Chaque année, le Tennis Club Cheminot de Vaugirard organise un tournoi interne ouvert aux licenciés du club. Plus d’une centaine de joueurs, âgés de 11 à 16 ans y participent. Les matchs se déroulent sur plusieurs mois, jusqu’en août. Le mercredi 22 mars 2023, le premier tour des 11-12 ans a lieu.

Dans le 15ème arrondissement de Paris, un portillon donne directement sur la rue de Vaugirard. Il s’ouvre sur un long chemin boueux et caillouteux. Les arbres tracent le passage jusqu’au cœur du club. Sur les côtés, un potager rempli de laitues et d’herbes aromatiques. Au sommet des marches qui concluent le chemin, le club se dévoile.

A la découverte du club

Il semble d’un autre temps. A gauche, les terrains couverts cachent la ville ; à droite, quelques cabanes en bois s’enchaînent. La première, bordée par une petite terrasse, est le restaurant du club. A l’intérieur, une dame boit un café. Entourée de sacs de tennis et de raquettes, elle attend que le cours de son fils se termine. La dernière cabane abrite le secrétariat du club. D’après Corinne Pingusson, la secrétaire, le club organise ce tournoi chaque année « à titre d’animation» . « Cela permet de mettre un peu de vie dans le club. Les gens se rencontrent et font connaissance. » Pourtant, il est impossible de deviner qu’un tournoi est sur le point de se dérouler. Corinne loue des terrains par téléphone avant d’inscrire un homme d’une quarantaine d’années pour un nouveau cours. A l’extérieur, le directeur du club ne cesse les allers-retours entre son bureau et les travaux de rénovation des terres battues.

Il est 14h15. Le tournoi débute officiellement à 14h30. Aucun participant ne semble être arrivé. Corine, perplexe, déclare : « Je pense qu’ils ne vont pas tarder s’il [Léo Boos, le juge arbitre] n’a pas décommandé. Il faudrait lui demander s’il a maintenu son tournoi ». Le ciel est couvert ; la pluie menace de tomber à chaque instant. Dehors, deux hommes d’une cinquantaine d’années fument sur un banc avec des cafés à la main. Plus loin, trois enfants s’amusent. Sur un terrain de mur un peu décrépis, ils jouent au foot. Sans les cris de rage et d’encouragements qui émanent des terrains couverts où se déroulent les cours de l’après-midi, le club semblerait à l’abandon.

Finalement, le tournoi est maintenu. Il se déroule à l’écart. Derrière le bureau du secrétariat, un étroit chemin emmène à un petit portail. Il faut ensuite traverser des rails de train abandonnés. Les mauvaises herbes recouvrent le métal. Des tags colorés sont inscrits sur les murs de pierre. Après avoir franchi un second portillon, deux courts de tennis se dévoilent. Un premier, de taille classique, où six garçons de 12 ans jouent au foot. Le second est un terrain miniature. Sur ce dernier, Léo débute son cours de l’après-midi. Il demande à six filles de 10-11 ans de faire des tours de terrain. En attendant, il consulte son téléphone sans se préoccuper du premier participant au tournoi qui vient juste d’arriver.

Thomas, 11 ans, ne cesse de tourner la tête en quête d’une personne à qui parler. Raquette à la main, il patiente. Sa tenue ne laisse pas deviner qu’il s’apprête à jouer un match de tennis. Il porte un sweat-shirt ainsi qu’un jogging gris. Néanmoins, il est impatient de débuter son match. Sa détermination est palpable : « J’aime le tennis et j’ai envie de gagner ». Après de longues minutes, le second adversaire se présente. Yohan est également âgé de 11 ans. Il ne fait pas plus professionnel que Thomas. Il est vêtu d’un jogging noir et d’un sweat-shirt rouge. Aucun des deux n’est classé.

Le temps d’un match

Une fois que les deux garçons entrent sur le court, Léo les rejoint : « Vous connaissez les règles ?». Les deux garçons hochent la tête mais le juge arbitre les rappelle tout de même : « Deux sets gagnants avec tiebreak à 6 partout. Le troisième set est un super tiebreak en 10, avec point d’écart ». Léo repart donner son cours tandis que les deux garçons mettent les balles dans leurs poches. Comme dans tout tournoi de ce niveau, les joueurs s’arbitrent eux-mêmes.

Après deux balles d’entraînement, Yohan commence à servir. Le vent souffle, ce qui ne facilite pas la tâche. Les deux joueurs souhaitent à tout prix remporter leurs premiers points : « La carotte des tournois est l’idée de pouvoir frimer avec un classement au-dessus dans les 15 jours qui suivent», explique Corine. Dès les premiers échanges, la volonté des deux adversaires de gagner est saillante. Le visage de Thomas se crispe lorsqu’il envoie une balle facile dans le filet. Yohan se parle à lui-même après s’être fait breaker dès le premier jeu.

Après quelques minutes, Léandre, 11 ans, entre sur le court. Il s’assoit sur le banc et regarde le match. Il paraît très impliqué dans la rencontre ; il tourne la tête d’un coté à l’autre du terrain. Quand Yohan argumente auprès de Thomas que sa balle est bonne, Léandre lève les yeux au ciel. « Je l’ai vue faute, mais je n’ai pas le droit d’intervenir », soupire-t-il. Il n’y aucun doute sur le joueur qu’il supporte : « Je suis pour Thomas, c’est mon meilleur ami ». Après avoir participé à plusieurs tournois en 2023, Léandre passera 30 le mois prochain. Plus aguerri, il analyse le match pour trouver des solutions de jeu à Thomas : « il devrait plus jouer sur son revers à une main », « l’autre [Yohan] ne fait que des décalages coup droit », «dommage, il avait bien servi »…

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Au bout d’une petite heure à regarder le match, Léandre s’échappe du court. Il revient quelques instants plus tard avec un énorme sac de tennis rouge sur le dos : « J’ai promis à ma mère que je ferai mes devoirs mais j’ai envie de regarder le match ». Il pose un cahier sur ses genoux ; qu’il n’ouvrira pas. Trop absorbé par le match, il crie « Allez Thomas !» dès qu’il ressent que son meilleur ami a besoin d’encouragements. Malheureusement, il part avant le dénouement de la rencontre pour aller à son entraînement physique.

Le match se finit au super tiebreak. Les deux joueurs paraissent tendus. Yohan remporte ce premier tour : 6/4 3/6 10-2. Thomas s’agenouille sur la terre battue synthétique, dépité. Il se relève pour serrer la main de son adversaire au filet ; avant de vite partir du court sans même ramasser les balles. Léo vient voir Yohan et lui demande d’annoncer son résultat à Corinne qui se trouve dans son bureau. Il se dirige vers la cabane du secrétariat en courant.

Il est presque 17h. Une fois la rencontre finie et les joueurs partis, le club retrouve son air abandonné. Le bar restaurant est vide ; plus aucun parent ne patiente. Alors que les deux garçons avaient l’impression de vivre un moment empli d’enjeu et de tension, les autres adhérents et employés du club vivaient leur quotidien. Les enfants ont vécu un moment qui leur appartient…

Marnie Abbou