Inès, étudiante de 19 ans à l’Université Paris-Dauphine, a vécu en Hongrie jusqu’à ses 14 ans. Lorsqu’elle emménage à Paris en 2016, elle parle déjà français. Depuis, elle a élargi son arsenal linguistique en apprenant l’anglais et l’allemand.
Vous êtes née à Budapest en Hongrie et avez grandi là-bas. Quel rapport entretenez-vous avec ce pays ?
Le principal lien que je garde avec la Hongrie c’est la langue : c’est le fait de parler hongrois avec mes parents qui me rattache à ce pays. Globalement, que ça soit la Hongrie ou la France, à mes yeux ce sont des pays parmi d’autres. En revanche, ce qui rend l’expérience plus personnelle, c’est le fait de parler les deux langues. De façon générale, je n’ai pas d’attache particulière à un lieu, mais plutôt aux gens que j’y rencontre. Or, ça n’est pas du tout le cas de ma sœur par exemple : elle a toujours été très attachée à la Hongrie et lorsque nous sommes arrivé en France, elle a tout de suite cherché l’endroit qui deviendrait son nouveau chez-soi, et Lyon est devenue pour elle une nouvelle ville natale.
Vous êtes arrivée en France à l’âge de 14 ans. Comment s’est passée votre intégration ?
C’est le fait de déjà savoir parler français qui m’a aidé à m’intégrer : ma mère me faisait faire des cahiers de grammaire et je lisais déjà beaucoup de mon côté. J’ai rencontré quelques difficultés au niveau du vocabulaire : je suis arrivée pendant le collège, et il a fallu que j’assimile rapidement des mots assez étrangers comme le verlan par exemple, que j’entendais tout le temps dans la cour. Puis, j’ai très vite rencontré ma meilleure amie, qui est d’origine hongroise. Cet héritage que l’on a en commun nous a vraiment rapproché et m’a aidé à m’intégrer plus facilement.
Est-ce que le fait de parler plusieurs langues vous aide dans la construction de vos idées ? On voit par exemple dans 1984 que la novlangue est utilisée comme un moyen d’appauvrir la réflexion, est-ce qu’être trilingue provoque l’effet inverse ?
Je remarque que tout est très compartimenté dans mon cerveau et que les différentes langues que je parle, je les utilise pour différentes choses : le français est ma langue de tous les jours, le hongrois est plus intime puisque je ne l’utilise qu’avec ma famille. Cela me permet de ne pas les mélanger et de ne pas m’embrouiller. En revanche, il arrive que je développe une idée en hongrois par exemple, mais qu’en passant sur une autre langue comme l’anglais, cette idée ait plus de sens à mes yeux. Mais je ne me sens pas plus intelligente que les autres pour autant. Parfois, je fais des mélanges entre les langues : quand je suis arrivée en France, il m’arrivait parfois de m’énerver dans ma langue natale, et c’est comme ça que j’ai appris beaucoup d’insultes hongroises à mes camarades de classe.
Vous avez la double nationalité française et hongroise : qu’est-ce que cela vous a apporté culturellement et intellectuellement ?
Je pense que cela peut m’aider d’un point de vue professionnel, ça me distingue d’une certaine manière. Plus généralement, c’est quelque chose dont je suis très fière : pendant un temps, la loi disait que je ne pouvais garder qu’une seule de mes deux nationalités à partir de mes 18 ans. Heureusement, ça n’est plus le cas donc je n’ai pas eu à faire ce choix. Je ne sais pas ce que j’aurais fait : oui, le français est plus pratique, mais être hongroise est très spécial aussi à mes yeux, même si je ne suis pas particulièrement attachée au pays.
Plus tard, voulez-vous continuer à visiter d’autres pays ?
Oui bien sûr ! Ce qui me fait peur en revanche, c’est de me réveiller un jour et de me rendre compte que je ne me sens chez moi nulle part. Si j’ai cette sensation mais qu’en même temps je n’ai plus le courage de bouger, elle restera constamment avec moi. Paradoxalement, cet endroit, j’ai aussi peur de le trouver trop tôt, parce que cela me freinerait dans mon envie de mouvement. Pour l’instant, c’est cette recherche qui me motive.
Comment envisagez-vous votre Erasmus à Singapour l’année prochaine ?
J’aimerais beaucoup apprendre le chinois, donc c’est l’occasion en or ! Un de mes objectifs est d’apprendre une langue où l’écriture est différente. Ne pas avoir de barrière linguistique, cela me permettrait de mieux connecter avec les gens là-bas, je me sentirais moins étrangère. Il y a une distinction à faire entre ne pas se sentir chez soi et se sentir étranger. Je ne me sens pas étrangère en France mais je ne me sens pas chez moi pour autant. À Singapour, je me sentirais étrangère et ça je ne le veux pas. Je veux y aller pour former des liens avec des gens et apprendre de nouvelles choses. Je pense vraiment que la langue est la clé de compréhension principale d’une culture et le meilleur outil d’intégration possible.
Propos recueillis par Raphael Dutemple
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