Corinne Barbara : « La danse est une expansion intérieure, des sensations et des émotions en soi, qui donnent à voir à l’extérieur, sur un plateau ou sur une scène. »

60 ans de danse plus tard, Corinne Barbara continue de vivre de sa passion et ceux depuis ses premiers pas. Danseuse, chorégraphe et pédagogue au Cours Florent, elle nous raconte son parcours de vie effrénée en tant qu’artiste. En tournée prochainement, si les conditions sanitaires le lui permettent, son espoir et sa force lui insufflent énergie et volonté pour continuer de danser comme à ses 20 ans.

Quel chemin as-tu parcouru avant de devenir danseuse professionnelle? 

« J’ai commencé la danse dès mon plus jeune âge. Mes parents répétaient sans cesse: ‘notre fille sait danser avant de lire ou écrire’. D’ailleurs le premier mot que j’ai su dire c’était danse. Je suis née en voulant être danseuse et j’ai vécu de ma passion depuis. À 3 ans, j’ai enfilé mes premiers chaussons et mon tutu pour faire du classique. Il passait souvent des pièces de ballets à la télévision. Je les observais avec admiration et cette pensée résonnait toujours dans un coin de ma tête: ‘voilà j’ai trouvé ce que j’allais faire de ma vie’. Après, je n’ai jamais vraiment fait de concours ou gagné des prix car je suis devenue professionnelle très rapidement. Je suis allée jusqu’au bac, c’était la condition parentale nécessaire afin de pouvoir passer le concours de l’opéra et danser. J’ai remporté le concours et miracle je suis rentrée au Conservatoire de danse classique de Bordeaux. J’étais danseuse professionnelle à 17 ans. En y repensant, il est amusant de voir qu’en 1976, l’année du bac, je gagnais plus que ma mère en étant sur scène. En étant assimilée fonctionnaire, je percevais 1000 francs par mois. Pour l’époque, c’était une très belle somme! » 

As-tu rencontré des difficultés durant ton parcours ? 

« J’ai passé deux auditions dans ma vie… Tous les contrats que j’ai reçu ont été obtenus grâce au bouche à oreille. Je n’ai pas rencontré de quelconques difficultés financières et toujours obtenu de nombreux contrats. J’ai eu la chance de pouvoir pour ainsi dire toujours choisir ceux pour qui je travaillais. Par exemple, aux États-Unis, j’ai travaillé avec Elisa Monte, une merveilleuse danseuse, je la surnommais la « killeuse ». Les exercices exigés sous sa tutelle étaient éprouvants. Quoiqu’il en soit, j’ai peut être rencontre des épreuves où je devais dépasser mon corps et mes aptitudes mais je ne me suis jamais retrouvé face au mur. Si jamais je n’aimais pas le travail que je réalisais, je pouvais me payer le luxe de l’abandonner. Par exemple, se produire à la télévision ou dans des clips, cela ne m’attire pas du tout, il y a cet aspect commercial qui me déplait et je ne veux pas commercialiser la danse. Sinon, j’ai aimé tous mes spectacles, je n’ai jamais eu de mauvaises expériences. »

Être danseuse professionnelle, en quoi cela consiste? 

«Engagée au corps de ballet de l’opéra de Bordeaux, j’étais tous les soirs en scènes entre opéra, opérette, ballet classique et création théâtrale. Dés 17 ans, je réalisais des spectacles tous aussi singuliers et colorés les uns des autres. La scène est ma deuxième maison, tout comme le théâtre. Devenir danseuse professionnelle, c’est aussi prendre le cap vers la ville des artistes et de la culture: Paris. Je ne vais pas mentir, j’ai toujours rêvé de Paris ( comme tout artiste ) et j’ai fini par m’y diriger pour y apprendre la danse moderne et le jazz. J’ai par la suite travaillé la danse contemporaine avec des chorégraphes professionnels tels que Maguy Marin et la lignée de Pina Bausch. Être danseuse professionnelle, c’est multiplier les troupes de danses, les chorégraphes et metteur en scène. La créativité du corps est constamment explorée à travers les yeux d’artistes singuliers.

Être danseuse professionnelle nécessite beaucoup d’entrainements. Comment qualifierais-tu ta journée type ?

Ma journée typique commence par les entrainements physiques et cours de danse du matin. Il faut sans cesse apprendre et s’entraîner pour maintenir sa souplesse et son corps. Puis les après-midis et les soirs, avec les troupes auxquelles j’appartiens, nous réalisons des tournées. Je travaille non-stop. À titre d’exemple, en 1978, je suis devenue intermittente du spectacle, soit à 20ans. J’ai fait des tournées internationales en Asie et aux Etats-Unis. J’ai travaillé aux théâtres de la ville à Châtelet. En 60ans, je pourrai vous citer des dizaines de troupes de théâtres et de danse contemporaines avec lesquelles j’ai joué : Peter Goss, Jean Gaudin, Elisa Monte… Mes plus beaux souvenirs sont associés à la chorégraphe Maguy Marin. Cette femme était dure et intransigeante, il ne fallait jamais se tromper et tous nos spectacles était d’une précision et beauté. Le corps travaillait, se dévoilait chaque millième de seconde. » 

Pourquoi as-tu choisi d’enseigner la danse aux Cours Florent? Est-ce par nécessité ou par choix ? 

