Feurat Alani : “L’ombre de mon père plane au-dessus de chaque mot du parfum d’Irak”

Les vingts épisodes de la web-série Le Parfum d’Irak sont de nouveau disponibles sur Arte. Chaque épisode, de trois minutes environ, sort du lundi au vendredi à 15 heures. Au fil des semaines, on découvre le témoignage de Feurat Alani. De 1989 à 2011, on le voit grandir, voyager, s’épanouir avec sa famille. Feurat Alani se livre sur ses souvenirs d’enfance en Irak et sur les raisons de ce roman graphique.

Feurat Alani est un journaliste reporter français d’origine irakienne. Ex-correspondant à Bagdad entre 2003 et 2008. De retour en France, il a élargi son champ d’action aux autres pays arabes et même au monde entier en fonction des histoires. Le roman graphique Le Parfum d’Irak, a vu le jour à la suite de la web-série animée, en reprenant les illustrations du dessinateur Léonard Cohen. C’est ce livre qui a permis à Feurat Alani de remporter le prix Albert-Londres en 2019.

Pouvez-vous nous parler du projet de la web-série animée dont les épisodes sont en ce moment de nouveau disponibles sur Arte ? 

Contrairement à ce que l’on pourrait parfois lire ou croire, la série a été créée avant le livre. Lorsque j’ai terminé mon texte sur Twitter, nous avons discuté avec deux collègues d’en faire quelque chose. L’un d’entre eux étant illustrateur, nous avons décidé d’en créer une série animée car les souvenirs sont oniriques, et surtout passés. On ne peut pas filmer le passé. Donc l’animation s’est imposée. On peut remarquer que les dessins sont incomplets, à l’image de mes souvenirs. Ensuite, à partir de la série, nous avons pris les dessins et le texte pour en faire un roman graphique. Le superbe travail d’animation de Léonard Cohen a permis aux images et au son de former une union harmonieuse et puissante. Arte poste les épisodes sur Instagram pendant tout le mois de février mais l’intégrale de la série est également disponible sur leur chaine Youtube.

Le roman graphique est composé de 1000 tweets, écrits pendant l’été 2016. Pourquoi avoir choisi cette forme là ? 

D’abord pour exprimer quelque chose de différent sur l’Irak que je voyais dépeint comme un chiffre, comme un pays où le quotidien n’était ponctué que par des attentats. J’ai voulu raconter sur Twitter l’envers du décor, le côté plus humain. Ce réseau social regroupe beaucoup d’analyses froides sur l’Irak. J’ai donc tenté d’apporter quelque chose de plus chaleureux, de plus intime. Il s’agit d’un journalisme d’immersion, un peu subjectif mais tout en rapportant des faits objectifs. C’est ce regard personnel qui manque beaucoup aujourd’hui. C’est pourquoi il était important pour moi de raconter mon histoire et l’histoire de l’Irak. Important en tant que journaliste pour apporter de l’information mais aussi en tant que français d’origine irakienne. J’ai une histoire avec l’Irak et j’ai ressenti le besoin d’en parler. La contrainte des 140 caractères sur Twitter à l’époque m’a permis d’être très direct.

À travers tous ces tweets, vous vous faites le témoin visuel mais surtout olfactif et sensoriel de l’Irak que vous avez connu. Pouvez-vous expliciter le rôle des odeurs et des goûts dans le récit ?

J’ai une mémoire très sensorielle. Le goût et les odeurs me rappellent des souvenirs très précis. Donc j’ai tenté, très modestement, à la manière de Proust de raconter ma madeleine d’Irak. C’est aussi une manière de personnifier l’histoire et de la rendre universelle. On a tous mangé des glaces, on a tous des souvenirs de l’enfance qui nous parlent. Ainsi, toute personne peut se reconnaitre dans mon témoignage ou du moins, imaginer. L’odorat est un vrai défi pour la fiction. L’image marque les esprits mais l’odeur s’imprime au coeur des entrailles. La démarche initiale était notamment de raconter l’Irak autrement. Le goût de la glace à l’abricot ou encore l’odeur du thé irakien en sont, pour moi, des exemples. Il s’agit des parfums d’Irak, le parfum d’Irak. Il y a aussi, bien-sûr, l’odeur de la poudre ou encore l’odeur de la guerre, qui ont largement marqué mon esprit. Insister sur ces odeurs est une manière, pour moi, d’humaniser le conflit, de raconter le quotidien des irakiens.

Vous racontez vos souvenirs d’enfant et d’adulte à travers l’Irak sous la dictature, l’embargo, la guerre et la genèse de l’État islamique. Comment vivez-vous ce contexte difficile ?

J’aurais du naitre à Falloujah. Enfant, j’ai assez mal vécu le fait d’être né en France, dans un pays favorisé et paisible. À travers mes voyages, j’observais sans cesse un décalage complet entre la vie que je menais en France et la misère que je découvrais en Irak. Le sentiment de culpabilité m’a envahi de nombreuses fois. Ce syndrome de l’imposteur me pose toujours problème aujourd’hui. J’ai eu une vie beaucoup plus privilégiée que celle de ma famille. Je suis aussi privilégié dans le sens où j’ai eu la chance de voir un Irak qu’on ne voit pas facilement. J’ai donc pu raconter mon histoire, de manière différente, avec un autre regard. C’est donc une sorte d’hommage que je rends à ma famille, mais aussi aux irakiens.

Vous avez dédié le prix Albert-Londres à votre père, ancien opposant à Saddam Hussein. Quelle place occupe-t-il dans ce roman graphique ? 

La place de mon père est centrale, elle est au cœur de mon témoignage. Tout tourne autour de lui dans le sens de l’histoire. C’est lui qui fuit l’Irak. Lui qui décide de rester en France. Lui qui nous fait voyager dans ce pays. Lui qui décide d’y rentrer après la guerre. L’ombre de mon père plane au-dessus de chaque mot du parfum d’Irak. Mon Irak, l’Irak que j’ai vu, l’Irak qui est un peu ma quête perdue, c’est aussi l’histoire de mon père. J’ai décidé de lui dédier l’Albert-Londres, trois semaines après son décès. 

Propos recueillis pas Élisa Féliers. 

le chapo et l’intro sont un peu confus… il faut remettre de l’ordre dans ttes ces infos. comment expliqueriez vous cela à vos grands parents ? ce n’est pas facile ! « Né sur les réseaux sociaux, le récit autobiographique est devenu une web série puis un roman graphique.« 

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