Première association dédiée au roller créée en 2003, Accro Roller fait de ce sport un moteur de développement et d’éducation civique auprès de la jeunesse des quartiers.

« Tu te déplaces par tes propres moyens, tu n’attends pas qu’on vienne te chercher ». Pour Babacar Ndiaye, le roller n’est rien de moins qu’une philosophie de vie.

Babacar Ndiaye, fondateur de l’association Accro Roller. ©Lucie Alexandre

Le fondateur de l’association Accro Roller, âgé de 41 ans, a découvert ce sport pendant son adolescence passée au Gabon, en travaillant dans une patinoire à roulettes. À l’époque, les riders sénégalais sont rares.

Revenu dans son pays à 19 ans, Babacar passe son temps « à teaser, à fumer, à ne rien faire ». Jusqu’au jour où un copain lui ramène une paire de roller, le poussant à rechausser ses patins. « Il m’a sauvé », confie-t-il, « j’ai recommencé à me bouger, j’ai repris mes études, j’allais en cours en roulant ».

Jean-Pierre s’entraîne au saut en hauteur. ©Lucie Alexandre

Pour l’adrénaline

Autour du jeune homme se forme une petite bande, addict à l’adrénaline des courses sur le bitume. Ils se cramponnent à des voitures pour rouler jusqu’à 180 km/h, zigzaguent dans les rues embouteillées de Dakar, s’élancent sur des rampes d’escalier pour exécuter des figures.

En tant que leader, Babacar Ndiaye exige de ses acolytes qu’ils se présentent « vêtus d’une tenue correcte ». « Il était hors de question qu’on ressemble à des garçons des rues, les gens étaient déjà méfiants vis-à-vis de ce sport qu’ils ne connaissaient pas », explique-t-il.

Le groupe informel se retrouve dans une association, créée malgré la méfiance des pouvoirs publics en 2003. « Sport, action et civisme » sont les trois mots d’ordre que lui donnent les deux fondateurs, Babacar et son ami le skateur Mona.

©Lucie Alexandre.

Sport, action et civisme

Pour la modique somme de 2 500 francs CFA (3,80€), les jeunes adhérents à Accro Roller se font offrir un t-shirt et empruntent des équipements quand ils veulent. Environ 600 paires de patins ont été envoyées de France par des riders déterminés à aider le mouvement qui essaime au Sénégal.

Babacar et sa bande montent des événements mêlant divers aspects de la culture urbaine : skate, roller, graffiti, hip-hop, break dance et BMX. Ils ciblent en priorité les quartiers populaires. Avant chaque spectacle de roller, l’association lance un grand nettoyage du quartier, pour tenter d’inculquer aux habitants des réflexes en matière de propreté.

©Lucie Alexandre

Pour Babacar, le sport se doit d’être un vecteur d’éducation. « Pendant le virus d’Ebola on obligeait tout le monde à se laver les mains avant chaque entraînement, c’était sur le ton de l’humour mais c’était de la sensibilisation ». Le coach n’hésite pas à sortir de son domaine pour aborder avec ses élèves des questions graves, comme celle des grossesses précoces.

Insertion professionnelle

Accro Roller permet aussi à certains jeunes de trouver du travail. Une fois formés par Babacar ils peuvent devenir moniteur, animer des ateliers dans les écoles, monter leur propre association, être serveur à roller ou encore gagner de l’argent en distribuant des flyers pour des marques lors d’opérations dites de « street marketing ».

Les moniteurs d’Accro Roller se retrouvent deux fois par semaine pour encadrer une dizaine d’enfants et adolescents. Si certains s’exercent au slalom ou au saut, d’autres débutent et bénéficient d’un accompagnement personnalisé.

©Lucie Alexandre.

Avec son casque rose, ses protège-coudes Barbie, Océane, 5 ans, assiste à son premier cours. Son père William l’observe. « Le roller c’est super pour le développement physique. » Ce Gabonais en mission à Dakar est convaincu par le principe de l’association. « Le prix est bon marché et en plus c’est à 5 minutes de chez nous » dit-il dans un sourire, un formulaire d’adhésion entre les mains.

De jeunes champions

Au fil des années, Accro Roller a formé des sportifs de haut niveau. Awa Balde, 20 ans, vient d’être sacrée championne du monde, dans la discipline free jump, lors des derniers championnats en Chine.

L’autre espoir du roller dakarois s’appelle Khalil. À 16 ans, il affiche déjà un excellent niveau. C’est le troisième meilleur rider du Sénégal. Il a de qui tenir : son père n’est autre que Babacar. Sur le bitume, le garçon enchaîne les séries de slalom autour de petits plots.

Khalil, le fils de Babacar Ndiaye est champion de roller du Sénégal en slalom, ©Lucie Alexandre

L’adolescent, concentré, exécute des mouvements de jambes rapides et précis. Sa prochaine compétition internationale, le PSWC, championnat mondial de slalom à Paris, approche à grands pas. « La concurrence sera rude. » Mais il en faut plus pour intimider ce passionné de roller qui voudrait en faire « à chaque instant ».

Un retour en arrière

Malgré ces talents prometteurs ou confirmés, Accro Roller est en proie à des difficultés financières et logistiques. Le ministère des Sports ne leur a pas versé de subventions. Pour les obtenir, il faut faire jouer ses relations, s’entourer de personnes influentes. Ce genre d’arrangements, pas toujours très honnêtes ne plaît pas à Babacar.

Pour l’heure, l’association n’a plus de lieu d’entraînement. « Avant, on était dans un centre commercial vide, mais on a dû partir car l’endroit devait accueillir une autre structure. » Depuis, les cours se font sur le terrain de basket du quartier tranquille de Mermoz et le matériel est entreposé… chez un voisin.

« On a l’impression d’être revenu en arrière » constate Babacar avec une pointe d’amertume. Le rider ne compte pourtant pas baisser les bras, « même si c’est parfois difficile ». Il est en négociation avec la mairie pour rénover les alentours du terrain et faire construire de quoi abriter les rollers et cônes utilisés pour les entraînements. Comme sur ses patins, Babacar n’attend pas qu’on vienne le chercher.

Ludivine Aurelle et Lucie Alexandre

Comments are closed.