Christophe Bigot est l’ambassadeur de France au Sénégal depuis deux ans. De l’éducation à la politique, en passant par l’emploi, nous l’avons interviewé sur la jeunesse du pays.
Des livres éparpillés un peu partout et une odeur de peinture fraîche. C’est dans la bibliothèque bleu océan de la Résidence de France que Christophe Bigot, l’Ambassadeur de France au Sénégal, a accepté de nous recevoir pour répondre à nos questions sur la jeunesse sénégalaise.
Dès le début de l’entretien, le diplomate met en garde sur la pertinence de parler d’une « jeunesse » au vu de la pyramide des âges : « Au Sénégal, tout le monde est jeune, glisse-t-il avec un sourire. Près de 80% des Sénégalais ont moins de 35 ans. En fait, la jeunesse sénégalaise, ce sont les Sénégalais tout court. »
Voici un entretien mal embarqué. Si tout le monde est jeune, alors il n’y a plus aucune raison de parler des jeunes….
Des différences territoriales majeures
Partons sur les très jeunes alors. Les moins de 20 ans, par exemple, qui représentent plus de la moitié de la population. Là encore, le sujet n’est pas si simple à étudier pour Christophe Bigot : « On ne peut parler de jeunesse sénégalaise qu’au pluriel. » Une hétérogénéité principalement due aux différences entre les zones géographiques du pays.
Autre différence. L’accès à l’éducation, qui reste plus difficile pour les filles, précise l’ambassadeur. « En primaire et au collège, le taux de scolarisation des filles est plutôt bon. Mais il dégringole au lycée, notamment à cause des mariages précoces. »
Selon Christophe Bigot, néanmoins, les jeunes Sénégalaises comme les jeunes Sénégalais partagent un trait de caractère commun, leur pragmatisme : « Il y a eu des jeunesses très animées par des courants idéologiques. Mai 68 a par exemple été un moment très fort dans la vie estudiantine et politique sénégalaise. Aujourd’hui, les jeunes sont plus centrés sur des préoccupations concrètes : s’inscrire dans une université, trouver un emploi, nourrir sa famille. »

Les jeunes constituent aussi une donnée démographique et économique nationale, et elle ne s’avère pas réjouissante : « Évidemment, la jeunesse est souvent synonyme de créativité, de combativité, de volonté, d’énergie, d’enthousiasme, lance le diplomate. Mais au Sénégal, cela veut dire également que la moitié de la population est inactive, car elle n’est pas en âge de travailler. Elle ne contribue donc pas à l’économie. »
Une année électorale déterminante
La jeunesse sénégalaise représente enfin une incertitude. « L’un des défis de l’élection présidentielle de 2019, ce sera le taux de participation des jeunes, souligne Christophe Bigot. Une partie d’entre eux votera pour la première fois. » La dernière élection présidentielle remonte à 2012. Plus d’un million de Sénégalais sont devenus majeurs entre-temps. Autant de jeunes gens dont on ne connaît ni les envies, ni les motivations, ni les idées. « Comment vont-ils réagir ? Vont-ils aller voter ? Comment analysent-ils la réalité du Sénégal ? Quels sont leurs besoins ? Toutes ces questions restent en suspens », conclut l’ambassadeur.
Quelques éléments de réponse ont toutefois été donnés au début de l’année 2018. Le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne s’en est pris aux jeunes opposants de l’actuel Président Macky Sall, qui « préfèrent investir les réseaux sociaux et tirent sur tout ce qui bouge via Facebook, Instagram et Twitter ». Un choc générationnel qui annonce d’ores et déjà une année électorale virulente.