Sénégal Fast Foot – Épisode 1
Fondée en 2013 par Alex Ndiaye, l’Académie Foot Pro (AFP) réunit 80 jeunes Dakarois. Tous ont un un même objectif : devenir footballeur professionnel en Europe. Mais les jeunes comme les dirigeants savent que la route est longue.
Au cœur des routes sableuses du quartier de Pikine et de son marché aux fruits, l’un des plus importants de la capitale, le terrain synthétique et ses tribunes tricolores semblent sortis d’un autre univers. La qualité de l’infrastructure tranche avec l’extrême pauvreté des alentours. Alors que commencent tout juste les vacances scolaires, une quarantaine de joueurs de l’Académie Foot Pro (AFP) de Dakar sont venus s’entraîner pour préparer la saison prochaine.
De 7 à 20 ans, les différentes catégories d’âges se partagent le terrain. Pour certains, l’enjeu est plus important que pour d’autres : ce 4 juillet, ils sont testés pour intégrer l’équipe première. Au milieu des joueurs, Alex Ndiaye, président fondateur de la structure, observe le niveau et le comportement d’éventuelles recrues : « On cherche bien sûr des joueurs techniques, mais aussi et surtout des jeunes au comportement irréprochable ». Le secrétaire général, Assane Ndiaye, précise : « On forme l’homme avant le footballeur. »
L’Europe dans le viseur
Messi, Coutinho, Payet… Chaque adolescent a son modèle et son équipe de cœur, du moment qu’elle soit européenne. Mandoumbé, 15 ans, s’imagine à Marseille : « Comme tous les joueurs, mon rêve, c’est de quitter l’Afrique. » Chacun sait que jouer en Europe lui offrira plus de visibilité. « Ce serait surtout un moyen d’aider ma famille », ajoute Mandoumbé. Plus qu’un sport, le football représente la seule porte de sortie pour échapper à la misère.

Après une heure d’entraînement, alors que résonne l’appel à la prière dans les haut-parleurs du stade, les exercices s’enchaînent. Les joueurs ne perdent pas de vue leur objectif : convaincre les dirigeants. Dans les tribunes, Pape Diouf, le directeur technique, est de plus en plus sollicité. « Nous avons 80 appels par semaine à l’approche de la nouvelle saison, les familles sont nombreuses à vouloir faire entrer leur enfant dans l’académie », explique-t-il. Cet ancien joueur de deuxième division a rapidement fait de la formation des jeunes joueurs sa vocation. « Il y a quelques années, je passais mon temps à suivre les matchs des enfants de mon quartier, se souvient-il. Il y avait beaucoup de talents mais ils n’étaient pas organisés. Ce qu’il leur manquait, c’était de l’encadrement. »
Avec ses collègues dirigeants, Pape Diouf a réussi à apporter cette pièce manquante. La fierté se lit sur leurs visages. Les joueurs font preuve d’une attitude exemplaire, de l’échauffement jusqu’à la fin de l’entraînement. « La tactique est moins importante que le reste. On privilégie la technique et la cohésion d’équipe. On parle très peu pendant les matchs car ces jeunes jouent ensemble depuis leur plus jeune âge », détaille Iboulaye Thioye, l’entraîneur des séniors, avant de conclure : « L’académie est plus qu’une équipe, c’est une famille. »
Le football à tout prix
A la tête de cette famille, Alex Ndiaye est animé depuis longtemps par la passion du football. Il y a cinq ans, il a tout plaqué pour se lancer dans une aventure ambitieuse : fonder sa propre académie. Responsable commercial au sein d’une grande banque, il a renoncé à ses 1700 euros mensuels pour se consacrer à la formation des jeunes Dakarois.
