Bénédicte Jacquey-Vazquez : « Les associations occupent une place de premier plan dans l’accompagnement social des sans-abris »

Fin 2020, le nombre de sans-abris en France était estimé à 300 000 personnes. De plus en plus de familles et de personnes étrangères se retrouvent à la rue, la tranche d’âge la plus représentée étant les 0-1 an.
Bénédicte Jacquey-Vazquez travaille à l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et a publié en 2018 un rapport sur l’accompagnement social en France.  Elle y aborde notamment la situation des personnes sans domicile fixe en France, étudie les politiques mises en place pour les accompagner et formule des recommandations à destination des pouvoirs publics.

Quels sont les dispositifs mis en place par l’État pour accompagner les sans-abris ?

Au niveau de l’hébergement, le numéro 115 permet aux sans-abris d’obtenir une place dans une des chambres hôtel requestionnées par le SAMU social. Cependant, cette démarche est à renouveler chaque jour car elle n’est valable que pour une seule nuitée. D’autre part, il existe des Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) qui incluent un accompagnement social plus soutenu. Enfin, les Centres d’Accueil de Demandeurs d’Asile (CADA) sont destinés à l’accueil des demandeurs d’asile en attente d’acceptation de leur requête. Au total, il existe 140 000 places d’hébergement à destination des personnes SDF dont 60% des bénéficiaires sont des personnes étrangères.

Concernant l’accès aux soins, tout individu résidant en France a droit à une couverture santé. Après trois mois sur le territoire national, chacun peut bénéficier de l’aide médicale d’État. Depuis quelques années, il existe aussi des permanences d’accès aux soins et à la santé dans les hôpitaux.

Pensez-vous que ces dispositifs soient suffisants ?

De mon point de vue, ces dispositifs sont insuffisants face à l’augmentation du nombre de personnes SDF en France : l’État sous-investit dans l’accompagnement social. Un dicton dit que les politiques pour les pauvres sont de pauvres politiques. Par exemple, la France possède l’un des plus bas taux d’insertion des populations étrangères sur le marché de l’emploi au sein de l’OCDE. En effet, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler pendant les six mois suivant leur arrivée en France. Ils vivent donc d’une modeste allocation qui ne leur permet pas de se loger alors même que les standards d’accueil en CADA se détériorent. Une fois les six mois passés, il reste difficile voire impossible d’avoir un rendez-vous en préfecture pour obtenir les autorisations nécessaires. Or, en 2018, les demandeurs d’asile étaient 123 000 sur le territoire français. Leur accompagnement est donc un enjeu majeur dans le combat contre le sans-abrisme. Aujourd’hui, les procédures de demande et de renouvellement de titre de séjour sont très fastidieuses. Il y a donc encore beaucoup à faire dans le domaine administratif.

Selon vous, quelles actions faudrait-il mener pour améliorer durablement la situation des sans-abris ?

Je crois en l’importance d’un accompagnement social intégré, c’est-à-dire prenant en compte l’ensemble des difficultés des personnes SDF. En effet, la situation de sans-abrisme est toujours multifactorielle. Les questions du logement, de la nourriture, du travail, des addictions ou encore de la survenance de troubles psychiques ne peuvent être dissociées et traitées séparément. Il faut accepter que ça prenne du temps, que le parcours ne soit pas linéaire. Il n’est pas bon de poser des exigences ou des ultimatums au risque de dégrader encore davantage la situation de l’accompagné. Le programme « Logement d’abord » mis en place il y a quelques années s’inscrit dans cette mouvance en proposant inconditionnellement un logement stable et de qualité aux sans-abris.

D’autre part, il faudrait que les travailleurs sociaux de rendent davantage sur les lieux de vie des personnes sans-abris plutôt que d’ouvrir des permanences à l’extérieur. Davantage de dispositifs pour lutter contre l’isolement devraient donc être mises en place car la solitude est l’une des choses les plus difficiles à vivre. La plupart de l’argent dédié aux sans-abris est injecté par l’État sous forme d’allocations mais très peu sous forme de dispositifs d’accompagnement personnalisés.

Quelle place occupent les associations dans la lutte contre la détresse économique et sociale des sans-abris ?

Les associations occupent une place de premier plan dans l’accompagnement social des sans-abris. D’une part, l’État leur a sous-traité une grande partie de son action, faisant des associations des opérateurs en position de pallier les insuffisances de l’action publique. D’autre part, elles développent des actions sur fonds propres et montrent une réelle capacité à travailler avec la société civile. Par exemple, le programme JRS Welcome propose aux demandeurs d’asile des solutions d’hébergement dans des familles. Enfin, les associations ont la capacité d’interpeller l’État sur la question de l’intégration des sans-abris. Dans ce but, le Secours Catholique avait formé un contentieux pour dénoncer le manque d’accès à l’eau pour les migrants à Calais en 2016. Les associations ont, à travers les multiples facettes de leur action, montré une réelle volonté de proposer des approches d’insertion intégrées, à l’exemple d’Emmaüs. Cette communauté propose des travaux de collecte, réparation et revente d’objets ou de maraîchage qui procurent à ses bénéficiaires logement, travail mais aussi socialisation au travers de l’appartenance à une communauté.

Dans quelle mesure l’accompagnement professionnel permet-il aux sans-abris de se réinsérer dans la société ?

Aujourd’hui, l’accompagnement professionnel au sens strict se limite à l’attribution d’un conseiller Pôle Emploi. Un même conseiller suit environ 200 personnes et ne peut donc pas fournir un accompagnement personnalisé à chacun. D’autre part, la recherche et l’obtention d’un emploi se heurte à plusieurs obstacles, notamment au niveau de la mobilité. Les emplois proposés aux personnes dans la précarité nécessitent souvent un véhicule. C’est pourquoi plusieurs associations se mobilisent pour favoriser la réinsertion professionnelle de ces personnes. A Nantes, l’association Job4mi a pour mission de rapprocher des migrants d’entreprises mais aussi de leur proposer la location ou l’acquisition d’un scooter à moindre frais.  De son côté, l’association ATD Quart Monde a lancé l’initiative Territoire Zéro Chômage Longue Durée (TZCLD) qui part du postulat qu’il vaut mieux utiliser de l’argent pour créer des postes accessibles aux chômeurs de longue durée plutôt que de le dépenser en allocations chômage. Service à la personne, agriculture vivrière ou encore restauration sont autant de domaines qui permettent aux anciens chômeurs d’exercer leurs compétences et de se sentir utiles aux yeux de la société.

Dans quelle mesure la crise de la Covid a-t-elle renforcé la précarité en France ?

La crise sanitaire a fait augmenter drastiquement le taux de pauvreté. D’après les associations, un million de français aurait basculé dans la pauvreté à cause de la crise Covid. Les banques alimentaires n’ont jamais été autant sollicitées : on a assisté à une augmentation de 50% des personnes demandeuses d’aide alimentaire en 2020. Pour l’instant, l’État n’a pas augmenté le RSA mais a fait un gros effort avec la mise en place du dispositif de chômage partiel.

Les étudiants sont tout particulièrement touchés par cette crise et ne bénéficient que de peu d’aides. Beaucoup d’entre eux ont perdu le petit boulot qui leur permettait de se nourrir et de payer leur loyer. De manière générale, la tranche des 18-25 ans est très peu accompagnée. D’ailleurs, certaines associations comme la Fondation Abbé Pierre militent pour qu’il soit possible de bénéficier du RSA dès l’âge de 18 ans. Au-delà de ça, la crise sanitaire a encore participé à accroitre les inégalités entre les plus riches et le plus pauvres.

Propos recueillis par Hélène Guy

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