Alors que le monde de la culture est à l’arrêt et que l’avenir des festivals et concerts est encore incertain, l’ingénieur du son Franck Richard se confie sur l’irruption du Covid dans son travail.
Franck Richard, 55 ans, est musicien et ingénieur du son depuis 30 ans. Il exerce principalement lors de concerts live et depuis peu dans l’évènementiel. Il alimente également un site internet, intitulé « Cinod » et présenté comme l’annuaire technique des salles de spectacle : visite virtuelle des lieux et agenda des techniciens sont à l’honneur. Depuis mars 2020, ce passionné de musique n’a pas travaillé mais garde espoir.
Depuis presque un an, les métiers de la culture sont à l’arrêt car durement touchés par la crise du Covid. Pouvez-vous me parler de l’impact du Covid sur votre métier d’ingénieur du son ?
Quand les mesures ont été annoncées en mars 2020, je travaillais pour le festival Jazz A Toute Heure. Un samedi, le ministre a annoncé la limite des 500 spectateurs autorisés, on pensait être tranquille mais c’est passé à 100 dans la foulée. Ce soir-là, nous avons quand même joué, avec l’accord du maire. Et voilà, je n’ai pas travaillé depuis. Rien, rien, rien du tout. J’ai fait un peu de mixage chez moi, répondu à des devis, mais c’est tout. Je ne suis pas à plaindre, j’ai une maison, un jardin et je suis très occupé à côté car je développe des outils pour les professionnels du spectacle. Au début du confinement, on nous demandait de participer à des formations en ligne, mais avec le temps ça s’est calmé. J’ai beaucoup de collègues qui font encore des stages, des formations, mais ça ne dure que quatre ou cinq jours. Avec ce temps libre, depuis le mois d’août, j’ai décidé d’apprendre la programmation. Pour le site Cinod que j’ai créé il y a dix ans, je fais appel à un programmeur professionnel. Je ne veux pas le remplacer mais j’aimerais essayer de créer des petites applications qui pourraient nous être utiles. Heureusement qu’il y a YouTube pour se former, coder est loin d’être simple !
En quoi consiste votre métier d’ingénieur du son ?
Le métier d’ingénieur du son regroupe plusieurs professions pendant les live : celui qui fait le son pour les spectateurs, celui qui le fait pour les musiciens et ceux qui assistent et installent. On retrouve également la prise de son pour le cinéma ou dans les studios. Je fais essentiellement des live. 15 ou 20 ans en arrière, je faisais beaucoup de festivals. Parmi les évènements notables, j’ai travaillé pour Les Francofolies et La Fête de l’Huma pendant 15 ans. Pas mal, n’est-ce pas ? J’ai aussi fait trois ans de suite au Stade de France pour l’évènement Unighted avec David Guetta. Ça remonte à dix ans, ça passe vite… 40 000 personnes c’était costaud ! Et puis, j’ai fait onze dates en Suisse avec Supertramp. Pour moi, être ingénieur du son c’est essayer de partager l’émotion issue des artistes sur scène. Cela passe également par le mixage et la qualité du son. Elle doit avoir un niveau minimum pour que le public apprécie, je l’appelle l’horizon. J’aime dire que j’appuie le message de l’artiste. Chaque technicien interprète à sa manière. En fait, dans le métier d’ingénieur du son, il y a la partie technique et la partie artistique mais chacun les dose différemment. D’ailleurs, certaines personnes ne sont pas assez artistes…
Être musicien vous aide dans votre métier d’ingénieur du son ?
Pour être honnête, je suis assez piètre musicien mais j’ai joué beaucoup d’instruments : piano, guitare, batterie, saxophone et trompette. Cela me permet d’avoir les instruments dans mon oreille. Par exemple, j’ai toujours eu du mal avec les sons de basse parce que je n’ai jamais été bassiste. Être musicien aide aussi beaucoup à l’élaboration du projet en studio. Je me souviens avoir accueilli des Américains une fois en studio, quand le mixeur est arrivé à la console, il faisait des choses absurdes et ne regardait même pas les boutons. Je me demandais pourquoi il faisait ça mais à ce moment-là j’avais affaire à un vrai artiste, et le résultat était là.
