Ascension de figures nationales, participation à des championnats mondiaux et création de marques locales… Le Sénégal est enfin devenu une terre de surf, malgré un manque de moyens matériels et financiers. Forts de leurs performances, les sportifs suscitent désir et espoir chez la jeunesse des quartiers dakarois.

« Surfer Paradise » n’a pas volé son nom aux accents de réclame touristique. Le « surf camp » rassemble une école de surf, un surf shop, un gîte et un bar-restaurant, répartis dans une salle et deux terrasses surplombant des rochers acérés bourrés d’oursins, sur lesquels s’éclatent les vagues puissantes du spot. Une piscine a été creusée au même niveau que la mer et se remplit au gré du ressac, pour les non-surfeurs affalés sur des transats. Avec sa vue imprenable sur la butte du phare de Dakar qui s’avance dans la mer, le complexe fait figure de base arrière pour l’équipe nationale des surfeurs du Sénégal. « Avant, ce n’était qu’un terrain vague et un rocher face à l’océan », raconte Oumar Seye, le vice-président de la Fédération Sénégalaise de Surf (FSS), créée en 2017 et rassemblant déjà plus de 600 licenciés.

Le spot en face de « Surfer Paradise », près de la corniche des Almadies. ©Lucie Alexandre.

L’histoire du surf sénégalais se confond avec celle de ce personnage, qui appartient à la communauté de pêcheurs lébous et nés à Ngor, comme tous les autres dompteurs de vagues locaux. M. Seye découvre ce sport pendant son adolescence, alors qu’il passe toutes ses journées sur la plage, à aider son oncle qui vend des sandwichs et des boissons dans une cabane. Il observe avec envie ceux qui chevauchent l’écume des Almadies, à l’époque presque tous blancs et occidentaux. Hormis les pêcheurs lébous, habiles plongeurs qui vivent sur la côte, les Sénégalais ne se risquent pas dans les eaux agitées de l’océan.

Le premier surfeur noir à « passer pro »

Le jeune Oumar délaisse l’école pour « squatter les vagues de rêve des Almadies » sur des planches de fortune faites de débris, ou emprunte celles des touristes. Sa première board lui vient d’une journaliste française de passage au Sénégal, qui lui offre la sienne. En 1998, Oumar signe un contrat avec la marque de surf Rusty et devient rider professionnel. Il est alors le premier surfeur noir à « passer pro » et à rejoindre le circuit des compétitions internationales. Il passe ensuite par Salomon, enfin par le grand nom des marques de surf, Rip Curl.

©Lucie Alexandre
©Lucie Alexandre

Après des années de surf à l’étranger, Oumar Seye rentre au Sénégal et monte le complexe sportif et touristique « Surfer Paradise », qui fête cette année ses dix ans. « Je voulais développer le surf dans mon pays, aider les jeunes qui en rêvent aujourd’hui », explique-t-il. Depuis Surfer Paradise, il scrute les gamins du quartier lébou de Ngor qui descendent les rouleaux sur des planches cassées, des bouts de bois et même des portes de réfrigérateur. Il repère les meilleurs, puis les invite à rejoindre son école pour les équiper, les former et en faire des champions.

« Je veux devenir champion du monde »

Cherif Fall fait partie de ceux-là. Il commence le surf à 11 ans, mais ses résultats scolaires pâtissent très vite de son obsession pour les tubes bleu acier. Oumar Seye convainc ses parents que « Cherif peut devenir un grand champion s’il se consacre au surf ». Pari tenu et relevé. Cette année, le surfeur à la carrure de basketteur a remporté la 10e édition de l’Africa Tour : une première pour le Sénégal. Depuis presque dix ans, il est aussi champion national dans diverses catégories. Cherif rêve pourtant d’horizons plus lointains. « Je veux devenir champion du monde », martèle-t-il sans plaisanter.

