Au Sénégal, les confréries musulmanes occupent une place prépondérante au sein de la société. Les Baye Fall, une branche issue de la confrérie des Mourides, se définissent comme des Talibés (élèves ou disciples) de Cheikh Ibra Fall, fidèle compagnon du fondateur du mouridisme. Ils font le choix d’une vie communautaire tournée vers la spiritualité.

Intégrer une communauté Baye Fall n’est pas offert à tout le monde. Notre périple débute à Mbacké, à 200 kilomètres de la capitale sénégalaise, dans la région du Baol, berceau du mouridisme. C’est ici que vit le très respecté marabout Fallou, arrière petit-fils du fondateur du mouridisme, le Cheikh Amadou Bamba Seligne Touba.

À l’étage de sa maison, le marabout Fallou nous reçoit entouré de ses enfants et de ses disciples. Tabah Gallas – 18 ans, crâne rasé, bonnet sur la tête, chapelet autour du cou – est l’un d’eux. Cet élève de première a choisi de mettre sa vie « au service de Dieu », à l’instar de son père. 

« Je ne vais pas dans les boîtes de nuit ou dans les stades de football comme les autres étudiants. Ma vie est tournée vers la spiritualité. Je participe aux cérémonies religieuses », explique le jeune Baye Fall, formé à l’école coranique depuis l’âge de 5 ans. « En tant que fidèles d’Amadou Bamba, nous avons l’obligation d’être proches de Dieu », ajoute-t-il.

Cette proximité avec Dieu est fondamentale chez les Talibés, élèves ou disciples du fondateur du baye fallisme, Cheikh Ibra Fall. Elle passe par le travail qui permet de subvenir aux besoins matériels de la communauté et, sur le plan spirituel, de « retourner vers Dieu », à l’origine de notre existence. La vie communautaire repose sur les valeurs de respect, d’humilité et de partage.

Partage, respect et travail

À une poignée de kilomètres de Mbacké, dans la région de Thiès, nous nous rendons sur le campement communautaire mouride de Cheikh Rassoul, l’un des guides spirituels de la communauté. Son frère, le très charismatique Ousmane Noreyni Gueye, 38 ans, assure la visite. « Ces terres nous ont été léguées par notre mère », explique-t-il. Loin de l’agitation de la ville, les plantations s’étalent à perte de vue. « C’est ici que travaillent les Talibés pour subvenir aux besoins de la communauté. Ils sont une centaine », poursuit-il.

À l’instar de son père et de son grand-père, Ousmane Noreyni Gueye étudie les textes sacrés depuis l’âge de 10 ans : « Être Talibé, c’est comme être militaire. Lorsque l’on le devient, on le reste à vie. C’est gravé dans le coeur. C’est une expérience très positive, basée sur l’humanisme ». Aujourd’hui, c’est lui qui prend en charge l’éducation des jeunes disciples. Le Baye Fall met un point d’honneur à faire la distinction entre les Talibés qui « reçoivent un savoir-vivre, une éducation » et les enfants des rues, désignés de la même manière et contraints à la mendicité.

Ousmane Noreyni Gueye/Photographie : Clémentine Pawlotsky.

Ousmane Noreyni Gueye nous emmène à la rencontre d’élèves talibés. « Vous pourrez leur poser des questions », lâche-t-il. Nous entrons dans une pièce d’une dizaine de mètres carrés. Le décor est spartiate : un matelas, un banc et un portrait du fondateur de la confrérie des Mourides, Cheikh Amadou Bamba, habillent la pièce.

Allongé sur son matelas, Moustapha Tall, 19 ans, accepte timidement de nous répondre. Avant d’intégrer la communauté de Cheikh Rassoul, il était cordonnier et aurait souhaité poursuivre dans cette voie. « Mon père m’a amené ici pour que je reçoive une bonne éducation. La journée, je travaille aux champs. Je suis berger. La nuit, j’étudie le Coran. Être Talibé, c’est une expérience à la fois positive et négative », raconte le jeune homme. Être Baye Fall implique, en effet, une discipline de fer. « Il n’y a pas de connaissance sans souffrance », complète Ousmane Noreyni Gueye, qui suit la conversation avec attention. 

À leurs côtés, un autre disciple prend la parole. Ahmed Rassoul Kara, 28 ans, a intégré la communauté en février 2018. Une initiative personnelle pour « être au service de Dieu, de l’islam et du Coran », précise-t-il. Son plus grand rêve ? Devenir « un grand Talibé ». Possible. Mais, comme disent les Baye Fall, les actions comptent plus que les mots. 

Clémentine Pawlotsky

Comments are closed.