Depuis, l’annonce d’Emmanuel Macron le 13 mars, le milieu du spectacle est mis à rude épreuve. Entre théâtres fermés, musées et cinémas interdits, comment survit le monde de la culture et des artistes ? Pour répondre à la question, les élèves et professeurs du Cours Florent, école qui forme des comédiens depuis 1967, nous éclairent.
Réouverture des écoles de théâtre
Depuis la réouverture du Cours Florent en septembre, les élèves sont enthousiasmés et débordent d’énergie. Ligne 7, station Crimée, les florentins se rendent rue Archereau, à neuf heures pour débuter 3 heures de répétitions matinales. À peine les portes de l’établissement franchies, la richesse artistique des lieux inonde chaque centimètre carré.
Dans la salle Max Weber, des élèves récitent leurs vers de Molière en boucle et s’échauffent alors que d’autres courent dans les couloirs, moitié maquillés et déguisés. Ils sont à la recherche des collants égarés avant leur passage sur scène.
Le Cours Florent est à lui seul un spectacle vivant où les artistes se perdent et se retrouvent sur les planches du théâtre, fermé depuis bien trop longtemps. « Le plateau devient un endroit privilégié avec la frustration émanant de la crise, monter sur scène est un cadeau précieux. » témoigne Michèle Harfaut, professeur des élèves de deuxième année du cours Florent.
Le directeur général des Cours Florent, Frédéric Montfort, est très optimiste, « les élèves n’ont jamais autant pratiqué d’efforts pour apprendre à jouer ».
Il a observé que la crise a fait murir ses élèves et les a poussé à davantage lire. Le premier confinement a empêché les élèves de monter sur scène pendant près de 6 mois, cette phase de frustration a provoqué le désir de remonter sur le plateau.
La femme de ménage, elle aussi, écouteurs aux oreilles, chante et s’accompagne de sa serpillère à frange pour danser et astiquer les locaux sur « She is a maniac » tirée de Flashdance.
Surmonter les contraintes sanitaires

« Porter un masque ce n’est pas l’idéal, cela perturbe la prise de parole, mais c’est un accessoire à dépasser. » explique Frédéric Montfort, directeur général du Cours Florent.
Au théâtre, l’expression du visage est primordiale. Pourtant, cachés par leurs masques, les élèves apprennent à jouer et s’exprimer avec le corps: le corps prend la parole. Sans pouvoir se toucher ou même s’effleurer, le rapport à l’espace change complètement. La contrainte du masque est intégrée et offre de nouvelles perspectives de créativité. La contrainte sanitaire se transforme en défi d’apprentissage.
Les élèves s’accordent à dire que porter un masque n’est pas une contrainte, au contraire, l’acteur s’adapte constamment et innove.
« Il faut sur-articuler, si l’on veut se faire comprendre, on travaille donc nos voix. L’écoute du partenaire de jeu est renforcée. Finalement, on apprend à jouer différemment. » explique Théo, élève de Michèle Harfaut.
Les professeurs ne modifient pas totalement leur pédagogie: travailler le manque d’assurance des élèves ou leur utilisation du corps reste le même travail. Savoir être concret et sincère ne dépend pas du port du masque.
Michèle Harfaut affirmera par la suite que « Les élèves ont peut-être moins de chance de travailler pendant la pandémie mais ils n’en seront jamais de moins bons acteurs. Le théâtre est une vision en pied. Tout est voix, tout est corps. »
L’innovation artistique
Assurer le respect des mesures sanitaires est une tache ardue. Michèle Harfaut fait la chasse aux masques mal portés ou aux matériels mal nettoyés entre chaque séance de cours.
Le Cours Florent a mis en place des mesures strictes pour assurer la protection de ses élèves : le nombre d’élèves maximum dans les classes est passé de 30 à 23. Les roulements de passage sur le plateau sont donc facilités et les élèves affirment se sentir mieux suivis.
De plus, des conférences en ligne sont organisées et des nouveaux devoirs « les commandes » sont proposés aux élèves dans leur formation théâtrale. Désormais, ils doivent réaliser des minis-documentaires ou courts-métrages tout au long de leur cursus et ceux dès leurs premières années au sein du Cours Florent.
« Nous avons très vite organisé des cellules de travail avec les directeurs pédagogiques pour suivre au mieux les élèves. L’artiste doit s’adapter et innover constamment avec les mouvements du monde. En 37 ans de métier, jamais le Cours Florent a fermé ses portes. » affirme Frédéric Montfort, ému.
Les travaux de fin d’année des élèves ont été très touchants, prenant en dérision la crise, les élèves ont joué du masque, avec une « Commedia Dell’ Arte » revisitée. Les florentins gardent espoir chaque jour, tant qu’ils peuvent monter sur scènes, le masque ne leur fait pas peur.

Des liens dégradés ?
L’inquiétude partagée à toutes les échelles est celle de la détérioration des liens entre acteurs. Le théâtre est un métier d’échanges. Or, les contacts sont ralentis par les mesures sanitaires alors qu’ils sont nécessaires sur scènes.
« À la sortie des cours chacun rentre chez soi tristement au lieu de travailler à la terrasse d’un café. Les artistes ont besoin de cogiter autour des textes, de griffonner leurs feuilles ensemble.» indique Ruben, élève en deuxième année du Cours Florent.
Certains professeurs s’accordent à dire que les réunions « Zoom » ont instauré une certaine proximité avec les élèves. Lorsque cela ne va pas, le dialogue est facilité, plus intime, les professeurs accompagnent les élèves dans les périodes creuses ou difficiles.
L’avenir du théâtre
Le confinement a eu l’effet d’un coup de boost sur les élèves, ils n’ont jamais autant travaillé par peur de devenir «moins bons acteurs». Les répétitions ne sont pas possibles car les rassemblements sont interdits. Le travail sur le plateau est endigué face à l’ennemi invisible.
« Avec la covid-19, on passe de ‘je ne sais pas si je serai acteur’ à ‘je ne sais toujours pas!’ » soutient Gwendal, élève de Michèle Harfaut, avec sarcasme. La phase de sidération face à la crise est passée, les Florentins savent qu’ils veulent devenir acteurs en finalité mais la question est comment?
Pour le reste, l’avenir du théâtre n’inquiète pas les élèves, ils n’y pensent pas. La Doxa des élèves est que la société a besoin du monde du spectacle. Public et acteurs doivent s’évader du quotidien et repenser le monde.
Finalement, les Florentins savent qu’il ne tient qu’à eux de tout faire pour maintenir en vie ce pour quoi ils travaillent d’arrache-pied et avec passion. « On fait ce qu’on peut et on y arrive pas trop mal! » conclut Michèle Harfaut.
Ines Chartois
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