À 30 kilomètres de Dakar, le président Macky Sall a lancé la construction d’une ville nouvelle, un projet pharaonique censé dessiner l’avenir du pays. Pourtant, nombreux sont ceux qui n’auront pas les moyens d’habiter à Diamniadio.
En pleine heure de pointe, l’entrée de Dakar est saturée. Avec trois millions d’habitants et quelques centaines de milliers de travailleurs supplémentaires venant de la grande banlieue, la capitale est devenue un enfer pour les automobilistes. La désengorger, une nécessité.
La longue route reliant Dakar à Diamniadio, elle, est quasi-déserte. Après plus de 35 kilomètres d’autoroute, les grues de chantier et les bâtiments en construction se dessinent à l’horizon. Autour, seules quelques maisons jamais terminées rompent la monotonie des étendues sableuses. C’est ici que la ville nouvelle de Diamniadio sort progressivement de terre. « En 2035, on veut avoir plus de 300 000 habitants, répartis sur plus de 16 km² », précise Yacine Kane Seydi, responsable de la communication du projet depuis 2015. Pour l’heure, seuls quelques édifices sont déjà fonctionnels : l’institut de recherche en santé, l’hôtel 5 étoiles ou bien les ministères de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage.
Une ville à deux milliards au milieu de nulle part
Gigantesque, le projet chiffré à deux milliards d’euros est dans les cartons depuis la présidence de Léopold Sédar Senghor (1960-1980). Débutés en 2014, les travaux doivent permettre d’accueillir à terme plus de 10 000 fonctionnaires, 40 000 logements, une université, un marché international, deux plateformes industrielles avec 20 000 emplois à la clef, ou encore une arena de basket destinée à accueillir des matchs de la NBA. Et pour favoriser sa réussite et son attractivité, Diamniadio pourra également compter sur la construction de la nouvelle ligne TER qui doit relier Dakar au nouvel aéroport Blaise Diagne.
Pour éviter de construire une ville-dortoir, la Délégation générale à la Promotion des Pôles urbains de Diamniadio (DGPU), en charge du projet, a étudié les précédents échecs du continent africain. « En 2004, le Maroc a lancé un vaste programme de construction d’une dizaine de villes nouvelles, explique-t-elle. Ils ont tout misé sur les logements sans démarcher les entreprises. Il n’y avait aucun dynamisme économique. » Diamniadio se veut aussi un exemple de mixité social : « On construit en faisant en sorte de mélanger les logements de petit et grand standing, au sein même de chaque quartier et bâtiment ».
Sur les terres des agriculteurs
Sauf que derrière le projet de Macky Sall, dont le portrait XXL s’étale sur des panneaux publicitaires à l’entrée du périmètre en construction, la réalité est plus complexe. Le béton, les tractopelles et les ouvriers d’aujourd’hui remplacent des sols occupés hier par les agriculteurs du coin. « La terre était fertile, très propice à la culture, reconnaît Yacine Kane Seydi. Mais ceux qui y travaillaient n’avaient aucun droit sur la zone, si ce n’est d’usage. Tout cela appartenait à l’État, c’était en grosse proportion une occupation de fait, informelle. Et les champs étaient en jachère la majorité du temps, presque abandonnés. Sinon, pour les rares parcelles privées, les propriétaires ont tous étaient recasés ailleurs. »
Au-delà des éléments de langage répétés pour justifier le projet, la responsable concède tout de même que les agriculteurs de Diamniadio défrichaient les terres chaque hiver. Combien d’entre eux ont dû abandonner le lieu ? Impossible d’obtenir la réponse auprès de la communication, qui contourne la question.
Du côté des habitants qui vivent aux alentours du chantier, on ne se sent pas concerné. « Le projet est important pour les ministères et les enseignants qui y logeront, mais pas pour les personnes comme moi qui ne gagnent pas des millions, raconte Mamadou Diop. Mais c’est la décision de Dieu donc je l’accepte. » À 28 ans, le jeune homme travaille dans un garage situé à cinq kilomètres de Diamniadio. Il travaille toute la journée et vit avec sa femme et ses deux enfants dans le logement de ses parents.
« Je n’ai pas les moyens de m’offrir un appartement à Diamniadio »
« Si je pouvais, j’achèterais une bonne maison pour ma famille, explique-t-il. Mais je n’ai pas les moyens de m’offrir un appartement à Diamniadio. Et ici, beaucoup sont dans la même situation. Les millionnaires et les milliardaires, tu les trouves à Dakar. Quand tu quittes la capitale en direction des villages, tu trouves des gens qui n’ont ni eau ni électricité, et qui n’arrivent même pas à trouver à manger. C’est ça, la réalité du Sénégal, je ne l’invente pas. C’est le problème dans notre pays, l’écart entre les pauvres et les riches : les gens qui sont en haut oublient ceux qui restent en bas. »
Loin des grandes avenues encore vides du chantier, quelques enfants jouent au foot à côté des camions bennes remplis de gravas. Un autre, vêtu du maillot vert de l’équipe nationale, se poste au passage des voitures pour faire la manche. Depuis le croisement de la route et de l’ancienne voie ferrée, abandonnée pour le futur TER électrique, il est encore difficile d’apercevoir les tours de la ville nouvelle.