Kathia Gilder : « Les discours sont souvent contradictoires, donnant l’impression que le gouvernement navigue à vue dans cette crise. »

Kathia Gilder, rédactrice en chef adjointe à la chaîne parlementaire, suit au plus près les décisions politiques prises face à la crise sanitaire et nous fait part des coulisses de la gestion politique de la crise sanitaire.

La chaîne parlementaire, crée conjointement par l’Assemblée Nationale et le sénat en 1999 permet de rendre compte de l’activité de ces deux institutions. Cependant, entre Etat d’urgence, mauvaise communication ou encore verticalité des décisions, le rôle du parlement semble s’être modifié lors de cette crise sanitaire et des contestations émergent quant à la gestion politique de la crise par le gouvernement.

Que pensez-vous de la communication du gouvernement sur cette crise ?

Depuis le début de la crise, le gouvernement communique tous azimuts sur la situation sanitaire en France. Chaque semaine est rythmée par les prises de parole du gouvernement, souvent multiples, pour détailler l’évolution de l’épidémie en France, justifier les décisions de l’exécutif, le renforcement des consignes sanitaires, le couvre-feu, la nécessité ou pas d’un nouveau confinement. Les discours sont souvent contradictoires, donnant l’impression que le gouvernement navigue à vue dans cette crise. Cette communication tâtonnante est déstabilisante pour les citoyens. Les Français ne comprennent pas nécessairement les choix effectués. En réaction, les membres de l’opposition interpellent le gouvernement et le Président de la République sur l’absence de cohérence des décisions prises, mais sans pour autant proposer d’alternative. Nous avons l’impression que les responsables politiques, tous bords confondus, sont dépassés par la crise. En même temps, les Français semblent eux aussi vouloir une chose et son contraire, se prononçant il y a dix jours majoritairement pour un nouveau confinement, tout en étant contre un renforcement des mesures de restrictions sanitaires (sondage IFOP, pour Le Journal de Dimanche, 31/01/2021), oscillant entre demande de protection maximale et scepticisme, voir rejet des mesures sanitaires restrictives. Le Sénat a d’ailleurs mené une enquête sur la gestion de la crise sanitaire par l’exécutif. Dans leur rapport de conclusion remis début février, ils fustigent l’impréparation du gouvernement et de la Direction générale de la santé, en pointant du doigt la lenteur et les hésitations dans la mise au point des Tests PCR, ainsi qu’un « énorme loupé sur les masques », selon les termes du rapport sénatorial. Une sénatrice dénonce une « logique de réduction des dépenses publiques et des personnels de santé, qui a démontré ses limites ».  

Nous avons l’impression que l’exécutif est dépassé par la crise, qu’il dispose de peu de marges de manœuvres : est-ce une réalité ?

Aucun pays n’a trouvé de remède miracle pour freiner la pandémie. En France, on sent que les responsables politiques restent prudents, s’attachant à maintenir un niveau de précaution maximal, pour ne pas se faire reprocher de rester bras croisés face à la progression du virus tout en essayant de créer le moins d’inquiétude possible. Il est toujours difficile, pour tout gouvernement, de communiquer en période de crise, ces dernières étant par nature imprévisibles.

Pour autant, la communication politique, aux premières heures de l’épidémie en France, a été marquée par de nombreux couacs et ratés, sur l’ampleur de l’épidémie, l’utilité des masques, la gravité du virus, donnant aux Français un sentiment de cacophonie, d’improvisation permanente. Qui ne se souvient des affirmations, en janvier 2020, de la porte-parole du gouvernement selon lesquelles les Français ne sauraient pas vivre avec des masques ? Ou de la réponse de la ministre de la santé de l’époque, en mars de la même année, selon laquelle le virus ne s’arrêtait pas aux frontières, pour justifier le refus de fermer celles des pays européens. Toutefois l’aggravation soudaine de l’épidémie a forcé Emmanuel Macron à reprendre les choses en main rapidement. Ainsi, les décisions concernant les deux premiers confinements ont été prises en quelques heures avec une prise de parole solennelle du Président de la République face aux Français lors des journaux télévisés de 20h. Ces interventions ont permis à la fois d’expliquer les causes, d’annoncer les principales mesures, de donner le sentiment d’un exécutif qui tenait fermement la barre de la lutte contre la pandémie.

