A Gare du Nord, salariés et voyageurs avisés à ne pas sortir sur le parvis

Les vols et agressions qui surviennent quotidiennement à Gare du Nord rappellent à ses employés et ses 700000 voyageurs de toujours rester en état d’alerte à l’intérieur de la plus grande gare d’Europe.

A 6h du matin, la Gare du Nord, est déjà empreinte de l’agitation perpétuelle qui la caractérise. Les salariés du matin des boutiques haut de gamme fourmillent et remplissent leurs étalages lumineux et sophistiqués des nouvelles livraisons. L’odeur du pain frais et du chocolat chaud se répand dans la gare refroidie par la nuit et adoucit le visage des voyageurs. Anglais, espagnol, chinois, coréen…les conversations s’emmêlent et se meuvent au rythme précipité des personnes venues des quatre coins du monde, seulement interrompues par les annonces ponctuelles à travers les haut-parleurs de la SNCF. En tendant l’oreille, on peut entendre le bourdonnement électrique sur les rails, sinon éclipsé par les cris des enfants excités et des rappels à l’ordre des parents anxieux à l’idée de rater leur train.

Cependant, à 20 mètres des quais, l’entrée de la gare offre une tout autre image. Le trottoir est rempli de sans-abris mendiants se levant tout juste de leurs campements temporaires, tandis que les voyageurs et employés, s’étant hasarder à l’extérieur, se dépêchent de fumer en évitant leurs regards. L’un d’entre eux, un homme barbu dans la cinquantaine, mais qui paraît en avoir dix ans de plus, encore enveloppé dans son sac de couchage poussiéreux dans un coin abrité du parvis, ouvre sa première canette de bière de la journée. A cinq mètres de là, deux voitures de police encadrent une rangée d’individus en état d’arrestation pour possession de crack. Un contraste frappant avec l’atmosphère chaleureuse de l’intérieur, renforcé par les patrouilles continuelles des CRS (Compagnies Républicaines de Sécurité) entre les deux extrémités de la gare, qui divisent d’autant plus les deux mondes.

Une interpellation sur le parvis de la gare pour possession de substances illicites, le 15 janvier 2023

Un lieu de travail anxiogène et cloisonné

Face à cette ambiance à haute tension, ne pas sortir de la gare, c’est le mantra des salariés de la troisième gare mondiale.

« Tant qu’on ne sort pas dehors, il n’y a pas vraiment de danger. », explique une employée, qui travaille depuis 18 ans à la boutique Aelia Duty Free, située au terminal Eurostar de la gare. « A l’étage, encore moins. » En effet, pour accéder au couloir d’attente de l’Eurostar, le passage est hautement réglementé. Parmi les civils, seuls les voyageurs munis de passeports peuvent monter. Les employés des boutiques Duty Free, Relay et de restauration doivent obligatoirement passer par une entrée privée, l’accès seulement garanti sous présentation d’un badge personnel et le prélèvement d’empreinte digital qui doit être conforme à celle présente dans les registres de sécurité de la gare.

Le couloir d’attente du terminal Eurostar, à l’heure d’ouverture des boutiques, le 15 janvier 2023

« Nous ne sommes pas les plus à plaindre. » ajoute-t-elle en désignant les magasins de restauration localisés au rez-de-chaussée.  « Au moins, je ne suis pas stressée quand je travaille. Ce n’est pas le cas de ceux qui sont en bas. » En bas, une employée du Starbucks aux traits plus crispés confirme la nervosité liée à son lieu de travail. « On voit des vols et des micro-agressions tous les jours. Il y a la police, oui, mais elle ne peut pas tout voir non plus. ». Une semaine après, un homme à capuche et casquette grise vient se cacher dans le café après avoir volé le sac d’une jeune femme anglaise tandis qu’elle se dirigeait vers la douane du terminal Eurostar. Trois CRS sont venus l’arrêter quelques dizaines de minutes plus tard.

L’agression à l’arme blanche, survenue le mercredi 11 janvier dans le hall de la gare et ayant blessé six personnes, témoigne d’autant plus de l’ampleur des risques de plus en plus difficilement contrôlés, malgré l’intervention alors rapide de deux policiers de la PAF (Police aux frontières). La friction quotidienne de deux milieux sociaux opposés ne fait qu’amplifier le climat d’insécurité caractérisant la gare. L’amélioration des conditions de travail des employés semble difficilement envisageable et ceux-ci ne peuvent pour le moment que compter sur la vigilance des CRS de la gare.

Inès Bézie

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