Franck Richard au festival Jazz A Toute Heure
J’imagine que l’évènementiel vous manque, pouvez-vous raconter ?
Le manque, je l’ai ressenti de manière incroyable en octobre lorsque je me suis rendu à un salon en extérieur. Je me suis retrouvé devant une petite scène en tant que spectateur, tout le monde était masqué mais il y avait de la musique, du son qui sortait et là je me suis dit « Purée, qu’est-ce que ça me manque ». Ça a été super beau de ressentir ça et là quand j’en parle je suis très ému… Bien sur que ça me manque, au quotidien mon esprit est occupé mais quand j’en parle je réalise. Pour les artistes, c’est pire, c’est vital. C’est une vraie souffrance pour eux.
Le Gouvernement a mobilisé plus de 5 milliards d’euros depuis le mois de mars 2020 afin de faire face à l’impact de la crise de la Covid-19 sur les secteurs de la culture et des médias. Recevez-vous un soutien de l’Etat ?
Je gagne entre 40 et 60 pourcents de moins grâce au statut d’intermittent, il y en a pour qui c’est beaucoup plus compliqué. Le régime d’intermittent est particulier et très français. Dans de nombreux pays, ce statut n’existe pas, cela impose d’être à son compte. En temps normal, les intermittents doivent faire un certain nombre de contrats, sinon ils perdent leurs droits. Travailler plus de dix heures, c’est interdit par la loi, donc nous sommes payés pour huit ou dix heures. Pourtant, lorsque je fais des concerts, j’y suis de neuf heures du matin à minuit. Certains intermittents ont quitté ce statut pour se mettre à leur compte, ils ont dû beaucoup souffrir avec la crise. Si le régime d’intermittent existe c’est parce que nous passons du temps à nous former et à travailler gratuitement sur certains projets. En ce moment, nous ne travaillons pas vraiment mais nous sommes payés parce que nous continuons de nous former. Ce qui importe, c’est de faire cette activité par passion.
De plus en plus d’évènements ont lieu en ligne, des opéras ou des concerts par exemple, pourquoi n’avez-vous pas eu l’occasion d’y participer ?
Il est vrai que ces évènements créent du travail, surtout à Paris, mais beaucoup moins qu’en temps normal. A peine trois ou quatre évènements de ce type se déroulent chaque mois. J’ai regardé le concert de -M- récemment, j’aurais adoré y travailler mais très peu de places sont à saisir.
Connaissez-vous des personnes qui ont dû changer de métier ?
Pas encore ! Par contre, j’ai un ami qui travaillait pour une entreprise connue dans le milieu. Il a démissionné l’an dernier pour partir en tournée. Mais, le Covid est arrivé et il n’a fait que trois dates. La tournée devait lui attribuer le statut d’intermittent. A ce moment-là, il a eu peur et a trouvé un travail dans un magasin de bricolage. Mais, grâce aux mesures de l’État, les dates annulées ont été comptabilisées et les techniciens ont été payés avec un pourcentage. Heureusement, je ne connais personne qui a abandonné. En fait, il y a encore beaucoup de travail dans les studios. Les artistes enregistrent ce qu’ils avaient tendance à repousser puisqu’ils ne peuvent plus faire de tournée. C’est le live qui est vraiment en souffrance.
Avez-vous peur pour votre carrière d’ingénieur du son ou avez-vous espoir de vite reprendre ?
Je ne suis pas inquiet pour l’avenir, la vie va reprendre son cours. Certes, cela mettra du temps. J’imagine bien un démarrage en douceur avec l’ouverture des musées et des petites salles. Évidemment, ce ne sera pas maintenant pour Bercy, les spectateurs sont vraiment collés. Je pense que ce sera au mieux pour septembre. Pour les personnes qui ne font rien, ça fait encore six mois à attendre. Pour moi, c’est vital de m’occuper jusque-là. Dans tous les cas, je suis confiant. Les artistes auront toujours besoin de compétences comme les miennes. Nous sommes nombreux mais je suis passionné. En 30 ans de métier, je n’ai jamais compté mes heures.
Propos recueillis par Enza Michaux
Be the first to comment on "Franck Richard : « Je n’ai pas travaillé depuis mars 2020 »"