Chaque jour, des milliers de personnes vivant à la lisière de l’Île-de-France prennent le TER pour se rendre dans la capitale. Sur le papier, la traversée dure 20 minutes, mais les difficultés rencontrées par les usagers de la SNCF allongent parfois le trajet de plusieurs heures. Les habitués de la ligne TER reliant Creil à Gare du Nord se sentent abandonnés, en colère contre une entreprise qui augmente sans cesse ses prix pour un service de plus en plus dégradé.
« Attention à tous les voyageurs, le TER à destination de Paris Nord, originellement prévu à 7h28, arrivera en gare à 8h35. » À cette annonce, se succèdent des plaintes et des jurons lancés en l’air. La foule s’impatiente : il fait encore nuit, froid, et le hall de la gare est trop petit pour accueillir tout le monde. Certains allument frénétiquement une cigarette, d’autres abandonnent et repartent déjà vers leur voiture. À l’intérieur de la gare, un homme reporte ses nerfs sur un agent : « c’est plus possible, vous le faites exprès ! ». Ce dernier est protégé par une vitre : « Nous avons installé cette vitre durant la pandémie mais elle s’est avérée rassurante contre les voyageurs à cran », confie l’agent, qui n’en est pas à sa première plainte.
Sur le quai, le jour commence à se lever, mais toujours aucun signe d’un train. Les gens consultent frénétiquement leur téléphone : certains errent sur Facebook, d’autres se réfugient dans Candy Crush. « C’est comme ça tous les jours. On alterne entre les grèves, les pannes, les accidents et les régulations du trafic ». Julianne a 20 ans, et depuis deux ans, elle prend le train tous les jours pour se rendre à son école d’architecture dans le 12ème arrondissement. Elle a observé une sérieuse dégradation des conditions de transport depuis la rentrée de septembre : « Ils m’ont tout fait : trains supprimés au dernier moment, trains prévus qui n’arrivent jamais. Une fois, je me suis rendue en urgence à l’aéroport Charles de Gaulle pour y prendre le RER, et j’ai dû payer 100 euros de parking. Une autre fois, je suis restée bloquée 2 heures dans le train car une branche s’était coincée dans une roue. Au lieu de s’arrêter dans une gare pour nous évacuer, ils ont continué leur chemin et le train est tombé en panne au milieu de nulle part, sans réseau ni 4G. » Elle décrit une scène où les gens sont devenus violents, s’en prenant aux contrôleurs, tentant de forcer les portes pour sortir sur les voies.
Son récit n’est pas isolé : Hélène, 48 ans, prend le TER tous les jours depuis 13 ans pour se rendre à Paris. Elle explique que chaque année, elle doit partir de plus tôt, car le temps de trajet augmente sans cesse à cause des imprévus. « J’ai frôlé le licenciement plusieurs fois à cause de mes retards : mon supérieur m’en voulait de placer mon lieu de résidence avant mon travail ». En effet, beaucoup d’entre eux n’envisagent pas, malgré les difficultés, de se rapprocher de la petite couronne : certains n’ont pas le choix de rester dans l’Oise, car les enfants y sont scolarisés depuis toujours, et d’autres tiennent à leur jardin. « C’était un choix avec mon mari de s’installer à la campagne. Nous avons tous les deux grandis et vécus en ville, puis nous avons décidé de changer d’air. Je ne regrette pas, mais c’est vrai que les longs temps de transport sont le prix à payer ». Certains espèrent que le développement du Grand Paris, accéléré par les travaux des Jeux Olympiques, amélioreront l’offre de transport interrégionale ; pour Hélène, il s’agit juste « d’avoir un service convenable qui justifie le prix des abonnements que l’on paye chaque mois ».

Plusieurs raisons expliquent la dégradation du trafic depuis quelques mois : une politique d’austérité a conduit à une réduction du personnel navigant, alors que la réforme des retraites a plongé le pays dans un profond climat gréviste, dont la SCNF s’est fait un acteur incontournable. « Nous savons les désagréments que cela cause pour les voyageurs, mais c’est important de lutter contre cette loi », confie l’agent à l’accueil de la gare. D’autres, à quelques mètres de lui, ne sont pas du même avis : Timothée a 19 ans et se rend également à la fac également tous les jours à Paris. Il explique qu’il fait ce trajet sous la contrainte, puisque malgré ses demandes, ses parents n’ont pas voulu louer un appartement près de son université : « C’était déjà assez compliqué mais depuis les grèves, c’est devenu infernal. Cette réforme je suis contre, et je subis plus de désagréments que les politiques qui en sont à l’origine » Certains soutiennent le mouvement et supportent tant bien que mal les désagréments du trafic, conscients que c’est peut-être un mal pour un bien. L’agent, qui vient d’annoncer un retard supplémentaire de 10 minutes, explique : « Les voyageurs sont rarement ravis de voir mes collègues contrôleurs, mais en ce moment, c’est particulièrement difficile. Une jeune collègue s’est fait insulter l’autre jour, donc le climat actuel est vraiment désagréable pour tout le monde ».
A 8h30, le train tant attendu entre enfin en gare, mais les quelques sourires apparus s’effacent vite : il ne contient que 7 voitures, déjà toutes remplies, et une soixantaine de personnes attendent pour entrer dedans. Julianne ne peut pas s’empêcher de rire : « C’est typique ! C’est impossible de voyager tranquillement avec eux ». Face à ces nombreux obstacles, beaucoup adoptent la même tactique que Julianne, car mieux vaut en rire qu’en pleurer : « Et dire qu’au Japon, une enquête est lancée en cas de retard de quelques secondes ! » ajoute-t-elle. Ainsi, les difficultés de la SNCF à maintenir un service stable en continu viendraient décidément alimenter un certain art de vivre à la française.
Raphael Dutemple