« J’ai pratiquement toujours enseigné la danse par hasard. Je n’ai pas été professeure toute ma vie mais ne serait-ce avant les spectacles, amis et danseurs me suppliaient de les échauffer. Au départ, on aide 2 personnes puis 3 et enfin toute une classe. Je ne voulais pas forcément devenir professeure à temps plein car j’avais la scène et les tournées à côté qui sont très importantes à mon goût. Je voulais être professeure de ‘temps en temps’. Mes rencontres dans le milieu de la danse m’ont permises d’arriver aux Cours Florent depuis 8 ans et de réaliser un cours d’options nommé «Corps en jeu». Cette option consiste à réaliser, 3 heures par semaine, des exercices d’assouplissements, de mémorisation sensorielle, de chorégraphie et d’improvisation de danse sur le plateau. Des acteurs sans corps, sans confiance dans leurs mouvements, cela est triste. Il faut savoir prendre l’espace avec la voix et le jeu mais surtout avec le corps. Le corps parle, il exprime une personnalité, donne une énergie. Il est indispensable d’avoir une présence sur scène. J’ai déjà enseigné pour des adolescents dans les options de danse au lycée, j’ai détesté cette période. Ils n’étaient pas concentrés, pouffaient de rire sans cesse, n’étaient pas partant à travailler. La beauté du Cours Florent réside dans le fait que les élèves sont avant tout des artistes et passionnés et qu’avec eux enseigner devient un plaisir. Cela m’est égal leur niveau, ce qui compte c’est cet échange de performances concomitant. Être mieux dans son corps permet d’obtenir des acteurs avec un ‘corps en jeu’. »

As-tu des préférences en danse ? Comment caractériserais-tu ta danse et la danse en générale?


« J’apprécie tous les types de danse en général. Chaque danse a sa particularité, sa beauté et son importance pour que je les aime toutes. Après, je porte un amour considérable pour Michael Jackson. Non, plus sérieusement, mes préférences tendent vers la danse contemporaine surtout si elle est mélangée à du théâtre que ce soit une mise en scène ou une abîme. Sinon, le mot danse représente à mon gout l’espace intérieure et extérieure. La danse est une expansion intérieure, des sensations et des émotions en soi qui donnent à voir à l’extérieur, sur un plateau ou sur une scène. La danse c’est la personnalité intérieure de chacun qui se répand dans l’espace au fur et a mesure que le corps prend et inonde la pièce où il s’exerce. J’admire pour cela un danseur classique russe Mikhaïl Baryshnikov qui a fait carrière à New York. Il est insensée! Sa danse est inimitable, c’est pour moi l’un des meilleurs danseurs classiques de notre époque. La danse représente également de l’entrainement, de la persévérance. Je réalise près de 12 heures de danse et entraînement par semaine. Entretenir son corps et sa santé est indispensable. »

À quoi penses-tu lorsque tu danses? 

«Il y a tant de manières différentes de danser. Lorsque je mélange le théâtre et la danse, je dois penser à l’émotion ressentie. Par exemple, dans la pièce que je joue en ce moment, un de mes solos de danse part de ma réaction, mon état de choc, face à ma fille qui annonce qu’elle lâche tout ce qu’elle a et démissionne. Ma fille va tout perdre. Dans cette situation, je suis obligée de penser au vertige que peut ressentir une mère face à cette vérité qui lui explose au visage et de ce fait transmettre l’émotion dans la danse. Durant un ballet, il n’y a pas de textes ou d’histoires sur lesquels je dois appuyer ma danse, dans ce cas là, je ne réfléchis qu’à l’esthétique et la qualité du mouvement. Est-il fluide, lourd ou léger? Je dois danser jusqu’au bout des doigts et au-dela. Cela procure d’autres sensations, il ne faut pas chercher à retranscrire une émotion particulière mais travailler l’esthétique du geste.»

Quels sont tes projets aujourd’hui, et particulièrement en période de crise sanitaire? 

« Depuis juin, je suis dans une pièce de théâtre nommée « Successions » que nous avons joué 2 fois avant le reconfinement. Dans la pièce, nous sommes tous danseurs et comédiens. L’histoire narre un diner de famille qui part en cacahuète.  La pièce entremêle des passages de danse et de théâtre, le tout devient très dynamique et tient le spectateur en haleine. Par exemple, des danses partent de la parole, d’un monologue et vont exprimer soit ce que j’ai dit ou alors ce que je suis censée ressentir. Il est tout de même difficile en ce moment d’avoir des projets. Les conditions sanitaires nous oblige de répéter et danser avec des masques. Au moins, le présentiel est autorisé. Dans certaines écoles de danse, les cours sont en zoom. Je ne crois pas qu’on puisse apprendre à danser à travers des ordinateurs, cela est déprimant. On est coupé de tout l’aspect humain et de partage qu’offre la danse. La danse est un art-vivant! Par exemple, je travaille avec l’école «Les arts vivants », à Bastille. C’est une école de formation professionnelle de danseurs. Les élèves sont réjouis à l’idée de pouvoir travailler en studio. Un danseur doit constamment s’entrainer pour ne pas perdre son niveau et le confinement les endigue dans leur travaille. Un jour, tout redeviendra t’il normal? Pourrons-nous tranquillement nous détendre au bar après 2 heures d’entraînements?  »

Par Ines Chartois

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