Il y a des personnes qui naissent au mauvais endroit. Lui, est né en France mais ne rêve que d’Afrique. Lui, c’est Paul, 24 ans et ornithologue de formation. Nous l’avons rencontré dans les rues du quartier de Gueule Tapée.
Paul est arrivé au Sénégal il y a trois ans pour porter un projet en Casamance. Il voulait développer l’écotourisme dans la verdoyante région du sud du Sénégal. « Quand tu es français, tu arrives avec tes projets et ta bonne volonté. Tu veux changer les choses. Mais ici au Sénégal ça ne fonctionne pas comme ça », explique le jeune homme.
Le Sénégal est une terre accueillante, mais elle se gagne. « Si tu débarques avec un projet clair, tes interlocuteurs vont essayer de te tirer de l’argent. Quand tu arrives, ne dis rien, travaille avec eux et plus dur qu’eux. Là, ils te prendront au sérieux ».
« Mange, vas-y mange »
Nous avons rencontré Paul après d’âpres négociations. Au marché aux poissons, un pêcheur, Pape, veut à tout prix être payé pour un reportage avec lui sur sa pirogue. Il a 35 ans et fait partie de l’ethnie Lébou. Nous négocions, il ne recule pas. Sans rancune. «Tenez, mon frère est de Toulouse. Vous voulez le rencontrer? », nous demande Pape, plein de malice. Un frère de Toulouse ? Pape a su attiser notre curiosité. Il nous entraîne à sa rencontre.

@Pierre Rateau
Bienvenue dans le quartier de Gueule Tapée ! C’est ici que nous trouvons le fameux « frère de Toulouse », Paul, dans le centre historique des Lébous. Pape nous invite, accompagné de son Toulousain, chez son père, ancien gendarme, aujourd’hui retraité. En moins de 15 minutes, la famille nous propose à manger: un riz à la daurade coryphène bien chaud.
« Mange, vas-y mange ! ». L’injonction revient souvent, on ne plaisante pas avec la « Teranga », l’hospitalité sénégalaise. « Un jour, je me suis installé avec cette famille comme ça, pour déjeuner avec eux. J’ai payé 2 000 CFA. Pareil le deuxième jour. Le surlendemain, le père est arrivé et me dit: ‘Tu manges avec nous, tu vis avec nous, tu ne payes rien’ », raconte Paul, encore admiratif. Malgré l’échec de son projet en Casamance, le jeune Français a décidé de s’installer au Sénégal. Inscrit à l’université, il a une raison légale de rester sur le territoire.
« Bolloré l’a bien compris »
Pendant la conversation, le thé brûlant circule mais il y a seulement deux tasses pour tout le monde. On boit chacun son tour, vite et en aspirant de l’air. « J’ai toujours eu l’impression que ma vie n’avait pas de sens. Ce n’est plus le cas, ici, en Afrique », confie Paul.
Il s’étend sur le pillage du continent, évoque la corruption puis les entreprises chinoises et françaises qui s’accaparent les ressources naturelles.« Les Sénégalais veulent l’argent avant tout. Sans forcément le travail. La Chine l’a compris. Ses entrepreneurs et [Vincent] Bolloré aussi. Ils arrivent avec le sourire et promettent tous de payer cash ». Paul, lui, est comme ça, plein d’idéaux, avec la volonté de changer le monde. S’il critique son pays d’adoption, c’est parce qu’il l’aime. Il vante le sourire de ses frères sénégalais ainsi que leur hospitalité. Le chef de famille Lébou nous ressert du thé. Vite, vite, il faut faire passer la tasse.
« Un Toubab et un guignol »
Paul veut nous faire découvrir le vrai Dakar, loin des touristes. « Je serai absent les prochains jours mais je vous confie à mon ami Abo ». Ce dernier rapplique en un coup de fil. Il nous emmène chez lui après un dernier au revoir à la famille de Pape, le pêcheur.
Dans la rue, la Teranga continue son chemin. Paul et Abo ne font jamais plus de 100 mètres sans s’arrêter pour saluer jeunes, anciens ou vendeurs ambulants. Désormais amis d’amis, Abo nous appelle « ses nouveaux blancs« , en rigolant. Notre nouveau guide désigne les gens autour de lui. « Nous n’avons pas toujours d’argent. Si on en manque, il suffit d’aller dans la rue et quelqu’un nous aide. Le partage nous fait vivre ». Pour preuve, Abo demande pour nous des cafés à un ami Diola (ethnie majoritaire de la Casamance) qui nous sert sans poser de questions.
« Au Sénégal, on a la foi, on a la vie. Je crois en la vie ». Abo philosophe. Sur le chemin du retour vers notre logement à la Maison de la Presse, les taquineries fusent. « Tu es un Toubab [un blanc], et un guignol. Je te le dis: tu es un guignol », s’amuse Abo, hilare. Paul nous regarde, souriant. « Les Sénégalais sentent que tu es encore un touriste mais je te donne deux jours pour qu’ils ne fassent plus de différence entre eux et toi ».
Arrivés à la Maison de la Presse, Abo et Paul nous saluent. Ils repartent, noir et blanc, deux Sénégalais côte à côte.