Pierre et Olivier: « Aujourd’hui on se base plus sur le commerce que sur la production »

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Pierre et Olivier sont deux frères ostréiculteurs au Cap Ferret. Ils ont créé leur entreprise, le Chai-Nous , en 2007, à proximité de la jetée de Grand Piquey et face au Bassin d’Arcachon.

Pour commencer, en quoi consiste votre activité ?

Aujourd’hui nous avons deux activités : la production et la dégustation. Nous produisons toute l’année. Les huitres se reproduisent l’été donc nous en stérilisons certaines pour éviter qu’elles ne soient laiteuses et les commercialiser. La dégustation est ouverte de fin mars-début avril jusqu’à septembre. Nous travaillons avec de nombreux fournisseurs pour accompagner nos produits : un viticulteur, un boulanger, un producteur de pâté, et des marieurs pour les crustacés. Nous achetons leurs productions pour les revendre avec la nôtre.

Nous sommes aussi producteur de naissains, ce sont des petites huitres que l’on revend ensuite en Bretagne. Le Bassin a un climat fermé, ça en fait un bassin naisseur, et l’été il devient une vraie maternité.

Pouvez-vous nous guider à travers une de vos journées types ?

Premièrement, il faut  visualiser l’heure et le coefficient de la marée qui changent tous les jours. Quand il y a de grands coefficients, nous allons en mer et pêchons en grande quantité, pour rapporter du travail à la cabane en prévision des périodes plus calmes. En revanche, quand les coefficients sont plus petits le travail sur les huitres se fait à terre.  Le but du jeu c’est de toujours prendre de l’avance.

Comment avez-vous lancé votre activité ?

 C’est une totale reconversion. Avant, j’étais dans la gestion de production, mais je ne me voyais plus entre quatre mur. J’ai donc décidé de me lancer dans l’ostréiculture, et mon frère m’as rejoint après. Notre père avait déjà travaillé dans ce domaine. Il avait pris sa retraite, mais ça nous a permis d’avoir une connaissance d’ensemble du milieu. Nous avons créé l’entreprise en 2007. Quatre ans après nous avons lancé la première dégustation avec seulement deux tonneaux et de l’herbe. Aujourd’hui c’est ce qui nous fait vivre.

Aujourd’hui, il y a de moins en moins d’ostréiculteurs sur la bassin d’Arcachon, plus que 300 entreprises soit 1200 personnes qui en vivent,  comment l’expliquez vous ?

Il y a de plus en plus de jeunes qui voudraient se réimplanter, mais une affaire ostréicole ici c’est très cher, d’autant plus si vous voulez un point de vente et de dégustation. Avant le Bassin était un des premiers centre de production, aujourd’hui c’est le dernier.

C’est un travail très fastidieux, très fatiguant, avec dix jours de vacances dans l’année. Il faut également travailler les Week-End car c’est la où nous faisons notre profit. Ces contraintes entraînent irrémédiablement une baisse de l’attractivité du secteur.

Aperçu de l’image

L’été 2020, on a constaté une augmentation de 20% de la fréquentation du Cap Ferret. Comment cette intensification du tourisme vous affecte-elle ?

A l’origine nous avons une clientèle très fidélisée. Mais aujourd’hui il y a une telle explosion de la population l’été que l’on voit de nouvelles têtes tous les jours.  Les huitres plaisent toute l’année, c’est un produit que les gens apprécient de plus en plus.

Cependant, le tourisme n’apporte pas que du bon pour l’ostréiculture. Avec la population qui augmente énormément l’été, de nombreux bateaux restent statiques sur l’eau, ce qui nuit à nos élevages.

Il y a également de plus en plus de contraintes sur la bassin. Depuis sept-huit ans, il y a de gros problèmes de mortalité avec le réchauffement et la pollution. Les crues se déversent dans le Bassin d’Arcachon. Si les eaux sont polluées ou avec des pesticides elles détériorent alors les huitres. Le SIBA, Syndicat International du Bassin d’Arcachon,  surveille la gestion de l’eau mais cela n’empêche pas les débordements.

Le problème c’est que nous sommes en bout de chaîne. Tous les 15 jours il y a des analyses  de l’eau et de nos produits. Quand les résultats ne sont pas bons nous sommes obligés de fermer pendant deux semaines.

Sur le bassin les huitres se vendent aux alentours de 6 euros la douzaine, comment se fait-il que vos produits ne soient pas plus valorisés ?

Quand on sait qu’à Paris les huitres se vendent 12 euros la douzaine, forcément, ça donne envie. Mais avec nos structures et notre clientèle, nos produits ne peuvent se vendre aussi cher. Il faut avoir une certaine renommée et les bonnes débouchées commerciales.  Par exemple, les producteurs de Marelle ont tout autant de mortalité, mais ils ont réussi à labeliser leur produit et peuvent le valoriser plus cher.

Nous n’avons pas le cahier des charges nécessaire pour statuer sur les caractéristiques de notre huitre et justifier un prix plus élevé. En comparaison, les charentais ont des marais qui fonctionnent comme des réservoirs: ils font rentrer l’eau saumâtre pour avoir des huitres soit fines soit charnues. Avec ce contrôle et  un cahiers des charges ils peuvent obtenir des labels.

Dans la région, nous n’avons pas de marais pour engraisser les huitres, nous sommes plus tributaire de la nature. Donc nous n’avons pas de labélisation; seulement la mention de la région, type « huitres d’Arguin », « huitre du Cap Ferret ».

La valorisation de nos produits se fait via la dégustation. C’est la seule sur le village, ce qui nous confère une belle attractivité. Mais ici, les gens consomment des huitres régulièrement et ne veulent pas un prix excessif. Les huitres ne sont plus considérées comme un produit de luxe. Pourtant, au vu du nombre d’heures nécessaire pour les produire, elles devraient valoir beaucoup plus cher.

Après tout est une question de commerce: nous essayons de donner pour recevoir. Il faut savoir faire plaisir aux clients, et derrière il faut assurer une marchandise de bonne qualité.

Peut-on vivre de ce marché ?

Aujourd’hui, produire est très compliqué : on se base plus sur le commerce que sur la production. Ce qui nous tient c’est le commerce, et les fêtes. Chai-Nous est une petite structure, nous avons déjà essayé de prendre un employé mais malheureusement ça ne fonctionnait pas. Notre débit, notre structure  et les problèmes de mortalité ne nous permettent pas d’agrandir l’entreprise. Donc vivre de ce marché est possible, mais c’est très dur de se projeter.

Quel avenir voyez vous pour votre entreprise ?

On verra bien ce que l’avenir va nous réserver. Tant qu’il y a la vente l’entreprise fonctionne, mais c’est difficile de prévoir le long terme. La structure est faite donc revendre sera une possibilité. Nous n’avons que des filles à la maison, elles pourraient reprendre mais nous n’en avons pas l’envie; cela signifierait que nous continuerions à travailler jusqu’au bout pour les aider. Les affaires ostréicoles fonctionnent souvent sur ce modèle:  pour que ca marche il faut du monde, des personnes qui viennent vous aider pour les fêtes, sur les marchés.

Propos recueillis par Inès de Leissègues Rozaven

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