Jessica Cooke « Les grands oubliés de ce programme d’aide aux restaurateurs sont ceux qui ont ouverts courant 2020 »

Sept restaurateurs sur dix en Île-de-France auraient perdu au moins 50% de chiffre d’affaires. Mais alors qu’en est-il de ceux qui ont ouvert en 2020 en pleine crise sanitaire ?

Jessica Cooke a 40 ans, elle a ouvert son premier restaurant, l’Oise o Bio en octobre 2020 à Coye-La-Forêt dans l’Oise. Son concept: un « resto-épicerie » 100% bio, à dynamique zéro déchet et faits maison avec des produits brut. Elle n’a pu recevoir ses clients seulement quinze jours depuis son ouverture, elle nous raconte son expérience.

Quel cheminement vous a amené à ouvrir votre premier restaurant en 2020 en pleine crise sanitaire ? 

J’ai travaillé toute ma vie dans le secteur privé en tant que salariée. J’ai été directrice commerciale chez Adrexo pendant sept ans. Dans ce métier j’ai énormément mangé au restaurant, et je trouve que l’offre dans la restauration classique est trop chère par rapport aux produits qu’on nous propose. Pour moi, aller au restaurant c’est découvrir des saveurs et déguster de bons plats. 

L’idée de ce concept-bio m’est donc venu il y a six ans. Je suis très impliquée dans le bio depuis environ douze ans. Pour moi manger bio c’est vraiment un tout, ce n’est pas qu’une histoire de santé, je le fais aussi pour l’environnement et pour encourager des producteurs qui mettent beaucoup plus de moyens humains et de temps pour avoir des produits issus d’une agriculture saine pour la planète et la biodiversité. 

Pour mener à bien mon projet j’ai suivi en parallèle de mon travail, un BTS en maraichage biologique pour comprendre et connaitre les normes bios et agricoles. A la fin de ce cursus, j’étais convaincu du fait que je voulais monter un projet dans la restauration. Je me suis donc fixée sur une proposition bio de faits-maison à base de produits frais, sur place et à emporter.

Quelles sont les difficultés que vous avez pu rencontrer ? 

J’aurai initialement dû ouvrir le premier juillet sauf qu’il y a eu le premier confinement. A cette période le pays était à l’arrêt, plus aucun artisan ne travaillait. Mon projet a donc pris du retard car tout était bloqué. 

J’ai aussi rencontré des difficultés avec les banques. Je ne suis pas cuisinière de métier donc dans un climat de crise sanitaire, une des banques où je voulais emprunter a augmenté ses taux pour limiter les risques, la seconde s’est même rétractée. A ce moment-là, j’ai eu une grosse frayeur, je me suis dit « tout peut s’arrêter maintenant ». Heureusement, j’avais assuré mes arrières en contactant une troisième banque qui a cru en moi et en mon projet.    

Quelles sont les solutions que vous avez dû trouver pour vous faire connaître et vous rendre attractive ? 

Nous n’avons pas pu organiser d’inauguration pour nous faire connaître, donc j’ai axé ma communication sur les réseaux sociaux, Facebook et Instagram essentiellement.

 Je n’ai pas voulu faire de communication papier en boite aux lettres parce que je trouvais que ça n’allait pas avec mon concept de zéro déchet.  En plus de cela, les gens sont assez réfractaires sur la pub papier en général. Mais je n’ai pas oublié l’idée, car j’ai envie de faire une communication sur du papier ensemencé, probablement en mars/avril. 

Ce qui m’a beaucoup aidé aussi finalement, c’est le bouche-à-oreille. J’habite dans le coin depuis quinze ans donc forcément j’en ai beaucoup parlé autour de moi. 

Regrettez-vous de vous être lancer dans ce projet ? Avez-vous pensé à abandonner votre projet en voyant l’envergure de la crise sanitaire ? 

Absolument pas, c’est un projet que j’ai réfléchi pendant des années, je suis vraiment quelqu’un de très passionnée donc si j’avais dû abandonner ça aurait été avant même de trouver le local. Parce que finalement, les plus grosses difficultés sont vraiment au départ, trouver un local c’est le « nerf de la guerre », beaucoup de projet avortent parce qu’ils n’en trouvent pas. Et puis je dois avouer, dans toute cette aventure, j’ai eu les étoiles alignées donc je n’ai jamais regretté.  