Alex N'Diaye nous parle de l'Académie Foot Pro (AFP) de Dakar qu'il a fondée en 2013. Notre reportage à suivre sur https://t.co/Fdi6TZfOoK pic.twitter.com/Q0BB8Ogx0n
— Demain Dakar (@DemainDakar) July 5, 2018
En 2013, l’Académie Foot Pro voit le jour. Avec lui, six amis proches constituent l’équipe dirigeante. « On se voit tous les jours depuis cinq ans, confie le président. On se connaît par cœur. » Alex Ndiaye se définit comme le plus tenace de la bande. Il transmet aux jeunes ses valeurs : le respect et l’écoute. Dans sa démarche, la rigueur, fondamentale, rassure des parents souvent méfiants. « Au Sénégal, l’esprit sport-étude n’existe pas, explique coach Iboulaye Thioye. Les familles craignent souvent que leurs enfants délaissent l’école pour le football. »
Pour pallier ce risque, le président a le numéro de téléphone de tous les parents et insiste sur l’encadrement. « L’an passé, parmi les 80 jeunes de l’académie, 25 n’ont pas resigné à cause de leur manque d’implication ou de leur attitude. Si le joueur est en retard, rate des entraînements ou fait la tête quand il est sur le banc, ça ne fonctionne pas. Techniquement, il n’y pas toujours de grands écarts, ce sont les valeurs morales qui font la différence. » Cet état d’esprit a déjà fait ses preuves : « On a deux gamins très talentueux qui étaient dans le viseur de Génération Foot (centre de formation dakarois affilié au FC Metz, ndlr). Leurs parents ont préféré nous les confier. »
Malgré ces succès, le chemin reste long. Sans stade ni local attitrés, l’académie n’a pas encore reçu de numéro d’affiliation par la fédération de football sénégalaise. Et avec l’équivalent de 500 euros de subventions annuelles, Alex Ndiaye, se sentant lésé, regrette la politique des dirigeants locaux : « Ils sont venus pour vivre du football et non pour faire vivre le football. » Il tacle aussi les anciens de la sélection : « Très peu reviennent pour investir chez nous. Ils oublient souvent d’où ils viennent. »
« Il y a trop de talents ici »
Le cas d’Ely est un peu différent. Maillot des Cavs de Cleveland sur les épaules et sac Gucci sur le dos, ce grand gaillard d’1m95 est de passage « au bled, pour les vacances ». En 2017, il quitte l’académie pour rejoindre l’Europe. La Belgique d’abord, où il reste quatre semaines à Genk, avant que son agent ne fasse le nécessaire pour qu’il rejoigne la réserve d’Ajaccio en National 2. Un rêve pour ce gamin de Pikine. En regardant ses anciens camarades enchaîner les passes, il lâche : « J’ai rien de plus qu’eux, j’ai eu de la chance, grâce à Dieu. Il y a trop de talents ici. »

L’académie, il l’a rejointe à 19 ans, même s’il pratique le foot depuis tout petit. « Je me suis entraîné dur et j’ai toujours cru en moi. » Pourtant, ses parents se sont longtemps opposés à son projet. « Ils ne me donnaient pas d’argent pour prendre le bus, je devais me débrouiller pour venir à chaque entraînement. » Aujourd’hui, sa mère est fière de lui. Chaque mois, il lui envoie 1000 euros, soit 650 000 francs CFA, plus de six fois le salaire moyen à Dakar.
Ely n’oublie surtout pas d’où il vient. « Quand l’entraînement sera fini, la plupart des enfants n’auront pas à manger. Ils boiront de l’eau et iront directement se coucher. J’étais comme eux. En Europe, tu manges au minimum trois fois par jour. » Sa réussite, le jeune joueur la doit à Alex Ndiaye, Iboulaye Thioye et aux autres dirigeants. « L’encadrement est quasiment professionnel, souligne-t-il. Alors, quand je suis arrivé en Europe, j’ai su m’adapter rapidement. » C’est tout sauf une surprise pour celui qu’il considère comme son père. « Le talent dormait en lui. Il lui fallait le déclic », glisse le président de l’académie en lui tapant sur l’épaule. « Le mental, c’est le plus important. Sur 1000 sélectionnés, seuls 1 ou 2 signeront un jour professionnel. »
Alexandre Chauveau, Didrick Pomelle, Camille Rioual
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