Les catholiques représentent 4 à 5% de la population sénégalaise. Depuis leurs paroisses, certains jeunes tentent de réveiller leur communauté, désireux de s’engager davantage dans la vie publique et dans le milieu professionnel.
« Dans notre paroisse, il y a beaucoup de ressources humaines mais on ne le sent pas. Trop de jeunes catholiques attendent que l’on vienne vers eux », commente Marie-Rosalie, 25 ans et membre de la coordination des jeunes de la paroisse des martyrs de l’Ouganda. Marie-Rosalie a l’œil pétillant et le regard doux. Volubile, elle raconte son désir de voir la jeunesse catholique s’engager davantage. De son côté, elle s’est investie. Cette année, elle a organisé la kermesse de la paroisse avec une trentaine d’autres jeunes. Une gigantesque fête où 300 personnes se déhanchent sur des musiques modernes à la gloire de Dieu. Même les textes de Booba peuvent célébrer le Seigneur. Tout le monde semble heureux de se retrouver. « Une solidarité de façade », tempère Marie-Rosalie.

Photo: Marie Bail
D’autres membres de la paroisse partagent cet avis : « Les jeunes catholiques ne sont pas ambitieux, ils sont amorphes. » La critique de Magloire est dure mais pas fataliste. A 40 ans, ce père de famille a monté son association, l’AJCS (Association des Jeunes Chrétiens du Sénégal) pour favoriser la solidarité entre catholiques. Magloire travaille dans une entreprise de télécommunication indienne à Dakar depuis dix ans. Bien inséré professionnellement, l’ingénieur d’affaires a décidé de monter ce réseau en 2017 pour favoriser le « réveil économique, social et politique ». En somme, pour accélérer les recrutements entre catholiques et pour inciter les jeunes à s’engager dans la vie publique.

« Les catholiques restent en retrait de la politique parce qu’ils jugent que les pratiques des politiciens, souvent véreuses, sont contraires à notre foi, explique Magloire. Les catholiques, ici, c’est boulot, maison, famille. » Beaucoup ne s’engagent pas et se contentent de rester de simples consommateurs. Un état d’esprit éloigné de leurs confrères musulmans, plus investis dans la vie sociale et solidaires au sein de leur communauté.
Querelle de clochers
L’AJCS tient à faire bouger les choses. L’association anime des forums d’entrepreneuriat pour faire se rencontrer jeunes en fin d’études et chrétiens déjà insérés dans des entreprises. La mission est remplie également par une autre association, l’ADECS (Alliance pour le Développement Culturel et Social). Fondée par et pour des cadres et des chefs d’entreprise, la structure se trouve souvent critiquée pour sa « vision bourgeoise de patronat catholique ». Un préjugé dont se défend son directeur, Patrick de Souza. Ce patron de 58 ans estime que les jeunes « manquent d’ambition, d’esprit d’entreprise et d’innovation ». Depuis peu, il organise aussi des forums d’entrepreneurs. « Pas assez de concret », juge pour sa part Magloire.
Pour motiver la jeunesse, l’AJCS ne manque pas d’idées. En effet, l’association veut jouer le rôle d’incubateur de projets en catalysant une centaine d’initiatives dans tout le diocèse de Dakar. « Nous avons lancé une campagne de communication pour récolter des idées de projets des jeunes dans chaque paroisse », raconte Magloire. Au Sénégal, la paroisse constitue un lieu de rencontre. Même si a priori elle n’a rien d’un « pôle emploi », elle organise la vie communautaire.
Saint Paul-Emploi
D’ailleurs, la paroisse relaie les petites annonces, tout comme les grandes, à l’image de l’appel de la DER, Délégation à l’entrepreneuriat rapide pour les femmes et les jeunes. Subventionné à hauteur de 30 milliards de francs CFA par le gouvernement, ce programme vise à financer les projets des jeunes. L’AJCS a sélectionné les 20 meilleurs dossiers pour les présenter et les défendre auprès de bailleurs et obtenir les fonds nécessaires à leur réalisation.
« Mais nous nous sommes heurtés à l’organisation très carrée de l’Eglise », précise le co-fondateur de l’AJCS. Avec son équipe, ils sont passés de paroisse en paroisse pour rencontrer les jeunes. La hiérarchie ecclésiale les a freinés. « Il y a beaucoup de méfiance entre nous », déplore Magloire. L’ingénieur a donc organisé une opération de communication sur Facebook pour collecter les projets, avant d’obtenir la bénédiction du Directeur des œuvres et de l’apostolat laïque, l’Abbé Pascal Diom, soit « celui qui ouvre toutes les portes ». Saint-Pierre et ses clés.
Coup de piston divin
L’Abbé Pascal est un homme aux joues rondes et aux lunettes carrées. Dans son bureau aux murs épurés, supportant uniquement un crucifix et un tableau de la Vierge, le bras-droit de l’archevêque de Dakar en impose. « Les jeunes attendent un coup de piston pour l’emploi de la part de l’Eglise », soutient-il. Du 3 au 28 octobre prochains se tiendra le synode de la jeunesse au Vatican. Afin de préparer cette rencontre, chaque diocèse a reçu des lineamenta, une série de questions à destination des paroissiens. A la question « qu’est-ce que les jeunes attendent de l’Eglise aujourd’hui ? », les Sénégalais ont massivement demandé à ce que celle-ci les aide à trouver un emploi. Surtout, ces jeunes attendent que l’Église les pousse à devenir acteurs de leur propre changement.

Photo: Thomas Larabi
Selon l’Abbé, c’est là le cœur du rôle social de l’Eglise. « Elle est investie d’une mission humaine et concrète », rappelle M. Diom avec un sourire. Pourtant, le concret pèche cruellement. Excepté l’organisation de conférences au sujet de l’emploi, la haute sphère de l’Église n’a pas encore montré son engagement dans les faits. Ce n’est pas par manque de volonté, mais plutôt à cause de la lourdeur bureaucratique de l’organisation catholique. D’où l’importance d’une association comme l’AJCS, organisée par les jeunes eux-mêmes. Magloire reste optimiste : « Depuis quelques années, je vois notre jeunesse devenir plus consciente, plus engagée et responsable. Pourvu que les chrétiens emboîtent le pas. »