Il n’est pas aisé de concevoir en se baladant au sein de cette petite commune d’un peu moins de 3500 habitants, située dans le Haut-Rhin, aux rues colorées et à l’architecture typiquement alsacienne que fut conservée entre 1516 et 1793 une des œuvres gothiques les plus emblématiques de l’art germanique : Le Retable d’Issenheim. Bien que celui-ci soit aujourd’hui conservé au musée d’Unterlinden à Colmar, les Issenheimois restent extrêmement attachés à cette création qui les unit culturellement et historiquement. L’artiste à l’origine de cette œuvre n’est autre que le peintre Matthias Grünewald, l’ayant créée au début du XVIème siècle et dont le nom est aujourd’hui celui du gymnase du couvent d’Issenheim.
En ce dimanche de Pâques, jour le plus important de la Semaine Sainte pour les chrétiens, sont réunis des dizaines de fidèles au sein de la chapelle du couvent Saint-Michel à Issenheim. Mais pas seulement. On y retrouve également de simples touristes venus découvrir ce lieu chargé d’histoire où fut conservé pendant plus de deux siècles le chef d’œuvre, un retable polyptyque à double volets et à double ouverture, disposant de dix tableaux retraçant avec une intensité novatrice pour l’époque la vie du Christ.
Le couvent Saint-Michel est aussi appelé couvent des Antonins en honneur au nom de la famille du même nom, ayant fait construire le bâtiment au XIVème siècle et commandé le retable à Grünewald le siècle suivant.

Un travail générationnel à entreprendre pour maintenir l’attachement à cette histoire
Marylène, retraitée de 75 ans ayant vécu à Issenheim l’intégralité de sa vie, témoigne “C’est notre fierté. Pour une petite ville comme la nôtre, avoir été à l’origine d’une des œuvres les plus étudiées au monde, cela permet de placer Issenheim sur la carte”.
La mairie travaille depuis des dizaines d’années à un maintien de l’activité culturelle portant sur l’héritage historique de cette famille, à travers des événements comme des chorales ou spectacles.
Toutefois, la jeune génération paraît moins réceptive à ce sentiment. Dans la rue de Guebwiller, une des rues principales de la commune, qui permet d’accéder à l’entrée du couvent, certains jeunes passants ne semblent guère prêter grande attention à cette chapelle. C’est le cas de Laureen, 22 ans, qui ne connaissait ni l’histoire particulière de ce couvent qu’elle côtoie pourtant depuis tant d’années, ni même l’existence du retable lui-même. “Je ne savais même pas que le musée de Colmar avait une œuvre si réputée” admet-elle.
Une œuvre d’envergure mondiale attirant les touristes et étudiants en art du monde entier
Car en effet, ce retable est bel et bien considéré par les experts et historiens de l’art comme étant une œuvre majeure de la Renaissance germanique, au point où les tableaux furent longtemps considérés avec erreur comme étant du travail d’Albrecht Dürer, figure de proue du mouvement. Il a fallu attendre l’époque du romantisme pour que soit questionnée la véritable identité de la main se cachant derrière les coups de pinceaux, et que Matthias Grünewald soit réhabilité à juste titre après de nombreuses recherches historiques comme étant le juste créateur.

Aujourd’hui, l’œuvre est conservé au Musée d’Unterlinden à Colmar à moins d’une demi-heure de route. Marylène et ses amies s’y rendent au moins une fois par an pour contempler le retable qui leur est si cher. « Quand on se rend à Colmar, le passage par le musée d’Unterlinden est souvent obligatoire pour venir s’assurer que le retable est toujours là. Ca nous rassure et on est heureuses de voir qu’il plaît toujours autant. C’est aussi une part de notre héritage » dévoile Marylène.
Pièce maîtresse du musée avec ses dix tableaux représentant différentes étapes de la vie du Christ, il est exposé dans une ancienne église aménagée afin de permettre l’immersion la plus totale. Restauré en 2022 après quatre années de travail, il est, selon les dires de l’ancienne directrice du Musée Madame Pantxika Béguerie, désormais très proche en termes de couleurs et reflets de l’aspect de l’œuvre peinte il y a de cela plus de cinq siècles. Les touristes du monde entier s’y rendent, sans se douter pour la majorité d’entre eux, que sa maison, le couvent d’Issenheim, n’est qu’à quelques dizaines de minutes et les attend pour plonger davantage encore dans l’histoire singulière de ce trésor.