Claire Mathieu: « Je voulais comprendre comment se met en place un projet solidaire entre deux pays aussi différents que la France et le Togo »

Étudiante en deuxième année de l’université Paris-Dauphine et membre de l’association solidaire Go To Togo, Claire Mathieu se confie sur son voyage au Togo en Juillet 2022 et les remises en questions nombreuses que connaît son engagement.

Vous faites partis de l’association Go To Togo, quels projets défendez vous ?

L’association a été créée en 2001 par une étudiante togolaise, afin de favoriser l’éducation au Togo par la construction de collèges ou la dispense de cours de soutien par exemple. Mais on appréhende aussi l’éducation dans un ensemble plus large. Tous les projets n’ont donc pas nécessairement de lien direct avec l’enseignement mais ils ont tous pour but de faciliter et d’améliorer les conditions d’éducation des enfants. C’est pour cela que nous participons aussi au financement de puits et de latrines. 

Il y a 5 ans environ, nous faisions « des chantiers ». Nous participions directement à la construction des collèges que nous avions financés. Après réflexion, la démarche semblait quelque peu dénuée de sens. Je le comprends, nous ne sommes pas compétents pour construire et c’est un peu ridicule de poser trois pierres pour retourner en France après à peine un mois. On ne change rien en 3 semaines. C’est sur la durée que ça se fait et c’est pour cela qu’on travail maintenant exclusivement sur la formation et le financement des projets.  

Comment choisissez-vous les actions mises en place par votre association ? 

Le but n’est surtout pas d’imposer nos idées et nos projets aux villages dans lesquels nous intervenons. Nous essayons vraiment de monter des projet en collaboration avec la population.

Nous travaillons depuis plus d’une dizaine d’années avec une ONG togolaise, “la mission des jeunes”, qui nous permet d’avoir un intermédiaire direct avec les habitants et d’assurer un suivi à long terme des projets. Depuis la France nos moyens sont très limités, leur présence sur place est donc essentielle, sans eux on ne peut rien faire.

Ensuite, l’association organise un « voyage » tous les ans, sur la base du volontariat, nous permettant de faire de la prospection et d’avoir des interactions directes avec les habitants des villages afin de connaître leurs besoins. Souvent ces villages disposent d’un comité qui recense les besoins à l’écrit. Enfin, nous organisons une réunion avec le président de l’ONG pour évaluer la pertinence des projets retenus et déterminer leur mode de financement et nous votons en interne, entre les membres de l’asso pour déterminer l’ordre de priorité. 

Pourquoi avoir choisi l’association Go To Togo et pas une autre association solidaire comme Fleur de Bitume par exemple qui oeuvre pour favoriser l’égalité des chances en France ? 

Les associations solidaires internationales m’intriguent depuis longtemps. Je voulais comprendre comment ça fonctionne, comment se met en place un projet entre deux pays culturellement, historiquement, politiquement aussi différents. Dès mon entrée dans l’association j’ai choisi d’intégrer le pôle projet. Je suis au cœur de l’échange avec les ONG.

Évidemment c’est aussi le côté association qui m’a attiré. Au moment des recrutements, j’ai eu l’occasion d’échanger avec GTT bien plus qu’avec les autres. Cependant, je ne laisse pas de côté la possibilité de rejoindre Fleur de Bitume l’année prochaine. Ils organisent des maraudes dans Paris. C’est probablement l’une des choses les plus utiles et directes que l’on peut faire pour avoir un impact positif à notre échelle. 

Cours de soutien, Eketo Elevagon, Togo 2022

Vous avez voyagé trois semaines au Togo aviez vous des idées préconçues ? Ont-elles été confirmés ou infirmés ? 

Je pense qu’il y a beaucoup de préjugés véhiculés par les médias, notamment sur la pauvreté, la famine et les guerres. On peut avoir l’impression que le pays se résume à cela, alors que pas du tout. J’avais déjà conscience que j’étais influencé par ce que je voyais.

Durant mon séjour, je suis allée dans des zones assez reculés et peu accessibles. Je n’ai donc pas vécu les régions luxuriantes, je les ai juste aperçues sur la route. Donc au niveau pauvreté ça n’a pas forcément cassé mes préjugés. En revanche, je m’attendais à bien pire, sur la nourriture notamment. Je pensais que c’était très difficile de se nourrir. Mais dans le village d’Eketo elevagnon, où j’ai séjourné il y avait énormément de champs et pas du tout de sécheresse, au contraire c’était très vert. 

J’avais aussi une petite appréhension sur la barrière linguistique. Leur langue administrative est le français mais ce n’est pas leur langue maternelle. Je craignais qu’on ne se comprenne pas. Mais même avec cette limite aux échanges, le partage a été incroyable. Nous avons appris à nous connaître et nous avons passé de très bons moments en ayant des vies complètement différentes.  

Le syndrome du sauveur blanc agite beaucoup les réseaux sociaux en ce moment, il définit le fait pour une personne blanche d’aider une personne non blanche de manière à flatter son égo. La majorité des membres de votre association étant blancs, cela peut y faire écho, qu’en pensez vous ? 

Je ne pourrais jamais lutter contre cette image. C’est un reproche qu’on nous fait souvent. Et malgré toute notre bonne volonté ça reste une notion difficile à cerner. C’est pour cela qu’à notre entrée nous suivons une journée de formation pour nous sensibiliser à ces problématiques. On est amené à se poser beaucoup de questions sur l’objet de l’association: pourquoi sommes-nous là ? Pourquoi nous voulons aller au Togo ? Comment avoir un impact positif ?

Il est vrai que nous avons fait des erreurs qui ont pu participer à diaboliser notre engagement. Par exemple, l’année dernière nous avons organisé la “journée africaine” pour mettre à l’honneur la culture africaine. Je pense que nous ne sommes absolument pas légitime à faire cela. Néanmoins, si nous sommes dans cette association c’est parce que nous croyons que l’éducation est la clé pour que chacun ait les moyens de prendre son destin en main. Nous n’essayons pas de nous déculpabiliser ou de nous faire mousser. Nous cherchons juste à avoir un impact positif et durable. Ce n’est pas parce que nous sommes majoritairement blancs que nous ne pouvons pas participer à ces projets là. 

Les reproches qui ont pu être fait à votre association, ont-ils participé à vous faire douter de votre engament ?

Je remets beaucoup de choses en question et ce n’est pas tant dû aux reproches mais plutôt au fait d’être aller au Togo. Lorsque l’on décide de participer à une mission solidaire, c’est indispensable de se rendre sur place, pour se confronter à la réalité et cerner les limites de notre engagement. 

Les cours de soutien que je donnais le matin par exemple, je ne me suis pas forcément sentie utile sur les trois petites semaines que j’y ai passé. Je me demande si promouvoir le modèle français, qui voudrait les voir poursuivre de longues études, est la chose à faire. Même si ce n’est pas une volonté de notre part, de leur imposer une vision ethnocentré, c’est comme ça que ça se manifeste. Le système n’est pas construit comme ça au Togo, souvent les enfants arrêtent l’école très tôt pour aller aider leurs parents à travailler.   

Propos recueillis par Chiara Guarneri

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