Dans le village flottant de Kampong Phluk, au nord du Cambodge, le mois de février s’annonce difficile pour les habitants. La baisse du niveau de l’eau de l’immense lac Tonle Sap et la surpêche entrainent une raréfaction du stock de poisson, principal revenu de ces pêcheurs traditionnels qui se retrouvent en difficulté.
Sous la multitude de parasols jaunes et rouges, les stands de poissons, de fruits exotiques et de viandes se succèdent et se ressemblent. Malgré la poussière ocre qui ternit la couleur du lieu, Sorya, 40 ans, évente inlassablement ses bacs de victuailles pour faire fuir les mouches. Tous les matins, après s’être fournie auprès des pêcheurs de Kampong Phluk, elle se rend au marché afin de vendre la marchandise aux locaux. « C’est de pire en pire explique la poissonnière. Je devrais acheter 5 fois plus de poissons mais ils sont plus petits et moins nombreux qu’avant. J’ai peur de ne plus pouvoir continuer à faire le marché ».

Pour rejoindre le village flottant de Kampong Phluk, il faut remonter le chemin de terre rouge qui part de Siem Reap et disparaît dans les eaux troubles du lac Tonle Sap. C’est ici, au milieu des 900 maisons sur pilotis, que les pêcheurs accostent pour livrer les prises, bien que maigres, à Sorya et aux autres marchands. Dans le village, la quasi-totalité du revenu des habitants repose sur la pêche. A l’échelle du Royaume, 40% de la population est dans cette situation.

Si le niveau du lac est trop bas, les poissons ne viennent pas
Habituellement c’est en février que la période de pêche bat son plein pour tous les Cambodgiens. Mais 2020 déroge à la règle. Tous les villageois sont formels : c’est une mauvaise année. « D’habitude l’eau devrait monter à 6 mètres au-dessus du sol explique tristement Virak, un jeune pêcheur. Mais cette année la montée des eaux est arrivée très tard. Et les poissons ne viennent pas si le niveau est trop bas. » En effet, le lac se jette dans le Mékong pendant la saison sèche. Avec l’arrivée des moussons en mai, les pluies diluviennes gonflent le fleuve et inversent le courant de la rivière. L’excédent vient alors se déverser dans les mangroves et fournir aux Cambodgiens près de 100 000 tonnes de poissons chaque année. Mais le Mékong a atteint cette année un niveau historiquement bas : le cours du « grand lac » s’est inversé avec trois mois de retard, conséquence du réchauffement climatique et du nombre croissant de barrages hydroélectriques construits au Cambodge et au Vietnam.

La pêche traditionnelle face à la concurrence déloyale
La baisse du niveau de l’eau n’est pas la seule cause de la raréfaction du principal revenu des habitants. Malgré l’interdiction depuis 2012 de pratiquer la pêche à grande échelle sur le lac, beaucoup de chalutiers font fi de la réglementation. Virak dénonce cette concurrence déloyale : « Ici, on travaille comme le faisaient nos ancêtres. Mais sur le lac certains pratiquent la pêche électrique. Alors oui c’est efficace pour eux mais il ne nous reste plus rien pour vivre » s’écrit le Cambodgien. Sa plus grande crainte ? Ne plus réussir à rembourser son crédit et devoir vendre son bateau. « Mon fils a 8 ans et j’aimerais qu’il continue l’école. Mais à ce rythme on n’aura bientôt plus les moyens ».

La pauvreté sur les berges
À Kampong Phluk, les maisons sur pilotis dominent une vaste étendue de terre rouge infertile dont la poussière vient couvrir les uniformes bleus et blancs usés des écoliers. Sous un soleil de plomb, les grands-parents réparent les coques des bateaux. Les femmes quant à elles finissent la lessive dans l’eau boueuse de la rivière, au milieu de canettes et autres déchets ménagers. Les poissons se faisant de plus en plus rares, la pauvreté gagne du terrain partout dans le village. « À mon époque on gagnait 100 000 riels ( 23€ ) par prise, mais maintenant mon fils gagne seulement 40 000 riels ( 9€ ) » précise Samri, un ancien pêcheur. La misère devient la réalité du quotidien.

Quid du tourisme ?
Les touristes semblent en revanche redonner une lueur d’espoir aux habitants et compenser la baisse des stocks de poissons. La rivière ne désemplit pas de bateaux touristiques. Yeam, père de famille, a abandonné son métier de pêcheur pour se consacrer à ce secteur fleurissant. Chaque jour, il emmène des vacanciers faire le tour du lac sur son bateau à moteur bleu. « Mon grand-père m’a appris à pêcher et moi j’apprendrai à mon fils à conduire des touristes. C’est moins traditionnel mais ça rapporte » plaisante-t-il en ramant. Mais il est inquiet : depuis l’arrivée du Covid-19 en Chine, les globe-trotters se font de plus en plus rares. Un événement qui risque d’avoir de lourdes conséquences sur l’économie déjà fragile du village.

Salomé Ferraris
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