Dans le quartier du centre, entre République et le marais, on retrouve la majorité des comédies clubs de Paris. Berceau de rencontres hétéroclites et lieu d’expression libre pour les artistes, qui y abordent des sujets variés souvent en lien avec des problématiques sociales.
Le printemps fait ressortir les rats des comédies clubs. Devant le Fridge, une trentaine de personnes attend l’accès à la cave, tous le sourire aux lèvres. L’émoi est à son comble, déjà sur le trottoir la diversité est saisissante, il y a des adolescents venus apprécier un moment en famille, mais aussi des couples et des groupes d’amis.
En entrant dans les lieux, on longe un comptoir en zinc. Puis en traversant les cuisines, le concept des lieux se présente: une porte de réfrigérateur, derrière laquelle se cache le restaurant. Au bout, dans un coin, un escalier mène aux loges. Une petite pièce de quatre mètres carrés dans laquelle patiente les cinq humoristes de la soirée. Sur le mur mitoyen à la scène un écran leur offre une rediffusion live de la salle de spectacle.
Cette dernière est petite, elle accueille une soixantaine de personnes. L’air se réchauffe vite et le plafond bas donne l’impression d’être dans une boite. « Ça fait les meilleurs scènes ! » affirme Nathan Bensoussan, 23 ans. « Les spectateurs ne doivent surtout pas entendre leurs rires. Il faut une ambiance feutrée, un peu speakeasy ». « Pas trop d’handicapés aussi, ça casse le rythme » plaisante Rémi Boyes.
Le néon bleu accroché au mur derrière la scène constitue la principale source de lumière, avec quelques spots aux rayons tamisés. Entre les trois rangées de spectateurs, des serveurs déambulent, plateau en main pour servir les clients. « L’alcool nous rend plus drôle, donc vraiment commandez », insiste Nathan, le maître de cérémonie. Être chauffeur de salle n’a jamais été un problème pour lui mais beaucoup d’autres humoristes refusent. C’est une histoire de statut social, ils ne veulent pas être retenu comme « celui qui a fait l’animation », pour Nathan au contraire c’est plutôt gratifiant. « Je suis payé quatre fois plus depuis que je fais ça mais surtout je n’ai pas de pression lors de mon passage parce que je sais ce que je vaux à partir du moment où j’ai été capable d’engendrer le premier rire ».
Un monde fait de rencontres
Entre les deux représentations, Ezra l’ingénieur lumière et son, descend voir les artistes pour les féliciter de la prestation. Lise, stand-uppeuse depuis 4 ans, venue du Nord-Pas de Calais s’émerveille du monde qu’elle a découvert en descendant à Paris. « Le Stand-Up brasse une diversité culturelle phénoménale. On avance vraiment personnellement, quand je suis montée sur Paris par exemple je ne parlais que Chtis mais on est aussi amené à travailler beaucoup sur les autres. »
Antek, 25 ans adhère à sa vision. « On rencontre des gens très différents avec des parcours très divers. Des gens qu’on aurait potentiellement jamais rencontré si on ne jouait pas sur la même scène. » Et en effet, les profils sont très riches, Nam bac +8 en école d’ingénieur, Remi Boyes pas de diplôme mais un voyage en Chine qui marque le début de sa carrière avec une première au Black-cat à Pékin ou encore Jean Jean, 27 ans, détenteur d’un master en économétrie appliquée obtenu avec une thèse plagiée sur une ancienne élève.
Généralement, les programmations mélangent plus ou moins les niveaux et l’ancienneté. En début d’après midi les newbies jouent en open-mike et à partir de 17h30, les professionnels prennent la relève. Parmi ces derniers, on retrouve ceux qui pratiquent depuis quelques années seulement mais aussi d’autres comme Amelle Chahbi, dans le milieu depuis plus de 15 ans.
Le métier de Stand-upper ne permet pas toujours l’accès à un revenu stable ou au statut d’intermittent du spectacle. Cela pousse beaucoup d’humoristes à faire la tournée des comédies clubs dans la soirée. Ainsi, alors que Nick Mukoko se rend au Fridge, Antek court rejoindre le Paname et Amelle rejoint le Goku.
Un sdf la reconnaît devant le 80 rue Saint Denis, « toi t’es pas drôle » lance-t-il à travers le trottoir. Elle n’y prête pas attention. « Ça fait partie du métier, au début ça déstabilise mais aujourd’hui ça me fournit plutôt de quoi écrire. C’est toutes ces choses du quotidien qui me permettent de faire des sketchs. Quand j’ai un peu plus de temps je m’arrête carrément pour leur parler ».
Des préoccupations sociales sur scène et hors scène
Sur scène les sujets abordés sont très vastes. On entend parler de la réforme des retraites, des juifs, des musulmans, du voile, des immigrés. Amelle Chahbi en profite pour tester de nouvelles « vannes » lui permettant ainsi de déplorer un fantasme autour des femmes arabes en France et de leur hypersexualisation. « La scène nous donne carte blanche pour aborder n’importe quel sujet. On peut rire de tout du moment que c’est amené intelligemment et sans volonté de nuire » affirme Amelle après son passage, mais ça reste difficile car « c’est le seul métier où l’on doit constamment rappeler ce que l’on fait ».
Dans les coulisses du Goku Comedy, la conversation tourne autour d’un article de mediapart promis pour les prochaines semaines. Il devrait révéler le nom de 14 humoristes accusés d’agression sexiste et sexuelle, les « metoo du stand-up ». « Honnêtement, ça me révolte, le stand up c’est déjà assez dur pour les femmes pour que des petits cons en rajoutent une couche » s’indigne Jean Jean.
« D’autant plus qu’il y a cette lubie persistante que les femmes sont moins drôles que les hommes et qu’elles ont moins leur place ». Déclare Laura Domenge. « Je viens du théâtre à la base. J’étais habitué à la vie de troupe où on mange, dort, vit, se change ensemble sans aucun problème. Quand je suis arrivée dans le stand up, il y a une dizaine d’années, j’ai vite compris que le rapport homme/femme était super ghetto. Ma première scène, j’étais en collant. J’ai essuyé des regards inquisiteurs et des remarques salaces de la part de mes collègues. Et le pire c’est qu’ils ne voyaient pas le problème. »
Dans le monde du stand up, le sexisme ordinaire à la vie longue. Métier d’apparence, beaucoup pensent que faire des commentaires sur le physique de leur collègue est normal. « C’est une véritable balle dans le pied de toutes les femmes artistes qui essayent de se faire une place dans ce monde» conclut Amelle.
Chiara Guarneri