Street art de la Butte aux Cailles : les œuvres éphémères subliment le quartier historique 

Façade décorée d'un immeuble de la Butte aux Cailles - Photo : Jeanne Poëncin-Burat

            Parisienne depuis 1860, la Butte aux Cailles et son atmosphère de hameau populaire regroupent les artistes parisiens. Nommée après un sculpteur et céramiste, la Butte est aujourd’hui la toile de centaines de street artistes. Leurs œuvres recouvrent les murs entiers de passages pittoresques, les façades des immeubles gris, et les angles des rues pavées du 13e arrondissement. Des plus grands artistes, aux simples détenteurs de marqueurs, la Butte a su regrouper en ses murs un art éphémère, attirant touristes et parisiens. 

            Le temps gris donne un air triste à toutes les œuvres. Les rues presque désertes laissent les murs colorés interagir entre eux. « Je me balade souvent seule ici, je regarde les dessins et j’ai l’impression qu’ils me parlent » dit Mathilde, l’une des seules passantes de la rue de l’Espérance. Déchets et feuilles s’entremêlent au sol. Un sac plastique vole jusqu’en bas d’une fresque. C’est Deux enfants, de Seth partiellement recouverte d’autres œuvres. Presque aucune n’est intacte. Sur tous les murs de la Butte, rares sont les créations non repeintes, sans partie déchirée, et non recouvertes de tags « Zemmour 2022 » barrés au posca rouge.

Malgré le calme de ce dimanche matin, les œuvres sont, elles, mouvementées. « C’est sympa que ça change aussi souvent, ce sont les lois du street art. ». En partant, Mathilde s’arrête devant le sac au pied de la fresque de Seth et le met à la poubelle, l’œuvre semble la saluer.  

 Deux Enfants de Seth– Photo : Jeanne Poëncin-Burat

Entre contemplation et habitude

Rue de la Butte aux Cailles, les passants sont plus nombreux. Certains s’arrêtent pour contempler, d’autres tracent leur route. Ils sont habitués sûrement aux œuvres environnantes. « Si je regardais chaque œuvre séparément, je serais tous les jours en retard de deux heures. J’habite au fond de la rue. Les œuvres je les vois tous les jours et même depuis ma fenêtre. » Simon réplique d’un air distant. Il rentre chez lui, les yeux braqués sur son téléphone. Les œuvres n’arrivent pas à convaincre tout le monde…

Sur le trottoir d’en face, une femme regarde avec attention le mur. En haut, s’y dresse un miroir sur lequel est gravé « CANICULE » et « FAMINE ». Il s’agit du projet du collectif Action contre la Faim – Paris. Plusieurs miroirs gravés de ces mots ont été fixés sur les murs parisiens pour sensibiliser les passants aux conséquences du réchauffement climatique sur la faim dans le monde. Sur la Butte, ces miroirs se fondent dans la masse de toutes les autres œuvres. La femme au pied du mur semble hypnotisée. Elle, est convaincue. En reculant elle dit à un homme resté fixé sur l’œuvre précédente « Viens voir Léo, comme c’est joli ! ». 

Femme regardant le miroir – Photo : Jeanne Poëncin-Burat

Une atmosphère de « révolte qui fait du bien »

            Le ciel est bas, les gens masqués, la seule couleur qui paraît émerge des murs. En regardant de plus près, on peut y apercevoir les différents messages des œuvres. Toutes ont une envie de transmettre. Beaucoup ont pour enjeu la condition des femmes. On peut lire sur les murs : « Un hymne à la liberté résolument féministe », « Message d’une femme à une autre » « Suck my feminism ». Au milieu des collages d’associations féministes, ces œuvres envoient un message puissant. Difficile de passer à côté de la fresque de l’artiste Combo de plus de six mètres qui fait l’angle des rues Barrault et Alphand.

A cet endroit, deux jeunes sont assis sur la marche d’un immeuble. Esteban et Marion ont 18 ans. L’une a amené l’autre découvrir le quartier et ses trésors peu connus. Il regarde pour l’une des premières fois la fresque rose pimpante manifestant « Liberté Égalité Féminité ». « J’aime son message et surtout le fait qu’elle soit accessible à toutes les personnes même celles qui n’ont pas envie de la voir. C’est pour elles que ce genre d’art est mis en place. Ça créé un air de révolte qui fait du bien. C’est important, je trouve, d’admirer toutes les œuvres mais les comprendre c’est encore mieux. ». Comme Esteban, chaque passant essaye de comprendre, à sa façon, le message des œuvres. 

Fresque de Combo – Photo : Jeanne Poëncin-Burat

Les œuvres forment « un mélange impressionnant »

            Sur le retour de la Butte, des immeubles entièrement peints dominent la panoplie de petites mosaïques et affichettes. Dans la rue du Moulinet et celle du Moulin des Prés, des œuvres de plus de 9 mètres de haut illustrent les décors gris du derrière de la Place d’Italie. « Dix habitants du 64 rue du Moulin des Près : une fresque d’Ernesto Novo pour le sentier Street Art du Grand Paris » – figure à côté d’une boîte aux lettres rouillée. Au-dessus, les dix visages peints donnent le sourire à chaque personne qui passe devant. « Je prends le bus 57 ici tous les matins, je ne cesse jamais de sourire quand je vois l’œuvre. » dit Murielle, une cinquantenaire demeurant la Butte depuis plus de quinze ans.

Quand on se promène au bout de la rue du Moulin des Près, ce sont aussi les petites œuvres qui sautent aux yeux. Certaines ne dépassent pas les vingt centimètres. Mais assemblées, elles forment une fresque composée d’une multitude d’arts différents. Murielle, assise à l’arrêt du bus, rapporte que ces différences sont justement le propre de la beauté de la Butte. Pour elle, « c’est tout un mélange impressionnant qui ne cesse d’évoluer et de changer, c’est une chance que de pouvoir se balader ici librement. ». 

Lorsque le bus s’en va avec la femme, la pluie se met à tomber. Les yeux des passants se plissent. Ils ne voient alors que leur bout de chemin et cessent de regarder, pour les nombreux qui le faisaient, les œuvres qui les environnent. Pourtant, elles sont toujours là, et continuent de donner vie aux rues pavées de la Butte aux Cailles. 

10 habitants du 64 rue du Moulin des Prés de Ernesto Novo – Photo : Jeanne Poëncin-Burat
Fresque de la rue du Moulinet de Jace – Photo : Jeanne Poëncin-Burat
Ensemble de collages – Photo : Jeanne Poëncin-Burat

Pour plus d’œuvres d’art de la Butte aux Cailles :

Vidéo retraçant les œuvres vues durant le reportage – Crédit : Jeanne Poëncin-Burat

Jeanne Poëncin-Burat

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