L’expérience DAU aura laissé un public mitigé

Des installations lumineuses recouvrent la façade du Théâtre de la Ville à l'occasion de DAU / Crédit photo : Hyle1905, (CC BY-SA 4.0), photo non modifiée

Du 24 janvier au 17 février 2019, un vent de l’Est a soufflé sur la place du Châtelet. Le Théâtre du Châtelet et le Théâtre de la Ville accueillaient tout deux la première mondiale de DAU. Projet intriguant, il n’a pas été à la hauteur des attentes du public.

C’est dans un des trois bars aménagés dans les théâtres de la place du Châtelet que l’on passe la plupart de son temps à DAU. Ici, des clubs sofa en velours  vert qui ne cachent pas leur âge, des tables d’une autre époque et un présentoir recouvrant un des murs. Sur le présentoir, des jouets pour adulte. Trois poupée gonflables accrochées au plafond, une lumières tamisée et « She’s Lost Control » de Joy Division en fond sonore. A l’exception de la grande diversité de vodka que l’on peut goûter pour un prix plus ou moins abordable (les prix varient d’un jour à l’autre, entre 1€ et 7€ le verre), l’expérience ne paraît pas des plus soviétiques. Ce bar est pourtant le plus représentatif du projet du cinéaste à la tête de ce joyeux programme. Témoigner d’une vie privée qui se déroule souvent à l’abri des regards sous l’ère soviétique.

Une projet hors-norme 

A l’origine de DAU, il y a Ilya Khrzhanovsky. En 2004, le cinéaste russe se passionne pour Landau Lev (1908-1968), physicien russe puis soviétique, prix Nobel de physique (1962). Khrzhanovsky fait appel à l’auteur russe Vladimir Sorokine pour écrire le scénario du biopic sur le physicien.


Qui est Ilya Khrzhanovsky, la figure controversée derrière le projet artistique DAU ?


Alors que les premières scènes sont tournées, Khrzhanovsky installe ses bureaux à Kharkiv, en Urkraine. A ce moment, le projet dérive. Dans la ville où Lev dirigeait l’Institut physico-technique d’Ukraine, Khrzhannovsky prend possession d’une piscine désaffectée pour reconstituer l’Institut. Le scénario de Sorokine est abandonné, il s’agit désormais d’observer la comédie humaine dans cet environnement clos. Par ses contacts, Khrzhanovsky convainc des mathématiciens et des physiciens de renom tel que le Chinois Shing-Tung Yau, Médaille Fiels en 1982 de rejoindre le projet.

Pendant trois ans, plus de 400 volontaires vivent dans l’Institut. Ils vivent au rythme des années soviétiques. La structure sociale est reformée avec une attention particulière portée sur les relations entre le « prolétariat » et la « nomenklatura ».

Au sortir de l’expérience, Khrzhanovsky dispose de 700 heures de rushes sur des pellicules 35 millimètres. Il réalise 15 films dont le plus long dure 9 heures. Voyant toujours plus grand, il souhaite une avant-première à Berlin, à Paris puis à Londres. A Berlin, le projet est avorté, la ville n’a pas fourni à Khrzhanovsky les autorisations lui permettant de reconstruire temporairement une partie du mur de Berlin. C’est donc Paris qui reçoit les œuvres du cinéaste russe en premier…


Le mur « artistique » de Berlin ne sera finalement pas reconstruit


 

Foudre des visiteurs

« Une arnaque », « catastrophique » ou encore « déception immense »… Tout au long de l’expérience, les complaintes se sont multipliées sur la page facebook de l’évènement, toujours plus acerbes les unes que les autres. Il n’a d’ailleurs fallu attendre que quelques jours avant que le projet ne soit comparé au tristement célèbre Fyre Festival de Billy McFarland et Ja Rule.


« Fyre » : aux Bahamas, sur les traces du festival fantôme


La faute, en premier lieu, à une logistique douteuse. Initialement prévu le jeudi 24 janvier, l’ouverture du Théâtre de la Ville au public n’a pu finalement avoir lieu que le 25 au soir, faute d’autorisation de la Préfecture de police. Le Théâtre du Châtelet n’a quant à lui pu ouvrir que le 2 février pour les mêmes raisons.

Le VISA Center, lieu où l’on récupère son VISA permettant de visiter l’exposition DAU, niché sur la place du Châtelet, fut lui aussi victime d’une organisation déplorable. Lors de ma première visite, samedi 26 février, plusieurs queues se sont créées sans que l’on ne sache réellement à qui ou quoi elles étaient destinées. Une demi-heure plus tard, mon VISA me revient alors qu’il n’y avait qu’une petite trentaine de personnes faisant la queue et pas moins de 6 hôtesses pour distribuer le fameux sésame.

 

Visa faisant office de ticket pour l’expérience DAU / @ Hugo Simon

 

Une fois à la l’intérieur du théâtre, de nombreuses promesses manquent à l’appel. Les « Dau-phone », téléphones sensés guider les visiteurs pour rendre leur visite plus immersive sont absents. Les films sont diffusés en russe mais les doublages français prévus (réalisés par Gérard Depardieu, Isabelle Adjani, Isabelle Huppert ou encore Monica Bellucci) ont été remplacés par une voix synthétique, unique et monotone.

Alors que les visiteurs se sentaient déboussolés dans ces théâtres aux couloirs sans fin, il en allait de même pour le personnel, souvent peu ou pas au courant des horaires des prochaines projections et des conférences.

Apprécier le moment, ne s’attendre à rien, se laisser surprendre

En parallèle de l’avalanche de critiques sur les réseaux sociaux, le public sur place à l’air d’apprécier l’expérience. Au détour d’une vodka-poivre, on échange sur les projections auxquelles on a assisté. « Il faut apprécier le moment, ne s’attendre à rien, se laisser surprendre » me dit un étudiant d’une vingtaine d’années. Plus tard, un couple apprêté pour l’occasion, lui en officier soviétique, elle, vêtue d’un manteau de fourrure raconte être venu sans attentes. « Sinon, on ne peut être que déçu, ça serait dommage de ne pas profiter d’une expérience si spéciale ». 

Au-delà des promesses excessives, DAU s’est révélée être une expérience plus singulière que révolutionnaire, gâchée par un manque d’organisation.

 

H. S