Au Sénégal, une personne homosexuelle risque la prison. Alors, les témoignages sont rares. Sous couvert d’anonymat, un homme de 38 ans a toutefois accepté de nous parler de la situation de ces jeunes contraints de cacher leurs relations.
Comment vivez-vous votre homosexualité au Sénégal ?
Je ne suis pas du genre à me mentir. J’ai toujours su que j’étais attiré par les garçons. Pour moi, il n’est pas question de jouer un personnage. Lorsque j’ai eu 20 ans, je suis parti à Paris pour faire mes études. En parallèle, je travaillais dans un lieu où beaucoup de mes collègues étaient ouvertement gays. Je pouvais me montrer tel quel et c’est là que j’ai appris à draguer. Avant de partir du Sénégal, je n’avais aucune expérience. En France, j’ai pu vivre complètement mon homosexualité. Depuis mon retour, j’en parle à certains de mes amis à Dakar. Ça passe ou ça casse. J’ai plus de facilités à en parler aux filles. Le problème, c’est que la plupart ne le gardent pas pour elles. Elles le disent à leur copain ou leur mari. Certains d’entre eux ne me parlent plus depuis. Je m’en fiche. Mon cul est à moi. Par contre, on n’en parle pas dans ma famille, car on est musulmans et tous très religieux. À mon âge, je devrais être marié. Ils n’évoquent jamais le sujet. Je pense qu’ils ont compris, mais qu’ils n’osent pas me poser la question. Si je leur répondais « oui », ils se sentiraient complices. C’est une sorte de pacte silencieux entre nous.
« Je me suis dit qu’il fallait être discret »
Le climat s’est tendu au début des années 2000 au Sénégal. Certains faits divers ont été relatés dans la presse, comme l’exhumation des corps de personnes homosexuelles, ou encore des incarcérations après la célébration d’un mariage gay. Cela vous fait-il peur ?
Quand tout cela s’est passé, je revenais tout juste de mon séjour en France. Je n’ai pas eu peur, mais je me suis dit qu’il fallait se montrer discret. Ça n’a pas vraiment changé ma manière d’aborder mon orientation sexuelle. Je continue à faire des rencontres, sur internet ou par l’intermédiaire de mes amis. Quand je passe par des sites, je prends mes précautions, je privilégie les rendez-vous dans les lieux publics, surtout depuis que j’ai été piégé. L’homme qui m’avait contacté était en réalité un jeune escort boy…. Je vois aussi beaucoup d’hommes qui mènent une double vie. Je suis resté un an avec un partenaire qui vivait avec sa femme et ses enfants. Il voulait que ça aille vite entre nous. On s’est présenté mutuellement nos familles, qui ne se doutaient de rien. On avait mis en place un scénario : on disait qu’on était devenus amis à Paris et qu’on venait de se retrouver. Au bout d’un moment, j’en ai eu marre. Sa femme me faisait des cadeaux, alors que j’avais couché avec lui la veille. Ça ne pouvait plus durer comme ça.
« Les jeunes ne savent pas vers qui se tourner »
Vous parlez des rencontres sur internet. Les jeunes homosexuels peuvent-ils plus facilement s’épanouir grâce à ça ?
C’est une super évolution. Mais elle est à double tranchant. Aujourd’hui, avec internet, les jeunes commencent à vivre leur sexualité plus tôt. Ils savent davantage de choses, notamment sur l’escorting. Certains sont prêts à tout pour le plaisir ou pour l’argent, alors ils mettent leur vie en danger. Ils s’exposent au VIH. Le problème, c’est que faire de la prévention, c’est difficile. Beaucoup de jeunes ont peur, ils ne savent pas où aller, ni vers qui se tourner.
Régulièrement, le gouvernement de Macky Sall maintient sa position : il ne légalisera pas l’homosexualité. Pensez-vous qu’à terme, la société deviendra plus ouverte sur ce sujet ?
Si les lignes vont bouger ? Je n’y crois pas. La religion musulmane reste très ancrée au Sénégal. Pour moi, ça ne changera jamais. Ce qui ne nous empêchera pas de vivre. Comme je le dis souvent, entre quatre murs, chacun fait ce qu’il veut.
Propos recueillis par Ludivine Aurelle
L’homosexualité illégale
Au Sénégal, la justice définit l’homosexualité comme un « acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe ». Elle est punie d’une à cinq années d’emprisonnement et de 100 000 à 1 500 000 francs CFA d’amende (soit 150 euros à 2 300 euros). C’est l’un des 72 pays au monde qui condamnent cette orientation sexuelle, selon l’Association internationale lesbienne et gay.
L.A