Chronique d’une fête du samedi soir organisée par la communauté catholique dakaroise. Amateurs de chamboule-tout, passe ton chemin. Le Seigneur a vu les choses en grand.
Quand ton contact, quarante ans et père de deux enfants, te donne rendez-vous à la kermesse de la paroisse des martyrs de l’Ouganda, tu te dis que la fièvre du samedi soir a peu de chance d’agiter ton thermomètre. Méprise. Les cathos dakarois n’ont pas fait une croix sur la fête. Une scène bien wattée, un (petit) grand huit, du tir à l’arc, un château gonflable à l’effigie de Bart Simpson et surtout un lapindrome.

Photo: Thomas Larabi
Imaginez vingt mini maisons numérotées et disposées en cercle. Sur chacune de ces maisons, un lot : paquet de farine, xylophone à quatre lames, pot (celui dans lequel les marmots s’épanchent), canette de bière, plein de choses chouettes quoi. Au milieu du cercle, un panier en osier, posé à l’envers, renfermant deux gros lapins blancs. Chacun parie sur le numéro d’une maison, on libère les bêtes, et à la grâce de Dieu…
« La vengeance est un plat qui se mange frit »
N’ayant pas gagné la farine, Marie et moi nous aventurons au stand barbecue. Au menu, des brochettes de saucisses enrobées, un genre de beignet de Knacki à faire pâlir le Colonel Sanders. « Au Sénégal, la vengeance est un plat qui se mange frit », note très justement mon acolyte.
Sur ces entrefaites, l’acolyte s’éclipse aux commodités (on n’avait pas gagné le pot non plus) et revient quelques instants après, plus toubab que jamais : « Leurs chiottes, c’est le dernier cercle de l’enfer de Dante », bégaye-t-elle. Puis pour fêter ça, elle part bouger sur du Booba, là-haut sur la scène, au milieu d’enfants survoltés dans leurs habits du dimanche (alors qu’on est samedi). Décidément, je n’aurais pas pensé que Marie réussirait à me traîner à une fête paroissiale au Sénégal.
Feux d’artifices et B2O
Notre contact tardant (il y a la Coupe du Monde à la télé), on se dirige tranquillement vers le stand de tir à l’arc, une bouteille de gazelle de 63 cl à la main. Arrivée là-bas, Marie décide d’être relou, refuse de jouer les Guillaume Tell et grommelle à voix haute haute : « Ils auraient dû mettre des carabines. Je suis meilleure à l’arme à feu. A huit ans, chez mon oncle, on tirait avec des douilles « com’asses » spéciales pour chevreuil. » Pour la détendre, on part se déhancher au milieu de la jeune foule catholique en plein délire. Sur un fond de B2O, les organisateurs font péter les feux d’artifices. Pas ceux de la fête foraine de Villers-Lès-Rigault hein, non non, de vraies fusées qui propulsent furieusement leur lumière divine dans le ciel dakarois.

Cette Église a quelque chose qui cloche
Une jeune fille, pas très grande, enroulée dans une robe bleu nuit à motifs persans, s’approche. Elle triture ses deux grosses boucles d’oreilles dorées avant de chuchoter à celles de Marie :
«T’as pas d’enfants ?
–Non
-Et t’en veux pas ?
-Si bien sûr, mais plus tard. »
Soulagée, la petite fille repart daber sur Damso avec ses amis.
La fin de soirée est plus apaisée. N’ayant pas suivi les plus motivés en boîte de nuit dans le bâtiment 6, nous conversons gaiement avec notre contact Magloire – enfin arrivé après la séance de tirs aux buts de Russie v. Croatie – et d’autres jeunes cathos actifs, bien décidés à faire bouger leur communauté, sans s’en tenir aux kermesses. Car ils en sont convaincus : ce n’est pas sur ces bières qu’ils bâtiront leur Église.
Thomas Larabi (avec des punchlines de Marie Bail)