A Franconville (Val d’Oise), le marchand de journaux du centre-ville est le dernier espoir de sociabilité chez les personnes âgées, pour qui confinement rime bien souvent avec solitude.
Sur la grande place commerçante du centre-ville, ce sont les paroles de « I’ll be home for Christmas » de Bing Crosby qui, depuis les haut-parleurs fixés aux réverbères, résonnent entre les bâtiments. Dans la nuit glaciale qui vient de tomber, on est vite aveuglé par les lumières : partout, les guirlandes clignotent, les éclairages affichent « Bonnes fêtes » ou « Joyeux Noël ». Pourtant, il manque désespérément quelque chose à cette ambiance festive typique du mois de décembre : du monde. Car si les enseignes n’ont pas dû passer la clé sous la porte après le confinement, ce sont les habitants qui les ont désertées. Alors pour le moment, Bing Crosby chante sans public.
Un des seuls établissements à être resté ouvert
Dans ce paysage contrasté, le marchand de journaux fait figure d’exception. Au milieu des rideaux métalliques baissés, sa porte grande ouverte apparaît presque comme une bénédiction pour les assoiffés de routine et de sociabilité. A l’intérieur, on est pourtant loin d’être assailli par la foule : il est même très rare que les clients s’engouffrent plus loin que les deux premiers mètres, ou n’y passent plus d’une minute.

Mais il reste qu’entre les brefs « Un Cash, merci » et autres « Deux Blackjack, s’il vous plaît », on en voit certains tenter de faire durer la conversation un peu plus longtemps que d’autres. C’est le cas de Henri, 91 ans. Quand vient son tour de passer devant la caissière, il en profite: « Comment va Sandrine ? Vous passez Noël en famille ? ». Son masque cache ses lèvres alors il sourit avec les yeux.
Henri fait partie de ceux qui sont restés fidèles au poste lors de ce deuxième confinement. Le fait que les marchands de journaux soient restés ouverts a sonné comme un miracle pour lui, qui regrette l’habituelle gaieté d’une ville avec laquelle il a grandi. « J’habite ici depuis toujours, mais je n’ai jamais vécu de Noël aussi triste. Et aussi seul, aussi ». D’habitude, pour les fêtes de fin d’année, Henri rend visite à sa famille dans le sud de la France. Cette année, ce ne sera apparemment pas le cas. « Alors je viens ici m’offrir des cadeaux à moi-même », plaisante-t-il, brandissant le dernier numéro de Ça m’intéresse Histoire.
« Certains sont accro aux jeux, moi, je suis accro aux gens »
Pour Henri comme pour bien d’autres, souvent de son âge, le marchand de journaux est le point de rendez-vous de la dernière chance : souvent seuls, parfois veufs, ils veulent profiter d’un semblant de chaleur humaine. Marie-Luce, 75 ans, a perdu son mari l’année dernière. « Je veux bien rester chez moi. Mais je ne peux pas regarder mon téléviseur toute la journée. Mes enfants travaillent tout le temps. Moi, je veux juste tenir une conversation ».
De l’autre côté du comptoir, la caissière lui lance un sourire compatissant. Cette marchande de 36 ans est maintenant habituée à voir les mêmes visages errer dans ses rayons, en quête de mots croisés mais surtout de mots à échanger. Depuis quelques semaines, elle accepte d’assumer une autre responsabilité que la caisse. « Je suis comme une fille de substitution. Je demande toujours des nouvelles, même si je sais qu’il y en a peu. Parfois leur mémoire leur fait défaut, alors ce sont des conversations très répétitives. Mais le sentiment d’être écouté, ça, ils ne l’oublient jamais ». Appuyée sur sa canne, Marie-Luce acquiesce. « Je viens ici deux fois par semaine, c’est obligé. Il y en a qui viennent ici parce qu’ils sont accro aux jeux. Moi, je n’y peux rien, je suis accro aux gens ».

Dès le 15 décembre, le processus de déconfinement annoncé par le président Macron commencera. L’occasion peut-être pour les uns de renouer avec une certaine routine, et pour les autres, espérons-le, de vaincre la solitude.
JM
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