Cherif Fall, champion du Sénégal, a remporté la dernière édition de l’Africa Tour. ©Lucie Alexandre

L’équipe des Lions sénégalais, composée de Cherif Fall, Assane Mbengue, Mbabou Gueye et Thierno Samb, a fait ses premiers pas à la World Surf League (WSL), à Biarritz, en septembre 2017. Déguisés en lions, ils se sont  volontiers amusés avec les autres athlètes et ont suscité tout de suite la sympathie du public, qui a découvert avec stupeur leur style musclé, presque trop physique. « Tout le monde se disait : on ne savait pas qu’ils avaient de bons surfeurs au Sénégal ! », se souvient Cherif Fall en riant. Prochaines étapes : les premières phases de la Coupe du monde, dites « QS », au Maroc, en septembre prochain, et les sélections pour les Jeux olympiques au Japon en 2020.

« Dans les écoles, beaucoup de petits rêvent de surfer »

C’est un défi pour les Lions, car leurs conditions d’entraînement ne s’avèrent pas les meilleures. L’univers du surf étant régi par les sponsors, les surfeurs sénégalais manquent de moyens matériels et financiers. « Pour progresser, il faut pouvoir s’exercer sur des vagues différentes à l’étranger », estime Cherif. Les voyages et le matériel coûtent chers et les sponsors boudent quelque peu le Sénégal, sauf Rip Curl avec qui Oumar reste lié par un contrat. Le pays souffre aussi d’un manque de shapers, les artisans spécialisés dans la confection des planches en résine. Cette pénurie oblige la FSS à importer les boards de l’étranger pour ses sportifs, faisant grimper les coûts de l’équipement.

©Lucie Alexandre
©Lucie Alexandre

Alors, quand leurs planches sont trop usées, Cherif Fall, Assane Mbengue, Mbabou Gueye et Thierno Samb les donnent aux jeunes de leur quartier lébou de Ngor. « Depuis que nos compétitions sont retransmises à la télévision, le surf est enfin connu au Sénégal », explique Cherif, avant d’ajouter : « Maintenant, dans les écoles, beaucoup de petits rêvent de surfer, c’est vraiment à la mode. D’ailleurs, il y a des jeunes qui surfent hyper bien ici, mais ils ne peuvent pas se payer de boards. Nous, on leur offre nos vieilles planches pour les aider, comme Oumar l’a fait avec nous il y a quelques années. » Le mentor de Cherif lui a aussi transmis son envie de dénicher « les futurs champions de surf du Sénégal pour faire gagner le pays ».

« Africa Force » et « Black Surf »

Cette dimension communautaire est un marqueur fort de l’identité du surf sénégalais. Les membres de l’équipe nationale, tous lébous, sont nés dans le même quartier et passent leur temps « à traîner ensemble ». Leurs mères étaient amies avant que les garçons ne deviennent une bande de surfeurs. « J’ai commencé à surfer parce que je voyais mes potes le faire, qu’ils ne parlaient que de ça. Je me sentais exclu », se souvient Cherif, amusé. Pas de rivalités sur les spots comme en France. Tous le monde se salue et les sportifs hargneux, prêts à guerroyer pour une vague, se font rappeler à l’ordre par les locaux sénégalais. Cherif évoque la « Teranga (accueil, hospitalité en wolof, ndlr), une terre de partage ».

©Lucie Alexandre

Reste que le surf sénégalais veut désormais s’affirmer. « Africa Force » est le slogan proclamé par Oumar Seye depuis la création de sa société « Black Surf », qui gère les installations de « Surfer Paradise ». L’année dernière, la société sénégalaise a lancé sa marque de vêtements de surf « BKS ». L’objectif consiste à créer une manne économique et un sponsor pour les sportifs locaux, à défaut d’attirer les grandes marques occidentales. Oumar compte ainsi continuer à construire ce qu’il appelle « le surf business » au Sénégal, notamment pour organiser des compétitions.

Dakar devait accueillir une étape des Mondiaux de la WSL en septembre prochain. C’était compter sans la participation du Sénégal à la Coupe du monde de football en Russie. Les pouvoirs publics ont décidé de concentrer tous leurs investissements sur cette compétition et l’organisation d’événements reliés au Mondial dans le pays. Mais ce n’est que partie remise. L’étape de la WSL à Dakar a été reportée à janvier 2019, se réjouit Oumar avant de conclure : « It’s time for Africa. » 

Lucie Alexandre & Medhi Weber

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