Mon seul regret c’est de ne pas pouvoir encore exploiter à 100% mon concept. Je ne peux pas accueillir pour la restauration, pour les ateliers enfants, ni pour les after-work du jeudi. J’ai conçu ce restaurant pour que ce soit un lieu de vie et pas un endroit où on vient chercher son plat et on repart. 

Avez-vous été amenez à revoir votre business plan ? 

Absolument, je l’ai revu dès le départ, avant même d’ouvrir. L’idée c’était que crise sanitaire ou pas il faut que je travaille, donc il faut que je sois un commerce essentiel. J’ai donc décidé d’étoffer ma gamme d’épicerie. Toutes les autres modifications se sont faites en temps réel. Au second confinement, nous étions ouverts depuis 15 jours, je commençais tout juste à me faire connaître, ça a été un coup de massue. Mais je n’ai pas baissé les bras, je savais que j’allais devoir me renouveler tous les mois si je voulais garder du trafic. Dès la mi-novembre je me suis lancée dans la préparation de coffrets-cadeaux, qui ont très bien fonctionné jusqu’à Noël. En janvier c’était très calme, nous avons dû trouver une nouvelle idée. On s’est donc mis à la confection de galettes bios sur commande. Je ne voulais pas acheter des fèves sur internet donc j’en ai fait faire une dizaine par une céramiste de la ville, j’ai même caché une fève surprise dans l’une des galettes qui permettait d’obtenir des réductions à la boutique. 

Avez-vous pu bénéficier des dispositifs d’aide mis en place par le gouvernement ? Et si oui lesquels ? 

Ma salariée est au chômage partiel, c’est la seule mesure dont j’ai pu bénéficier.  Les grands oubliés de ce programme d’aide c’est ceux qui comme moi ont ouverts courant 2020, c’est franchement compliqué pour nous.  Je suis un nouveau restaurant donc je n’ai pas de revenus sur l’année dernière, je ne peux donc pas recevoir l’aide qui s’applique sur les revenus 2019. En plus de cela, comme je n’ai pas fait l’objet d’une fermeture administrative, je n’ai aucune aide de ce côté-là non plus, puisque je fais épicerie.

 Mais j’ai la niaque, je suis hyper motivée, je ne vais pas crier à l’injustice j’ai ouvert en connaissance de cause dans un contexte compliqué. Après, je reconnais que je suis plus cool parce que je bénéficie encore du chômage jusqu’à fin septembre 2021. Je n’ai donc pas besoin de me verser de salaire pour le moment, mais il est certain que si je ne l’avais pas eu, je n’aurai pas pu m’en verser un. 

Pensez-vous que la fermeture des restaurants soit une mesure nécessaire pour contrer la crise ? 

En toute honnêteté, on ne peut pas garantir que personne ne contractera le virus en venant manger à table dans un restaurant. Donc je pense que c’est une mesure qui est nécessaire, après, comme beaucoup de monde, ce qui me pose problème c’est qu’à côté de ça y’a énormément de choses qui sont autorisées ailleurs. Les caisses des magasins de grande distribution où tout le monde est entassé, c’est lunaire ! Quand je vois ça je me dis qu’il n’y a pas plus de risques de contracter le virus chez Carrefour que chez moi. Et puis manger au restaurant c’est aussi les mêmes risques que de laisser les gens faire les fêtes en famille et laisser les enfants reprendre l’école juste ensuite.

Que diriez-vous à Emmanuel Macron s’il se retrouvait fasse à vous ?

Je lui parlerai d’une aide minimum pour les gérants, le chômage partiel est pris en compte pour tous les salariés mais pas pour les gérants. Ce statut est quand même très compliqué. Oui, on fait le choix de l’être, mais c’est la première fois de ma vie que j’ai les sentiments de mal faire en prenant des congés, parce que quand je ferme je ne rentre pas de chiffre.

Donc dans un contexte comme celui-ci, qu’il n’y ait pas une aide minimum de salaire comme cela est fait pour le chômage partiel, je ne trouve pas ça juste, ça met des êtres humains en grande difficultés.

Propos recueillis par Solène Gautier 

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