Juliette Bricage, a 19 ans depuis peu. Depuis tout autant d’années, ce qu’elle aime c’est parler. Elle évoque ici la nécessité du langage oral, ou même écrit, en fin de compte, plus largement, celle de communiquer.
Est-ce que vous communiquez beaucoup dans votre famille ?
Je parle avec mes deux frères, mais pas de la même manière. Yann est dans la réflexion, il est à Science-Po. Robin est un matheux. Ce sont deux manières différentes de penser et de parler et deux caractères. Je suis un peu des deux, il m’arrive d’être pratico-pratique et quelquefois j’ai plutôt besoin de m’exprimer par les sentiments. Avec ma mère je parle beaucoup de comment je me sens. J’essaye qu’elle le fasse aussi, mais elle a ce truc de « c’est la maman et elle va toujours bien ». Mais elle commence à y arriver, et ça m’aide. En ce moment, je parle moins avec mon père.
On parle toujours du poids des mots, des conséquences qu’ils peuvent avoir, qu’en pensez-vous ?
Les mots ont un impact parce que plusieurs sens sont mobilisés, la vue, le fait de voir la personne me regarder, dans les yeux ou non, l’ouïe, je me souviens de ce qu’elle a dit, la voix résonne si ça a eu un impact sur moi. La boulangère qui me dit merci ça ne reste pas. Mais par exemple, dernièrement je me suis disputée avec quelqu’un. On a eu une discussion et il m’a dit « on n’est pas potes ». Il l’a répété. Cette personne m’a regardée dans les yeux et me l’a dit deux fois d’affilée. Là, les mots ont un impact.
Parfois, dans l’énervement, vous dites des choses, que vous pouvez penser, mais pas à ce point. Mais dans le moment présent, vous avez envie d’impacter celui ou celle que vous avez en face. Moi-même, quand je m’énerve, je dis des paroles, je sais qu’elles font mal. C’est justement parce que je sais très bien où viser. Récemment, j’ai beaucoup parlé avec une amie. Beaucoup de gens trouvent qu’elle est blessante. Elle est maladroite. Elle ne choisit pas bien ses mots ou du moins comme elle les pense être bien. Le problème est que ce qu’elle dit est souvent mal perçu, d’où l’importance du choix des mots.
La parole est-elle un moyen de vider votre tête ?
Pour me sentir bien j’ai besoin de sortir ce qu’il y a dans ma tête. J’ai besoin d’extérioriser, je suis quelqu’un qui ne sait pas garder pour moi mes pensées. Mes notes de partiels par exemple sont miteuses. Je n’en parle pas avec mes parents parce que c’est entièrement ma faute et je sais qu’ils vont me reprocher de sortir, me coucher tard. Je n’en parle qu’avec mon frère. Dès que j’en ai une nouvelle je lui envoie un message. J’ai besoin d’extérioriser avec quelqu’un qui ne me juge pas. C’est important de vider le trop plein. Je ne me parle pas beaucoup à moi-même. Mais par exemple, toujours en rapport avec la dispute dont je parlais tout à l’heure, je me suis assise à mon bureau, et j’ai parlé à mon mur. J’ai lâché tout ce que j’avais à dire à la personne en question. Sinon quand j’ai beaucoup de choses en tête, soit je parle avec une copine ou avec ma famille, soit j’écris.
Est-ce que le fait de ne pas lire vous impacte dans votre manière de parler ? Quel lien établissez-vous entre l’écrit et l’oral ?
Dernièrement j’ai arrêté de lire, je regardais beaucoup mon téléphone, Tiktok. Je lis beaucoup normalement, ça m’a perturbée. Je me suis dit « j’ai l’impression de devenir conne ». J’ai repris la lecture, en trouvant un livre qui me plaise, Numéro Deux, de David Foenkinos. Avec l’écrit, je vois les phrases, pourtant je n’ai pas forcément une mémoire visuelle. J’aime bien lire à voix haute. Ça me permet de me souvenir de tournures de phrases, de mots que je pourrais utiliser pour remplacer certains que j’utilise trop, et éliminer certains tics de langage. Quelquefois aussi, il est difficile de dire ses pensées. L’écrit permet de coucher celles-ci, de tout mettre à plat, pour ensuite mieux s’exprimer à l’oral. L’un ne va pas sans l’autre. L’écrit est très important pour la réflexion. Si vous réfléchissez trop dans votre tête ça se mélange, ça se perd, ça s’oublie.
L’écrit est-il aussi une forme de parler pour vous ?
L’écrit est plus intime et réfléchi que l’oral. Par exemple, là, je ne réfléchis pas sept secondes avant de sortir des mots. Sur un papier, penser et changer en cours de route est possible, surtout sur un ordinateur. Vous pouvez facilement effacer, revenir en arrière. L’écrit c’est vraiment soi. Enfin, ça dépend pour qui on écrit. Quand c’est un écrit pour une story Instagram, c’est une autre manière de parler, de montrer qui on est. Quand on écrit pour soi on se parle à soi-même finalement.
Quand ça ne va pas, j’écris beaucoup. Si quelqu’un publie mon journal intime, tout le monde va se dire « cette fille est dépressive ». Alors que dans la vie, je suis une personne assez joyeuse, et je fais de mon mieux pour trouver le bon côté des choses. Ma grand-mère m’a offert mon premier journal intime. Je ne me souviens pas de ce qui n’allait pas mais je pleurais beaucoup, souvent pour rien. Elle m’a dit « tu sais ma chérie il faut que tu écrives, il faut que ça sorte ». C’est sorti et ça m’a fait du bien.
Propos recueillis par Ingrid Gallois
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