L’état d’urgence sanitaire est-il « compatible » avec les règles d’une démocratie ?

Il existe un contrôle de l’état d’urgence sanitaire, base du couvre-feu national décidé à 18 heures.  L’Assemblée nationale vient de voter, ce mardi 9 février, la prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin. Néanmoins cet état, qui demeure un régime d’exception en droit français, dure, ce qui génère des inquiétudes légitimes, face à la restriction des libertés individuelles. Droite comme gauche dénoncent une certaine banalisation de ce régime si particulier. Beaucoup de parlementaires dénoncent par ailleurs une certaine « verticalité » des décisions, centralisées au niveau de l’Elysée et du conseil scientifique. Ils ont l’impression d’être consultés « après coup », une fois les décisions prises. Je pense que le Parlement, garant de la démocratie et des libertés, devrait être consulté plus souvent et en amont de toute décision de reconfinement. Les députés de La France Insoumise vont jusqu’à dénoncer « une forme de dictature ». Les élus relaient enfin la lassitude de la population et le ras-le-bol des restaurateurs, employés de stations de ski ou encore des étudiants, particulièrement fragilisés par cette crise. Je pense qu’il faut trouver un meilleur équilibre dans la prise de décision politique, pour rassurer tous ceux qui s’inquiètent de devoir traverser la nouvelle année en passant d’un confinement à l’autre.

La crise sanitaire a-t-elle modifié l’ordre des choses à l’Assemblée nationale ?

Oui, la crise a obligé l’Assemblée à inventer de nouveaux modes de travail. La visioconférence remplace de plus en plus les réunions en commission parlementaire, qui sont par ailleurs réduites à une portion congrue au détriment, parfois, de la richesse des débats. Le 1er mars prochain, l’Assemblée va modifier son propre règlement intérieur pour prévoir durablement comment organiser ses travaux en période de crise similaire à celle générée par le COVID.

Quelles ont été les décisions les plus débattues au sein du Parlement ?

Outre la question des libertés, réduites en période de couvre-feu, qui continue d’être débattue, les parlementaires s’interrogent sur la stratégie vaccinale du gouvernement. Le retard français dans la vaccination a également été souligné. On compte plus de deux millions de personnes vaccinées, ce qui correspond à moins de 3 % de la population. Le passeport vaccinal, document qui permettrait de se déplacer dans certains lieux ou certains pays sans risque de propager l’épidémie, divise, lui aussi. Pour certains, la mesure est une restriction supplémentaire de libertés déjà bien rognées. Pour d’autres, c’est au contraire le sésame d’un retour à une vie normale. Il y aussi des interrogations sur l’efficacité réelle des vaccins mis sur le marché. Protègent-ils complètement ? Sont-ils efficaces contre les variants du coronavirus ? Les réponses à ces questions sont inconnues à ce jour.  

Finalement, le gouvernement a-t-il encore des marges de manœuvre, face à la progression du virus et celle de ses variants ?

Les marges sont faibles, en effet. Schématiquement, l’exécutif doit arbitrer entre trois contraintes : le nombre de lits de réanimation occupés par des victimes de l’épidémie, le niveau de l’activité économique mais aussi, de manière plus récente, le moral des Français, en berne. Cet équilibre subtil est difficile à trouver. Je pense que l’essentiel, pour l’exécutif, c’est d’abord d’être plus rassurant dans le discours, d’avoir une communication moins anxiogène, comme le demandent de nombreux médecins ou chercheurs.  Même si personne ne peut dire comment évoluera la pandémie, tout le monde sait que la peur est mauvaise conseillère.

Propos recueillis par Paola Cartolano.

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