Say me o khol*, je sais que tu mens … Une phrase, deux langages. C’est la touche spéciale Neffy. Le jeune chanteur-compositeur de 23 ans espère toucher le plus de monde possible avec sa musique à double personnalité : d’un côté des sonorités et une instrumentation wolof, de l’autre des paroles en français et un caractère pop.
*Quand tu me regardes
Un mois avant l’Afropunk festival de Paris, où il représentera le Sénégal, nous rencontrons le chanteur est arrivé en France il y a deux ans, des rêves plein la tête. Cela n’a pas toujours été le cas. Le jeune Sénégalais a dû rebondir à de nombreuses reprises pour en arriver là. D’abord dans son pays natal, où sa musique « dérangeait » dès ses débuts en 2013 : les sonorités pop ne collaient pas à la culture sénégalaise, elles ne ressemblaient pas au « mbalax », la musique traditionnelle à laquelle le public reste très attaché.
« Imaginez un petit comme moi qui débarque avec sa pop. Pour les Sénégalais, c’est un nouveau style et beaucoup n’approuvent pas », lance Neffy en riant doucement. Les jeunes Sénégalais se dirigent plus facilement vers le rap, bien que ce style de musique ait lui aussi mis du temps à décoller dans le pays. Les clichés collent à la pop, alors les musiciens craignent l’ironie : « Tu fais du Justin Bieber ? ». Pour Neffy, être un chanteur pop n’a rien de péjoratif, bien au contraire. Il a accepté cette voie le jour où la radio locale lui a donné ce surnom, « le Prince de la pop sénégalaise ». Depuis, il ne changerait son identité musicale pour rien au monde et les Sénégalais ont appris à le connaître à travers ce style de musique. Mais Neffy a très vite rencontré un autre obstacle.
Une musique hybride
« Quand j’étais sur scène et que je chantais en français, les gens écoutaient mais ce n’était pas ce qu’ils voulaient entendre », explique Neffy en évoquant ses débuts au Sénégal. Le public attendait des instruments de style wolof et, surtout, des paroles qu’il pouvait comprendre. Pour toucher les auditeurs sans trahir son identité, il a trouvé une solution : ajouter des sonorités wolof tout au long de ses chansons. Et ça a marché. Le français et le wolof se marient bien mieux qu’il ne le pensait.
En France, les choses n’ont pas été aussi faciles. « Quand un artiste français arrive au Sénégal, toutes les caméras sont braquées sur lui ; quand un chanteur sénégalais vient en France, personne ne sait qu’il est là », déplore le jeune compositeur en précisant dans un soupir : « Certains ferment les yeux, d’autres ont décidé de se battre pour y arriver. »
Faire tomber les barrières
Neffy fait partie de la seconde catégorie de personnes et il espère que les jeunes Sénégalais vont le suivre dans son combat. Il s’agit de faire tomber les barrières de la langue pour que la musique sénégalaise trouve enfin sa place sur les scènes internationales. Dubitatif à ses débuts, Neffy n’a désormais plus aucun doute : « Les mentalités ont évolué. Je suis persuadé que les jeunes chanteurs n’auront plus peur de chanter en wolof. » Youssou N’Dour et le rappeur Nix comme modèles, Neffy s’imagine dans quelques années à Bercy devant une foule aux nationalités multiples.
Pour l’instant, sa démarche artistique lui a ouvert des portes, dont celles d’Universal, l’année dernière. « Avec mon équipe, on a décidé de prendre notre destin en main, donc on est allés directement frapper aux portes d’Universal. Comme prévu, le gardien nous a expliqué qu’il fallait passer par internet et que ça prenait des mois. Mais je n’avais pas ce temps-là devant moi. Nous sommes restés une semaine devant les locaux du label, en diffusant notre musique », se souvient Neffy. Son audace s’est avérée efficace : une négociation est en cours. Subsiste un bémol, qui contraint Neffy à ne pas signer avec eux : le label lui suggère de séparer les deux langues. Pour Neffy, c’est hors de question. Désormais, le mélange français-wolof constitue sa marque de fabrique.
Camille Rioual
Photo : Camille Nayon