Vanessa Grisard : « Les mathématiques ne sont pas du tout favorisées par la réforme du lycée»

Spécialités, orientation et charge de travail, Vanessa Grisard, professeure, fait le bilan de la réforme du lycée général et explique les répercussions sur sa matière : les mathématiques.

Vanessa Grisard est professeure de mathématiques depuis 22 ans, elle enseigne au lycée Richelieu dans les Hauts-de-Seine. Depuis deux ans maintenant, elle s’est adaptée à la réforme afin d’accompagner au mieux les élèves vers le supérieur. Alors que la première génération doit passer le nouveau baccalauréat cette année, Vanessa fait le point sur les ressorts de cette réforme.

  • En quoi consiste la réforme du baccalauréat ?

La réforme du lycée général consiste en la suppression des filières. Les élèves construisent leurs parcours en choisissant des spécialités.

Un des objectifs est de diminuer le nombre d’épreuves au baccalauréat afin de laisser plus de place au contrôle continu. Les deux épreuves de spécialité se déroulent au mois de mars. Ainsi, en fin d’année, les élèves devront seulement rédiger une dissertation de philosophie et passer le Grand Oral.

Le but est surtout financier : moins d’épreuves signifie moins de copies, moins de logistique et surtout moins de correcteurs à rémunérer. Nous, les professeurs, ne savons même pas si nous serons payés pour le Grand Oral.

  • Comment la réforme du lycée a-t-elle modifié l’enseignement des mathématiques ?

Désormais, les mathématiques ne font plus partie du tronc commun. Cette matière peut être choisie comme l’une des spécialités. Les élèves peuvent également étudier des « mathématiques complémentaires », s’ils souhaitent un programme plus léger. Cela permet de mieux répondre aux attentes de chacun mais cela peut créer des groupes hétérogènes. En effet, des personnes qui se dirigent vers des écoles de commerce ou vers médecine vont développer les mêmes compétences, ce qui n’a pas forcément de sens.

Les textes officiels disent que la réforme donne plus de place aux mathématiques mais selon des formes multiples; par exemple à travers l’enseignement scientifique, qui correspond à l’étude des sciences pour tous. Mais je ne suis pas d’accord, c’est leurrer les élèves que de dire qu’il y a des mathématiques dans l’enseignement scientifique. Nous n’intervenons même pas dans cette matière. Au mieux elle prodigue quelques outils.

  • La réforme pénalise-t-elle donc les mathématiques ?

Les mathématiques ne sont pas du tout favorisées par la réforme. Désormais, beaucoup d’élèves arrêtent d’étudier cette matière en fin de Seconde. Dans mon lycée, avant la réforme, environ 10% de nos élèves s’orientaient en L et abandonnaient les mathématiques. Aujourd’hui ils sont plus de 30% à ne plus en faire du tout.

A Richelieu, nous déplorons la suppression de cinq postes en mathématiques en trois ans de réforme. Nous en revenons à l’aspect financier de celle-ci, l’Éducation Nationale cherche à réaliser des économies. En plus de cela, la profession manque d’attrait : les mathématiques sont utiles dans de nombreux métiers aux rémunérations souvent plus attractives.

  • Quelles sont les conséquences de cette réforme sur le post-bac?

De nombreux élèves en Terminale se retrouvent bloqués dans leur choix orientation car ils n’ont pas choisi mathématiques en spécialité. Des prépas vont sûrement devoir fermer leurs portes à ces lycéens, même les plus brillants. Sur Parcoursup, les établissements du supérieur n’ont pas le droit d’imposer des spécialités, pourtant nous savons que pour certaines filières les mathématiques sont indispensables. Par exemple, je vois mal Paris-Dauphine recruter des élèves ayant seulement suivi des mathématiques complémentaires, ils auraient du mal à suivre la licence.

Laisser une plus grande liberté de choix aux jeunes semble positif. L’avantage est qu’il y a moins d’élèves complétement perdus choisissant une filière par dépit. Mais certaines combinaisons de spécialités sont à éviter pour pouvoir s’intégrer dans le supérieur. Ainsi, sur le papier cette réforme peut être sympathique, mais quelle filière va recruter des élèves ayant choisi SVT-SES ?

Le supérieur finira par s’adapter à ces nouveaux élèves, aux profils différents. Mais il y aura néanmoins un temps d’ajustement des programmes. Par exemple, j’ai assisté à une journée portes ouvertes d’une licence de mathématiques. Les professeurs expliquaient avoir mis en place un bref rappel sur les nombres complexes alors que ce chapitre n’est même plus enseigné en filière générale. C’est un cours complet, et non un rappel, qui est nécessaire !

  • Qu’est-ce-que la réforme a changé dans votre pratique quotidienne ?

Il n’y a désormais plus de notion de groupe classe ce qui ne permet pas une véritable cohésion entre les élèves. Dans ma classe de spécialité de Première, mes 36 élèves viennent de 12 classes différentes. C’est un peu compliqué à gérer, nous ne pouvons pas échanger avec les collègues sur le groupe et effectuer des bilans ensemble.

Ensuite, cette réforme a entrainé une lourde charge de travail. Le programme est très ambitieux ce qui demande beaucoup de préparation de cours. Jusqu’à l’annonce des suppressions des épreuves de mars à cause de la Covid, j’étais très stressée quant à l’ampleur des notions à travailler dans un délai aussi bref. C’est compliqué de réussir à accompagner les élèves en difficulté avec des chapitres aussi denses. Je trouve cela paradoxal de nous donner un programme ambitieux tout en réduisant nos heures et en nous demandant de diversifier les cours. Nous sommes censés développer les travaux de groupes, les oraux et réaliser des travaux pratiques d’informatique.

Ce nouveau programme est très intéressant mais c’est donc beaucoup de boulot. Heureusement, je travaille main dans la main avec une collègue. Nous avons la même façon d’enseigner, nous partageons donc tout : les interrogations, les corrections et les cours. Sans ce système je ne m’en serais pas sortie !

  • Quel bilan feriez-vous de cette réforme ?

Je pense que la réforme est nécessaire car le système précédent ne fonctionnait plus. Les résultats Parcoursup ne dépendaient quasiment plus du baccalauréat, qui perdait donc de son sens. Je ne saurais dire si la réforme sera efficace, il faudrait attendre six mois et l’arrivée de la première génération dans le supérieur. Mais la Covid aura un peu tout perturbé, et les élèves de cette année n’auront pas véritablement passé le nouveau baccalauréat avec toutes ces épreuves annulées.

Une de mes peurs est d’être obligée de repartir de zéro avec le prochain gouvernement en 2022. C’est Jean-Michel Blanquer qui porte tous ces changements, un nouveau ministre peut venir tout bouleverser. Une réforme ce n’est pas de tout repos !

Propos recueillis par Apolline Greiveldinger

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