Ils ont décidé d’unir leurs voix contre le Franc CFA… en musique. Dans un clip, dix artistes ouest-africains appellent à l’abolition de cette monnaie héritée de l’époque coloniale. L’initiative est portée par le label musical indépendant Amoul Bayi Records, basé à Dakar. Nous avons tendu notre micro au rappeur Nitt Doff, alias Mor Tallah Gueye, membre du collectif « 7 minutes contre le CFA ».
Le débat autour du franc CFA n’est pas nouveau. Il passionne autant qu’il divise. Pourquoi, en tant qu’artiste, avez-vous choisi de mettre votre plume et votre voix au service de ce combat ?
J’ai toujours considéré le Franc CFA comme une injustice, une forme d’exploitation, un symbole de domination et d’impérialisme. Ce n’est pas une question de Noirs contre Blancs, de Blancs contre Noirs. C’est une question d’humanisme. Il est inconcevable de ne pas avoir, en 2018, le monopole de sa propre monnaie, et que cette monnaie soit encore fabriquée en France et gérée par l’État français. Sans souveraineté économique, vous n’êtes pas libres. Il est donc temps que l’Afrique créé, gère et sécurise sa propre monnaie.
Plusieurs économistes, notamment africains, considèrent le franc CFA comme un gage de stabilité et de sécurité économique pour les 15 pays qui l’utilisent. Que pensez-vous de cet argument ?
L’argument de la stabilité économique sonne comme une menace. Il est utilisé pour faire peur. C’est une façon de dire aux Africains : « Contentez-vous de ce que vous avez. L’Afrique est fragile et ne doit pas retomber dans les drames qu’elle a connus. » Ce discours empêche les peuples africains de prendre leur envol, de désirer la liberté. Il permet aussi de calmer la révolution qui est en cours sur cette question. C’est en tout cas ma conception des choses.
Dans votre clip 7 minutes contre le CFA, les artistes parlent d’« esclavage économique » et dénoncent la subsistance de cette « monnaie du colon » en français. N’est-il pas paradoxal de s’attaquer aux vestiges de la colonisation dans la langue du colon ?
La langue française fait partie de notre histoire. Nous l’apprenons à l’école et même si elle reste un symbole de la colonisation, il faut être capable d’accepter son destin. On s’en sert pour faire passer des messages et pour réunir les peuples, tout en conservant nos langues locales car on ne pourra jamais appuyer notre développement sur des langues qui ne sont pas les nôtres.
C’est pour cette raison que vous avez choisi de chanter en wolof plutôt qu’en français dans ce clip ?
Ceux qui chantent en bambara représentent le Mali. D’autres chantent en français. Il fallait qu’un artiste représente le Sénégal. L’idée, c’était de faire ressentir à la jeunesse ce désir que nous avons de mener un combat ensemble. On voulait aussi que les Africains puissent s’approprier cette chanson, qu’ils sachent qu’il y a cette jeunesse prête à s’unir au-delà des langues et des frontières. Et même si ce clip s’adresse d’abord à la jeunesse africaine, toutes les personnes aimant la justice et l’humanisme devraient se sentir concernées.
Qu’apporteraient l’abolition du franc CFA et la création d’une monnaie africaine, telles que vous les réclamez, à la jeunesse sénégalaise et, plus largement, à la jeunesse africaine ?
Symboliquement, l’abolition du franc CFA permettrait aux pays africains de savoir qu’ils sont capables de faire entendre leurs voix en s’unissant. La nouvelle génération a soif de liberté et de souveraineté. Nous sommes moins dans la soumission et davantage dans le désir de liberté que nos aînés. Internet offre aujourd’hui la possibilité de créer des vents de révolte… C’est pourquoi je suis très optimiste. Je pense qu’il est possible de changer les choses et de donner à l’Afrique la place qu’elle mérite dans ce monde.