si elle a dans son appartement  un espace où toutes les normes d’hygiènes sont respectées, certains se méfient. La démocratisation du tatouage a vu naître des scratchers, des tatoueurs sans expérience ni formation d’hygiène qui tatouent à leur propre domicile ou chez leurs clients.

A chaque nouveau trait elle éponge avec du sopalin le surplus d’encre. Au bout de 40 minutes et quasiment autant de feuilles de sopalin, le tatouage est fini. Pour un dessin de cette taille c’est long, très long. Mais Marishka, s’applique comme une bonne élève. Elle fait tout pour maîtriser la vibration de la machine. Cela demande du temps et de l’énergie. Elle crème le tatouage et l’emballe dans de la cellophane. Elle donne alors tous les conseils qu’il faut pour une cicatrisation optimale, comme les pros.

 

Un apprentissage en salon dure en moyenne deux ans avant que l’apprenti puisse se déclarer tatoueur et créer sa propre clientèle. Pour Marishka ça dépendra.

Marie Leclercq

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