Grégory Bouchaud : « Il est impossible, en tant que chercheur, d’être intégralement en distanciel »

Avec l’apparition du Covid-19, la communauté scientifique s’est mobilisée pour lutter contre la propagation du virus. Mais elle est elle-même confrontée aux difficultés induites par la crise sanitaire, et a du s’adapter au distanciel.

Grégory Bouchaud est chercheur en immunologie à l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE) de Nantes. Il revient sur la conciliation entre la recherche et le télétravail, et aborde les effets de la crise sanitaire sur son domaine de recherche en particulier.

  • A l’occasion du second confinement, le Premier ministre Jean Castex a annoncé que « les activités de recherche doivent se poursuivre, en télétravail quand c’est possible, et en présentiel quand cela ne l’est pas ». Devez-vous tenir compte de restrictions particulières ?

La seule instruction que nous avons reçu est que tout ce qui est « télétravaillable » doit être télétravaillé. Il est claire qu’un chercheur a plus de taches télétravaillables qu’un technicien de recherche (chargé de la mise au point des expériences). Mais pour maintenir un lien social de supervision et d’encadrement, on nous recommande d’aller sur site une fois par semaine. Il n’y a donc pas de restrictions, seulement des recommandations à suivre si notre activité nous le permet.

Malgré tout, il est impossible, en tant que chercheur, d’être intégralement en distanciel. Nous sommes obligés d’aller sur site, ne serait-ce que pour respecter les contraintes liées aux expériences, qui nécessitent une réalisation en laboratoire, et des temps d’incubation. Les expériences animales requièrent aussi un soin quotidien. La présence sur site est donc inévitable dans notre travail de recherche.

  • Quelles sont les principales modifications ressenties suite la mise en place du distanciel ?

La modification majeure a été la diminution de notre travail, surtout quantitatif. Nous avons fait face à la réduction du personnel au sein des laboratoires, et une présence alternée sur site pour suivre au mieux les recommandations sanitaires. Cela a eu pour conséquence la baisse du nombre d’expériences, partie intégrante de notre travail de recherche.

Concernant les interactions ou la supervision des étudiants et techniciens, elles ont été davantage transformées que réduites. Elles sont devenues plus structurées. Les interactions informelles que nous avions entre deux réunions ou pendant les pauses café ne sont plus possibles, alors qu’elles participent à notre activité de recherche. Le distanciel nous force aussi à modifier notre pédagogie. On ne peut plus expliquer les choses grâce à des schémas au tableau ou sur un bout de papier. Tout cela peut ralentir notre travail.

  • Relevez-vous des aspects positifs du distanciel, qui pourraient s’établir sur le long terme ?

La structure des entretiens étant plus rigide, nous sommes plus efficaces pendant les réunions. Une certaine autonomie s’est crée. On a tendance à chercher des réponses par nous même plutôt que de poser spontanément nos questions lors des réunions. Le gain de temps est aussi à mentionner : les déplacements sont plus rares, nous pouvons plus facilement passer d’une tâche à l’autre.

A long terme, le distanciel pourrait être plus communément accepté. A l’échelle de la recherche, les contraintes sanitaires ont forcé les techniciens ou ingénieurs de recherche à adapter leur activité au télétravail. C’était difficilement imaginable mais, en fin de compte, partiellement possible. Mais ces changements s’opèrent déjà à l’échelle de l’organisation du travail en général.

  • Avec la propagation des nouveaux variants, la course aux vaccins, et la question de l’efficacité des mesures sanitaires, il est nécessaire de mobiliser le maximum d’informations fiables, fournies par la communauté scientifique. Avez-vous assisté à une sollicitation plus importante de votre domaine de recherche ?

Je n’ai personnellement pas été plus sollicité puisque cela ne concerne pas directement mes recherches, je m’intéresse plus aux mécanismes d’allergies. Mais j’ai pu voir un changement auprès de collègues qui s’intéressent à l’immunologie virale. Depuis le début de la crise sanitaire, ces chercheurs ont pu répondre à quelques dizaines d’appels d’offre portant, par exemple, sur le développement d’un vaccin ou sur les impacts du Covid-19 à long terme. Leur activité s’est certainement dynamisée, grâce notamment à un financement plus accessible et abondant.

  • Le distanciel a-t-il affecté la capacité de répondre aux attentes croissantes adressées à la recherche scientifique ?

Grâce au gain de temps tiré du télétravail, nous pouvons passer plus de temps à réfléchir aux appels d’offre. Mais une fois que nous sommes sélectionnés pour un projet, le retard induit par le distanciel compense cet aspect positif.

Il faut aussi tenir compte des conséquences de la crise sanitaire sur la disponibilité de notre matériel. Une partie étant réquisitionnée pour les tests PCR et la vaccination, les ruptures de stock subies au début de la crise nous ont fait accumuler du retard. Aujourd’hui, ce sont les délais de livraison, deux à trois fois supérieurs qu’en temps normal, qui posent problème. Cela n’a pas l’aire de s’améliorer. Le matériel électronique, comme les casques audios et caméras, a également été reçu après un certain temps. En bref, le distanciel et les conséquences liées à la crise sanitaire induisent inévitablement des retards.

Propos recueillis par Kenza Vincent

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