Le Sénégal est souvent présenté comme la vitrine démocratique de l’Afrique de l’Ouest. Le pays n’a jamais connu de coup d’Etat militaire et les ethnies coexistent sans violence. La culture wolof est devenue la référence nationale : les jeunes s’adaptent de plus en plus à un modèle jugé incontournable pour réussir.
La Coupe du monde de football est l’occasion rêvée par le président Macky Sall pour mettre en avant le fameux « vivre ensemble » sénégalais.
Continuez vos efforts après ce beau début de match, battez-vous comme des Lions et faites honneur à notre pays ! Nous sommes 15 millions de Lions derrière vous 🦁🇸🇳 #SEN #POLSEN #kebetu #DemBaJeex #SunuMondial2018 pic.twitter.com/BJELRXlPQe
— Macky SALL (@Macky_Sall) June 19, 2018
Derrière l’évocation de cette union nationale, les autorités éludent souvent le fait qu’une vingtaine d’ethnies cohabitent sur le territoire. Wolofs, Diolas, Peuls, Toucouleurs… Leur nombre exact et leurs dénominations font même l’objet de débats, et les études universitaires sur cette cohabitation restent rares. En revanche, le Sénégal semble avoir toujours échappé aux tensions, alors que d’autres pays d’Afrique, comme le Rwanda, ont été ou sont encore secoués par des conflits ethniques.
Source : G.F. Dumont, S. Kanté, Revue Géostratégique n°25.
L’État sénégalais a été pensé dès son indépendance en 1960 comme une entité supra-ethnique par ses pères fondateurs. « Léopold Sédar Senghor comme Mamadou Dia évacuent toute assimilation de la nation à un groupe ethnique et mettent en évidence la notion de consensus national », explique Paul Diédhiou, chercheur à l’université de Ziguinchor. L. S. Senghor a d’ailleurs défendu la reconnaissance du français comme langue nationale, car elle était considérée comme « neutre », c’est-à-dire susceptible de ne favoriser aucune ethnie.
Wolof, modèle unique
Malgré la bonne volonté des fondateurs de la nation sénégalaise, des tensions existent. « En théorie, on ne fait pas de différence entre les ethnies. En pratique, les Wolofs considèrent notamment les Peuls comme inférieurs. Et les Sérères et les Diolas sont d’accord pour mépriser les Peuls, alors qu’eux-mêmes se détestent entre eux », témoigne Ali (le nom a été changé), un jeune Sénégalais installé en France depuis quelques années.
Mais c’est un modèle unique, dit « islamo-wolof », qui s’est imposé à toutes ces ethnies. Il fait de l’Islam la religion de référence et du dialecte wolof la langue de l’administration. « Hors de ce modèle, il est difficile de réussir économiquement ou politiquement au Sénégal », affirme Geneviève Gasser, chercheuse en sciences politiques au Canada. Les jeunes ont tout intérêt à maîtriser le wolof.
Recteur de la Sorbonne et professeur de géographie, Gérard-François Dumont tempère : « Le profil socio-éducatif d’un jeune est bien plus déterminant que son ethnie. » Il n’empêche, même dans les régions les plus éloignées de Dakar où les Wolofs ne sont pas majoritaires, il est indispensable de parler cette langue pour communiquer avec les instances de l’État. Geneviève Gasser précise que « le modèle islamo-wolof constitue à la fois un procès d’intégration des différents groupes sénégalais et la version nationale du clientélisme ». Autrement dit, s’éloigner du modèle promu par les élites, c’est se marginaliser.
Domination économique et politique
Dans une région comme celle de la Casamance, historiquement rebelle vis-à-vis de l’État, les jeunes ont intégré la nécessité de parler wolof pour réussir. La linguiste Caroline Juillard dégage cinq raisons pour expliquer la diffusion de ce dialecte chez les jeunes : la mode, car « parler wolof permet de montrer qu’on est civilisé » ; La nécessité de s’intégrer dans les différentes structures sociales ; le poids des confréries religieuses, de culture et de dialecte wolof, extrêmement puissantes ; les autorités étatiques parlent soit français soit wolof, tout comme les grands acteurs économiques.
« Les Sénégalais ont gardé le modèle importé par les colonisateurs, les Français, celui d’un modèle jacobin, d’un Etat centralisé », rappelle Gérard-François Dumont. Or, l’État colonial s’est construit en s’appuyant sur la population wolof qui a su obtenir historiquement des postes haut placés dans l’administration et les arcanes du pouvoir.
La main mise wolof sur la vie politique se ressent à l’approche des élections. Robert Sagna, ancien ministre socialiste, a par exemple été accusé de « favoriser un vote diola » lors de la campagne électorale de 2007. Ce genre d’accusations concerne moins souvent une éventuelle stratégie d’un « vote wolof ». L’écrivain sénégalais Fadel Dia a critiqué cette différence de traitement dans une chronique pour le journal Sud. Sa prise de position lui a valu de nombreuses insultes.
« Comme pour n’importe quelle élection, les politiques tentent de récupérer des voix de certaines catégories. Mais honnêtement, les ethnies, ce n’est pas un sujet de société le reste du temps, explique Gérard-François Dumont. Les tensions s’expliquent plutôt par des particularismes géographiques ou des raisons socio-économiques. »
Pour le chercheur, les rapports entre les ethnies restent exemplaires. « Il y a de nombreux mariages inter-ethniques dans le pays. Le Sénégal est beaucoup plus ouvert et mixte que ses voisins. Regardez le Burundi, où les Hutus et les Tutsis se combattent en permanence. Ce n’est pas le cas au Sénégal. Malgré quelques troubles, il n’y a jamais de coup de force militaire. Depuis son indépendance, ce pays est une démocratie. »