Capucine Baudin est étudiante en deuxième année à l’Université Paris-Dauphine. Originaire de Morangis, ville de 13 000 habitants dans l’Essonne, l’étudiante se confie sur les difficultés qu’elle éprouve en termes de « transfuges de classes ».
Capucine Baudin a 20 ans. Depuis deux ans, elle étudie dans le 16e arrondissement parisien, un cadre différent que celui dans lequel elle a grandi. Elle a été élevée à Morangis, petite commune paisible de l’Essonne. Entre vie familiale populaire et vie universitaire rythmée d’élitisme parisien, Capucine a dû s’adapter à un changement drastique de style de vie.
Vous avez intégré Dauphine en 2020. Quelles similitudes et différences remarquez-vous entre votre milieu universitaire et celui d’où vous venez ?
Il y a beaucoup de points similaires, le plus important pour moi étant le regard des autres. À Paris, dans les milieux les plus élitistes, ou dans les quartiers populaires de l’Essonne, le regard des autres est tout autant important. Mais les attentes de ceux qui regardent diffèrent. Dans les deux milieux que je côtoie, je dois satisfaire des attentes, parfois contraires. Par exemple, dans mon collège, les bons élèves étaient mal vus. C’étaient les intellos. Alors qu’arrivée au lycée, dans un milieu social déjà plus élevé mais moins qu’à Paris, les bons élèves étaient valorisés. Le poids du regard des autres est identique, mais il se nourrit des habitudes sociales de chaque milieu. Les différences sont plus flagrantes, et plus visibles. Elles sont dans la manière de s’habiller, de parler… Les relations à la culture sont distinctes selon Morangis ou Paris-Dauphine. Il n’y a pas de théâtre dans ma ville natale, et je ne suis pas habituée à aller au musée pour faire des sorties familiales. Ici, la grande majorité des étudiants baigne dans leur accès à la culture privilégié. Ce sont vraiment deux mondes opposés socialement.
Quel rapport à l’éducation avez-vous reçu ?
Mes parents n’ont pas fait d’études. Ma mère n’a pas le bac, mon père l’équivalent d’un bac pro. Ils m’ont toujours poussé à faire des études supérieures et à avoir des bonnes notes. C’est quand même important pour eux de savoir que j’ai un avenir assuré, sans vraiment trop comprendre ce que je fais. J’ai toujours eu de bonnes notes, sans réellement faire d’effort jusqu’à la fin du lycée. J’ai été scolarisé dans un collège de ma ville, d’un niveau que je considère comme normal. Pour le lycée, j’ai dû prendre certaines options particulières et faire ce que je pouvais pour intégrer le lycée Descartes d’Antony. Il est à une heure en bus de chez moi, et est réputé pour permettre à plus d’élèves d’intégrer de bonnes universités. Là-bas, le niveau est plus élevé. Ceux scolarisés dans d’autres lycées du secteur ont beaucoup moins de chance de quitter la ville et d’intégrer des universités prestigieuses.

A votre arrivée à Dauphine, vous êtes-vous sentie à votre place ?
A mon arrivée, je ne me suis pas du tout sentie à ma place… La différence de niveau scolaire m’a vraiment déboussolée. Je n’étais pas habituée à travailler beaucoup et l’écart de niveau d’avec là d’où je viens m’a vraiment sauté aux yeux. Même si pour chacun l’écart lycée-université est important, il y a beaucoup d’étudiants qui viennent de prestigieux lycées, parisiens ou provinciaux, et je me suis sentie démunie. Aussi, je n’avais rien en commun avec les gens qu’il a fallu que je côtoie d’un coup. Nous n’avions pas les mêmes modes de vie, aucune affinité, pas le même rapport au monde. Je ne me suis pas sentie inférieure, mais bien trop différente pour m’intégrer. Je n’avais aucun repère. J’étais peu de fois venue à Paris seule, encore moins en RER. Je ne connaissais personne, à Dauphine ou à Paris. J’ai été déconnecté de là d’où je viens, pour atterrir dans un autre monde, inconnu.
Comment alternez-vous vos modes de vie entre Paris et Morangis ?
Je suis très bonne actrice et j’ai appris à m’adapter. Chez moi, je ne parle pas de sujet en rapport avec Dauphine. Je n’évoque pas mes cours à mes proches de Morangis. Si j’agis comme je le fais à Paris, on me regarde en rigolant. Je tire un trait sur Dauphine en rentrant à Morangis. A Paris, c’est légèrement différent. Je raconte ma vie privée, ma famille et ma ville dont je suis fière. C’est toujours plus simple d’expliquer ma situation à des gens de catégories sociales plus élevées qu’inversement, car les personnes que je côtoie chez moi ne comprennent pas toujours ce que je fais.
Pensez-vous qu’il faille choisir un jour entre vos styles de vie ?
En ce moment, je suis dans une période où je vis et fais mes études à Paris, mais le weekend je rentre à Morangis chez mes parents. Je côtoie les deux côtés de ma vie chaque semaine. Mais le jour où j’aurai une vie stable ailleurs, alors je pense que naturellement le milieu favorisé prendra le dessus. Sortant de Dauphine, j’aurai en effet un emploi qui assure mon ancrage dans ce milieu favorisé. Mon ancrage familial, lui, ne sera pas aussi fort car je verrai moins mes proches. Mais d’autres facteurs sont aussi à prendre en compte. Je suis en couple depuis trois ans avec un garçon qui vient du même milieu social que moi. Si nous restons ensemble, alors le côté favorisé ne prendra pas forcément le dessus. Avec lui, je resterai toujours comme je suis à Morangis actuellement, et je grandirai avec les deux côtés de ma vie, que j’apprécie autant.
Avec le recul de vos deux années à Paris, quel est, aujourd’hui, votre ressenti ?
Aujourd’hui, je me sens légitime d’être ici. J’ai réussi ma première année, et m’épanouis, le plus souvent, dans mes études. Mon rapport aux gens s’est beaucoup amélioré. J’ai compris que tant que je n’ai pas honte de là d’où je viens, les gens n’en ont que faire. Surtout, j’ai depuis septembre un studio à Paris. Donc je ne fais plus trois heures de RER par jour. Ça me permet de mieux ranger mes journées. En semaine, je suis dans cette bulle parisienne. En rentrant, je redeviens la fille de Morangis. J’ai appris à créer un équilibre pour m’adapter, et je me sens bien.
Jeanne Poëncin-Burat
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