La Seine-Saint-Denis mise sur le rugby comme outil d’insertion sociale

Des enfants jouant au rugby à l'AC Bobigny 93 : Crédit photo Louis Langrenne

Avec son taux de chômage de 11%, la Seine-Saint-Denis est dans le top 10 des des départements français à 3 points au-dessus de la moyenne nationale. Le 93, c’est le département cliché de la banlieue. Il rime avec HLM ou football mais pas avec rugby. Pourtant le stade de l’Equipe de France se trouve à Saint-Denis et de nombreux acteurs travaillent au développement de ce sport dans le département.

Un travail à l’échelle du département

un exemple d’évènement organisé par le Comité Rugby 93 dans le stade Raoul Montbrand à Pantin : Crédit photo : Comité Rugby 93

« Dans le 93 le rugby n’est pas très connu » indique Thomas (nom modifié pour le reportage), qui
travaille pour le Comité Rugby du 93. Il est chargé d’organiser des ateliers dans le département pour
donner envie aux jeunes de se lancer dans le rugby. Il explique que ses missions sont très variées,
parce que les populations sont très diverses : les habitants de Pantin ne ressemblent pas du tout à
ceux de Montfermeil, et les problématiques sont différentes. C’est cette diversité des profils qui l’a
intéressé en Seine-Saint-Denis. « Ici toutes mes journées sont rythmées par de nouvelles rencontres,
on voit passer des jeunes de toutes origines, issues de différentes catégories socio-professionnelles,
c’est vraiment vivant ».
Dans le Comité, les actions peuvent aller de l’organisation de jeux de découverte du ballon ovale
jusqu’à celle de stages pour des semi-professionnels. Il y en a pour tous les niveaux. Dans le 93 tout
le monde peut y trouver son compte. Certains clubs jouent à un niveau presque professionnel dans la
troisième division française tandis que d’autres pratiquent le rugby loisir dans des divisions moins
élevées.
Dans l’actuelle équipe de France, deux joueurs ont été formés dans le 93. « C’est une fierté pour le
Comité et on espère que cela va donner envie aux plus jeunes » confie un bénévole du Comité Depuis le début du XXIème siècle, le rugby se professionnalise et ce sport est une opportunité pour les jeunes de s’en sortir. « Ici les enfants sont très sportifs mais ils veulent tous faire du foot ou
de la boxe alors que certains physiques auraient bien plus de potentiel dans le rugby » répète
Thomas. Le rugby est un sport où il existe une très grande diversité de postes. On peut jouer avec
presque n’importe quel physique, être lourd peut rapidement devenir un avantage.
Le Comité veut que l’on sorte de l’image négative de la banlieue. A travers le sport, il veut montrer
qu’il existe une multitude de voies pour s’en sortir. Il faut en finir avec le cliché du banlieusard qui n’a
que trois voies pour s’en sortir : le foot, le rap, ou la drogue.

L’AC Bobigny, un ancrage local fort

Du rugby en bas de chez moi : crédit photo : Association Mejless

L’AC Bobigny a longtemps été le club phare du 93, anciennement 4 ème meilleur club d’Île de France, il a formé de nombreux joueurs professionnels. Il se distingue par le fait qu’il est le seul centre de
formation du département. A l’AC Bobigny, de nombreux éducateurs travaillent d’arrache-pied pour
aller dans les quartiers rencontrer, motiver et recruter des enfants. Yelen, salarié du club,
explique aller dans les écoles afin de présenter le rugby. Mais ce n’est pas tout, avec son collègue
Vincent, il est à l’origine du projet « Du rugby en bas de chez moi ». Cet évènement consiste à aller le
plus souvent possible dans des quartiers Balbyniens (comme Chemin Vert, l’Etoile ou l’Abreuvoir) et y
organiser de petits jeux autour du rugby pendant une journée ouverte à tous, en accès libre. L’AC Bobigny travaille directement avec des associations de quartiers comme MEJLESS, dans le centre de
Bobigny. Souvent l’association se charge de communiquer autour de l’évènement pour y faire venir
les enfants, et le club s’occupe des activités. « On préfère voir les enfants au rugby que dehors »
indique Demba (son nom a été modifié), l’un des cofondateurs de MEJLESS.

« On sait que beaucoup de jeunes de banlieues ont des capacités athlétiques extraordinaires et une
énergie à revendre, on les pousse à les exploiter dans le cadre du rugby » dit Yelen. Le club est
fier d’avoir formé beaucoup de joueurs de talent. C’est par exemple le cas de Cameron Woki qui, à
23 ans, joue déjà en tant que titulaire de l’équipe de France. Les joueurs formés au club reviennent
de temps en temps à Bobigny et s’efforcent de partager leur passion avec les plus jeunes.
Ce qui est frappant à Bobigny, c’est la diversité des profils.

Un sport que tout le monde peut pratiquer

Le club est ouvert à tous. Cela se voit notamment avec les équipes féminines. Alors que la plupart des clubs n’ont pas d’équipes féminines (à partir de 15 ans les filles et les garçons ne peuvent plus jouer ensemble en compétition, aux yeux de la FFR), Bobigny met un point d’honneur à rayonner dans cette catégorie. En effet les « louves » de Bobigny sont présentes en élite 1, le meilleur championnat de France, où elles rencontrent des clubs historiques comme le Stade Toulousain. Pour les filles, le rugby c’est aussi un moyen de sortir de chez soi. Beaucoup d’entre elles assurent « être devenues des femmes » grâce au rugby. Le club compte deux vice-championnes olympiques dans ses rangs.

Affiche à Bobigny : crédit photo Louis Langrenne

L’AC Bobigny : une « école de la vie »

A Bobigny, on va plus loin que le rugby. Le club essaie de créer une ambiance familiale. Il a par
exemple proposé des vacances au ski pour les minimes (12-14 ans). « A Bobigny c’est 50% rugby 50%
social » confie un éducateur. Pour la première année, le club ne fait pas payer la licence et des
efforts sont toujours faits lorsque les parents sont en difficulté. Les éducateurs passent des appels
aux parents pour les rassurer (beaucoup ont l’image d’un sport violent et ont peur d’y envoyer leurs
enfants). Pendant les vacances, des aides aux devoirs sont organisées et le club essaie de suivre au
plus près la scolarité des jeunes licenciés du club. Le club a directement accès au dossier scolaire de
ceux qui ont intégré le centre de formation, et essaie de les motiver et de les encadrer pour une
scolarité la plus réussie possible. Pour l’AC Bobigny 93, le rugby c’est un sport, mais aussi des valeurs
à transmettre : c’est pourquoi on y parle beaucoup d’«école de la vie ».

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Fête d’Halloween à l’Ac Bobigny 93 : Crédit photo : AC Bobigny 93

Quelles perspective pour le futur ?

Yelen indique que ce n’est pas de tout repos de travailler à l’AC Bobigny 93. Il y a beaucoup de
bonne volonté mais peu de moyens, beaucoup de choses à faire mais peu de salariés. « Dans le 93 il y
a 18 clubs mais peu réussissent à avoir une école de rugby très développée, on devrait travailler
davantage ensemble » selon lui. Les clubs de Sevran, Villepinte et Tremblay se sont bien alliés pour
donner naissance à « Terres de France » et des alliances sont organisées selon les catégories chez les
jeunes (chez les juniors (16-18 ans) a été créée une équipe Union 93 qui rassemble les clubs de
Bobigny, Pantin, La Courneuve, Noisy le Sec et Bagnolet) mais ce n’est qu’un timide début.

Louis Langrenne

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