Au Sénégal, être diplômé ne garantit pas l’insertion sur le marché du travail. Bien au contraire. Plus de 20% des Bac+2 sont au chômage contre seulement 10% des Sénégalais sans diplôme. A l’université Cheikh Anta Diop, l’avenir professionnel fait peur aux étudiants.
Chaque année, au début de l’été, les jardins de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar se remplissent d’étudiants équipés de leurs fiches et de leurs surligneurs. Assis sous les arbres ou dans les allées, écouteurs vissés dans les oreilles, ils récitent inlassablement leurs cours du premier semestre (allant d’avril à fin juillet). Mais les étudiants de la plus grande université du pays n’en oublient pas leur avenir professionnel. Avant même d’être diplômés, ils savent que les postes sont rares et l’insertion sur le marché du travail, difficile.
Devant le département de faculté de pharmacie, Fadel, un grand jeune homme souriant et apprêté, serre la main de quelques camarades. L’étudiant a encore quatre examens à passer. « Mais j’ai arrêté de stresser ! Je ne révise plus et je passe quand même », rigole le jeune homme. L’évocation de l’insertion professionnelle des jeunes lui fait retrouver son sérieux : « J’ai des amis qui sont diplômés et qui sont assistants dans des officines, payés une misère pour tenir la boutique pendant que le pharmacien n’est pas là ». Une forme de stage, sous-payé, qui maintient les jeunes diplômés dans la précarité plusieurs années avant l’insertion professionnelle.
Fonction publique, la voie royale
« Nous ne restons jamais au chômage, alors nous acceptons tous les petits boulots », assure Fadel. « C’est d’autant plus vrai lorsque l’on est « soutien de famille », c’est-à-dire en charge de rapporter de l’argent à la maison [souvent l’aîné de la fratrie] ». Fadel, cadet, ne souhaite pas travailler dans les officines, car il ne veut pas « se faire avoir ». Il se spécialisera donc en santé publique pour rejoindre l’administration.

« Viens voir ! » Fadel interpelle Mame, étudiante en médecine et ancienne camarade de promotion du jeune homme. Élégante dans une longue robe rose assortie à son foulard, elle s’apprête à passer le concours de l’internat en décembre (25 places pour 300 candidats au Sénégal) pour se spécialiser en cardiologie. Déterminée, elle explique : « La spécialisation est plus chère, tout le monde n’a pas les moyens de se la payer, mais après on est sûr de rentrer dans la fonction publique. Au Sénégal, seul l’État engage. Sinon, c’est plus compliqué de trouver du travail. » La fonction publique assure notamment un statut, un salaire à vie et une couverture maladie. Ceux qui échouent aux concours auront besoin de plus de temps pour rentrer sur le marché.
« Les mêmes inquiétudes depuis 10 ans »
Un enseignant en habit traditionnel bleu ciel s’avance vers les étudiants. Ils l’accueillent avec de grands sourires. Le professeur Moussa Diop semble être apprécié de ses élèves. Ces derniers louent son engagement et son ouverture d’esprit alors même que son opinion va à contre-courant de la leur. « Les étudiants ont les mêmes inquiétudes depuis 10 ans. Ils voudraient, dès l’obtention de leur diplôme, un travail qui correspond à leur qualification. Mais ils oublient que nous vivons dans un pays sous-développé, même si je n’aime pas bien ce terme. Ils ne vont pas s’enrichir. La réalité de notre pays est celle-là. »
Moussa Diop reste cependant confiant. Ses protégés finiront tous par s’insérer dans le monde du travail. Car les besoins de la population augmentent. En attendant, l’enseignant sait que les étudiants devront jongler entre les petits boulots mal rémunérés. « Avant d’avoir un travail stable, ici, à l’université Cheick Anta Diop, j’ai dû attendre plusieurs années. J’étais vacataire. Les élèves vont devoir aussi patienter un peu. Au moins, leur situation est moins grave que celles des étudiants de la faculté de lettres ou celle de science. Là-bas, certains ne trouverons peut-être jamais un travail en rapport avec leur qualification. »
Des qualifications en inadéquation
Le département de lettres, justement, se trouve à une centaine de mètres à peine de la faculté de médecine et de pharmacie. Dienaba est assise à l’ombre sur un banc avec deux de ses amies et révise ses cours de licence de philosophie. Elle souhaite se spécialiser en psychologie comportementale, sans savoir vraiment si un métier sera à la clef.
« Nous aurons sûrement un travail qui ne sera pas en adéquation avec ce que nous avons étudié ou avec notre niveau d’étude », explique la jeune fille. Mais elle ne regrette rien : « Tout ce que j’étudie me servira. J’ai de la chance de savoir utiliser mon intelligence. Ici, j’apprends à comprendre mes semblables et cela me servira toujours, sur le plan humain ».

Modou, lui, est plus pragmatique. À l’heure de la pause, il patiente devant la cafétéria de la bibliothèque universitaire. Le jeune homme souffle un peu avant de reprendre les révisions pour ses examens. D’autres élèves vont et viennent autour de lui, tasse de café à la main.
Modou tente de s’assurer un avenir. Il étudie les mathématiques et l’informatique à la faculté des sciences et techniques de l’université. Pourtant, il rêve de se lancer en politique. Le meilleur moyen d’y parvenir est de passer par l’Ecole nationale d’administration (ENA) après l’obtention d’une maîtrise. « J’étais bon en mathématiques avant le baccalauréat. J’ai donc choisi cette matière pour réussir à l’université et prétendre ensuite à la fonction publique. »
Il sait parfaitement que sa scolarité ne colle pas avec ses projets. « Mon but reste de réussir rapidement, de me caser et de gagner de l’argent. Un diplôme, quel qu’il soit, permet de passer les concours de l’Etat. » Selon le jeune homme, l’informatique et les mathématiques n’offrent de toute façon pas tellement de débouchés.
Macky Sall a conscience du problème. Dans son programme intitulé « Plan Sénégalais Émergent », le président souhaite développer l’apprentissage (entreprise et formation) pour créer de l’emploi pour la jeunesse. Qualifié d’« avancée » par certains étudiants, la plupart attendent d’en voir les effets concrets. Alors, Modou, comme Djengé, Fadel ou Mame continuent à fournir beaucoup d’effort pour un avenir incertain.