Matériel bricolé, aiguilles à coudre rudimentaires et dessins tracés à même la peau : à Dakar, les tatouages sont réalisés en pleine rue, au milieu de la circulation et de la poussière. Artisanale et rudimentaire, la pratique accroche de plus en plus de jeunes Sénégalais.

Pour les tatouages, Dakar est un enfer. C’est la première fois que je traîne dans les rues en pleine journée, mes avant-bras fraîchement tatoués plus ou moins protégés de la lumière. Autant dire que je n’en mène pas large. Gros cagnard : il est midi, le soleil crame au-dessus de mon crâne et la température se balade autour des 30 degrés.

D’un côté, les UVB brûlent la peau en surface ; de l’autre, les UVA – bien pires – pénètrent plus profondément, s’attaquent aux pigments, et élargissent les tracés de l’encre jusqu’à en flouter les contours. En somme, de bonnes grosses doses de rayons prêts à bousiller dans les règles son derme et son épiderme, avec des dommages irrattrapables.

Le territoire a beau se montrer hostile, il ne décourage pas les tatoueurs. Certes, il est assez rare de tomber sur des salons professionnels dans la capitale, avec des artistes résidents et une clientèle remplie de hipsters comme à Paris. Si quelques studios ont bien ouvert depuis 2010 – ce qui suit une tendance partagée par les plus grandes villes du continent -, on compte ces établissements sur les doigts d’une main. Pour se faire encrer la peau, les Dakarois passent plutôt par des semi-amateurs qui travaillent en extérieur.

Tattoos à ciel ouvert

À deux pas du marché HLM, après avoir esquivé une file de taxis et quelques vendeurs ambulants qui harcèlent gentiment les touristes, je rejoins l’un de ces groupes de tatoueurs. Bienvenue à « Mti Tattoo » : un atelier coincé en plein milieu d’une avenue, entre la poussière d’un chemin de terre et le passage des voitures. J’oublie vite la circulation pour me caler à l’ombre des arbres qui surplombent les quatre bancs prévus pour les clients.

Dans ce quartier, le business tourne surtout grâce au henné, appliqué comme un maquillage de longue durée (sans utiliser d’aiguilles). Chacune à leur tour, des femmes se postent devant les tatoueurs pour des séances d’une demi-heure au maximum. Au fond, une grosse dame en boubou dresse ses doigts et ses orteils vers le ciel pour faire sécher le liquide sur ses ongles. À gauche, une autre, plus jeune, vérifie ses sourcils toutes les deux minutes dans un miroir. Finement épilés, les poils sont recouverts de ce produit.

Tatouage Do It Yourself

« Ça peut rester quelques semaines sur la peau et c’est très populaire ici, même auprès des hommes et des enfants, m’explique Hami, une troisième cliente assise juste devant moi. Les gens viennent encore plus à l’occasion d’évènements importants, pour des mariages ou des fêtes. Parfois, il y a une immense queue et la file d’attente remonte jusqu’au parking là-bas, sur plusieurs centaines de mètres. » L’oreille scotchée à son téléphone pendant qu’un homme recouvre ses mains de divers motifs, elle n’imagine pas une seconde se faire piquer la peau : « Jamais de la vie, impossible ! J’ai la phobie des aiguilles, j’ai peur que ça me fasse trop mal. »

Hami se fait tatouer au henné entre deux appels. Photo : Pierre de Baudouin.

Elle n’est pas la seule : à Dakar, se faire tatouer « pour de vrai » est bien plus rare que se faire tatouer au henné. Mais la pratique se développe chez les jeunes de 20 à 30 ans. L’esthétique des tatouages à l’européenne a gagné du terrain ces dernières années. Mohammed, l’un des 20 tatoueurs qui se relaient pour faire tourner l’atelier, relève ses manches pour me montrer les siens. Sur l’épaule droite, une sorte de mini-jeu de cartes constitué exclusivement de piques ; sur la gauche, trois dés pour un seul chiffre : le cinq. Large d’un demi-centimètre ou presque, le tracé semble zigzaguer parfois. Sans aucun relief ni ombrage, le motif est minimaliste. Pas étonnant quand le jeune homme de 25 ans me raconte s’être piqué tout seul la peau il y a trois ans (s’auto-tatouer demande le coup de main d’une autre personne pour tenir la peau bien étirée et obtenir un rendu propre).

Encre verte, aiguilles à coudre et tube de blanco

Même principe pour l’atelier, les tatouages sont réalisés de manière artisanale : la technique n’est pas complètement amatrice, mais on en n’est pas loin. Le long du banc sur lequel il est installé, Mohammed accepte de me montrer son matériel de travail. Son arsenal reste rudimentaire : deux ou trois aiguilles à coudre, attachées solidement les unes aux autres à l’aide d’un petit fil : « On n’a pas les moyens de s’offrir une machine. On aimerait beaucoup s’acheter de bons outils, mais ça coûte trop cher…entre 75 000 et 200 000 francs CFA, soit entre 115 et 300 euros. »

Contrairement aux salons européens, il n’utilise pas non plus de gabarit, sorte de calque du dessin sur la peau collé au début de la séance. Pas de préparation : il commence à piquer sans aucune aide, ni brouillon. « Là, c’est de l’encre de Chine noire, finit Mohammed qui sort de sa poche un petit tube « Made in Germany », acheté dans un magasin de l’autre côté de la rue. D’habitude, on a beaucoup de mal à trouver cette couleur. C’est très rare ici, l’encre verte est beaucoup plus répandue. »

Forcément, tout cela pose des questions évidentes d’hygiène. Les risques d’infections ou d’allergies touchent tout autant la pose du henné, appliqué sur la peau grâce à des tubes de blanco vidés et bricolés avec une mine de critérium. N’empêche que le prix des séances a le mérite de rester ridiculement bas, comparé à la France.

Les tatoueurs viennent tour à tour jeter un coup d’œil aux dessins que je porte sur les bras. Ils me demandent la somme que j’ai dû dépenser à chaque fois à Paris : entre 300 et 400 euros par pièce. A Dakar, rien à voir : le prix est fixé autour de 7000 francs CFA (une dizaine d’euros), avant même de négocier. Même si l’art du tatouage traditionnel date de plus de 5 000 ans en Afrique, le tattoo nouvelle génération à Dakar n’en est qu’à ses débuts.

Pierre de Baudouin

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