Alors que la crise sanitaire continue de frapper le pays, certains restaurants parmi ceux qui ont survécu aux deux confinements tentent de relancer leur activité. Cette reprise suppose une réorganisation drastique, mais elle apporte enfin une bouffée d’air à des cuisiniers qui, comme Sophie Maréchal, sont souvent affamés de travail.
Depuis mars 2020, le monde de la restauration est paralysé par les mesures sanitaires liées au Covid-19. Les deux confinements mis en place entre mars et décembre 2020 ont poussé des centaines d’établissements vers la faillite. Sophie Maréchal, 25 ans, est commis dans un hôtel-restaurant du groupe Hyatt à Paris, qui a pu rouvrir. Pour elle, le travail n’a recommencé qu’en janvier et il suppose de nombreux changements. Mais après des mois d’arrêt, elle renoue enfin avec une routine qui lui avait manqué.
Du fait des mesures sanitaires prises par le gouvernement depuis mars 2020, l’activité de nombreux restaurateurs est au point mort. Avez-vous eu l’occasion de reprendre le travail de votre côté ?
J’ai la chance de travailler dans un hôtel-restaurant, où nous pouvons fournir des plats aux clients de l’hôtel autrement que dans une salle classique. Nous avons donc pu rouvrir à la restauration en septembre dernier. Bien-sûr, les chefs ont dû s’adapter en termes d’effectifs. Ils ont fait revenir les cuisiniers au « compte-goutte » en privilégiant surtout les sous-chefs et les chefs de partie au début. Ce n’est qu’en décembre qu’ils ont réintroduit les commis, parce que c’était un mois assez chargé, notamment avec la fin du second confinement et les fêtes de fin d’année. Personnellement, j’ai été rappelée exceptionnellement pour faire le service du petit-déjeuner le 1er janvier, car il y avait énormément de réservations ce jour-là et qu’ils avaient besoin de renforts. C’était la première fois que j’y retournais depuis mars 2020 ! Par la suite, j’ai su que j’étais planifiée pour le mois de février à raison de deux jours par semaine, le vendredi et le samedi en l’occurrence. Je fais les services du soir, donc je travaille de 15 heures 30 à 23 heures. Cela n’est pas si étonnant, car notre hôtel est beaucoup plus animé le week-end qu’en semaine, et le soir que le matin. Dans le contexte actuel, les chefs doivent encore plus adapter les effectifs aux besoins.
En novembre dernier, une étude réalisée par la Fondation Jean Jaurès montrait que les restaurateurs faisaient partie des catégories les plus concernées par la détresse psychologique depuis la crise sanitaire, avec des tendances suicidaires en hausse de 26%. Comment avez-vous vécu le fait de ne pas travailler pendant si longtemps ?
La fermeture des restaurants en mars 2020 a été brutale, mais j’étais loin de m’imaginer que j’allais passer neuf mois sans travailler. La routine est devenue pesante et angoissante très rapidement. Je crois que le pire à supporter était l’incertitude. Comme toutes les professions durement touchées par la crise, le risque de licenciement était grand, parce que l’hôtel n’avait que peu de rentrées d’argent. A la fin de l’été, je me demandais constamment si je devais chercher un autre poste, mais cela soulevait encore d’autres d’incertitudes : quelles garanties aurais-je eu après ? combien de temps les restaurants resteraient-ils encore ouverts ? Je bénéficiais bien du chômage partiel en étant payée à 84% de mon salaire par l’Etat, mais ce n’était qu’une solution de court terme, et j’étais incapable de voir plus loin. Alors forcément, j’essayais de trouver une nouvelle routine : je continuais de cuisiner, mais chez moi. Mais ça n’a pas le même sens que de travailler. Quand on fait ce métier, c’est justement pour se donner à fond tous les jours. Alors nous n’avions qu’une envie, c’était de retrouver l’adrénaline du service. Finalement, même la pression et le stress ont plus de sens que de ne rien faire, parce qu’on se sent inutile et déconnecté de la réalité : les gens étudiaient ou travaillaient à distance, et nous ne faisions qu’attendre. Nous n’avions plus de repères, c’était très lourd à vivre.
Depuis la reprise, comment l’organisation du restaurant a-t-elle évolué ?
Au-delà des masques et des désinfections permanentes, nous avons dû réduire considérablement notre offre. En temps normal, nous proposons une vraie carte avec des plats complets, entrées, desserts. Maintenant, nous préparons des plats plus simples. Le but est de faire en sorte que les clients de l’hôtel accèdent facilement à des plats à emporter, puisqu’il est interdit de servir en salle. Ainsi, nous avons un « mayo market », un point de vente à emporter où l’on trouve par exemple des plateaux de charcuterie, de fromage, ou des salades déjà préparées. Il y a aussi le lobby, qui est une salle avec des sortes de stands où les clients peuvent trouver des choses un peu plus spécifiques : ils choisissent d’abord des ingrédients parmi ceux mis à disposition, comme des fruits, des patates chaudes, des saucisses de volaille ou encore des tomates à la provençale que nous réapprovisionnons au fur et à mesure du service. Puis le cuisinier sur place peut leur préparer des œufs selon leur choix : des œufs brouillés, des omelettes… Et le client repart avec sa sélection, dans des petites barquettes en carton qu’il peut consommer où il veut par la suite. Pour les plats un peu plus complexes, nous avons aussi une offre de room service, où les serveurs emportent directement les plats en chambre. Sinon, ils peuvent venir récupérer leur commande en bas. Nous avons vraiment essayé de varier les possibilités et de maintenir un peu d’animation tout en respectant les contraintes.

Avez-vous l’impression que la restauration avait manqué aux clients ? Sont-ils nombreux ?
La fréquentation de l’hôtel est très aléatoire. Personnellement, je travaille le week-end, quand l’activité est la plus forte. On peut attendre 150 couverts, mais il est déjà arrivé que l’on ne fasse que 30 couverts, même un vendredi. On ne sait jamais à quoi s’attendre. Malgré tout, les quelques évènements que nous avons organisé, comme le brunch du nouvel an ou encore le week-end de Saint Valentin, ont attiré beaucoup de monde. Pour la Saint Valentin, il y avait même tellement de réservations que nous avons dû répartir l’évènement sur trois jours : cela nous a surpris. Je pense que les gens essaient de profiter au maximum des possibilités qu’ils ont encore. Beaucoup, parmi les clients comme la brigade, redoutent un durcissement des mesures dans les prochaines semaines.
A-t-il été difficile de reprendre après une si longue pause ?
Dans un domaine comme la restauration, il faut bien-sûr un temps de réadaptation. En neuf mois, je n’ai pas perdu l’habitude de cuisiner, loin de là, mais je me suis un peu éloignée de la cadence et de l’intensité du métier. Lorsque l’on m’a rappelée pour le nouvel an, je me souviens que j’étais particulièrement stressée à l’idée de revenir et de perdre mes moyens face au rythme effréné de la cuisine. J’avais peur de ne pas être à la hauteur. C’est quelque chose qui m’arrive souvent, car c’est un métier assez exigeant. Mais je pense que la situation n’a pas aidé : après tout, quand le premier confinement a débuté, je n’étais là que depuis un mois et demi, donc je ne voulais pas décevoir. Au final, ça s’est plutôt bien passé. Il a certes fallu prendre ses marques et s’adapter à la nouvelle organisation, mais je n’ai pas été complètement larguée. Même après plusieurs mois d’absence et avec un effectif réduit, l’esprit d’équipe était toujours là, et ça m’a fait beaucoup de bien de le retrouver. Je ne travaille que deux jours par semaine, mais je recommence enfin à me sentir utile, et c’est le plus important. Espérons que cela dure !
Propos recueillis par JM
Be the first to comment on "Sophie Maréchal: « Les cuisiniers n’avaient qu’une envie, c’était de retrouver l’adrénaline du service »"