Les Baye Fall, « anges gardiens » de la communauté musulmane mouride vivent par et pour la religion. Lorsque les disciples racontent leur croyance, c’est la rencontre entre la religion musulmane et la culture wolof qui se dévoile.

Devenir Khalife à la place du Khalife (ndlr: au Sénégal c’est ainsi qu’on écrit ‘calife’). C’est la destinée de Tapha Gallas. « À la mort de mon père, je reprendrai le titre », explique-t-il. En tant qu’aîné des enfants, ce sera à lui d’être le chef de la famille. Une responsabilité spirituelle importante. Mais, pour l’instant, le jeune homme de 19 ans se forme : il est disciple du Marabout Fallou Galassamina à Mbacké.

Au Sénégal, on voit des posters de Cheikh Ahmadou Bamba sur les bus, les murs des maisons ou des magasins. Photo : Malika Butzbach

À 200 km à l’est de Dakar, cette ville est le berceau du peuple Baye Fall : c’est ici que le Cheikh Ibrahima Fall a prêté allégeance à Cheikh Amadou Bamba Selim Touba, fondateur du mouridisme. Cette branche de l’Islam, majoritaire au Sénégal, concerne plus de la moitié de la communauté musulmane (65%).

En recevant la hache des mains d’Amadou Bamba, symbole de ce qui guidera son action, Ibrahima Fall est devenu le premier « apôtre » du mouridisme. Ces disciples, les Baye Fall, poursuivent son action. « Nous sommes les anges gardiens de la communauté des Mourides », souffle Taba de sa voix calme. « Le Baye Fallisme est un Islam tolérant et ouvert, basé sur le respect et l’acceptation de l’autre », poursuit le garçon, en récitant les paroles de son Marabout.

Taba Gallas, faisant le signe d’Allah avec ses mains, dans la maison de son Marabout. Photo : Malika Butzbach

Une vie de travail

Les Baye Fall sont musulmans mais ont leur propre interprétation du Coran. Ils ne parlent pas des cinq piliers de l’Islam mais respectent trois fondements : le travail, la discipline et la prière. « Le travail, c’est la voie vers l’émancipation spirituelle, raconte Samba, vêtu d’un boubou violet. C’est aussi ce qui nous permet d’être des êtres humains dignes, pas seulement des humains. » Lui aussi est un disciple du Marabout Fallou. Généralement, il travaille dans les champs, près de la ville. Quelle que soit sa forme, le travail est un hommage à Dieu. En accomplissant ces tâches, le Baye Fall suit l’ordre spirituel de son maître, le « nigueul ». « Notre seul but est le succès dans le travail », explique le jeune homme de 20 ans. En ce moment, il aide à retaper la vieille mosquée qui longe la route principale de Mbacké. « Inch’Allah, quand les travaux seront finis, je pourrai faire la peinture ».

Samba, à gauche, avec les Baye Fall, avant la cérémonie du Magal. Photo : Malika Butzbach

Comme tout Baye Fall, il accorde beaucoup d’importance à la création. Peinture, musique ou dessins, l’art est partout dans cette culture. « Il y a un proverbe », annonce Samba en souriant de toutes ses dents, sûr de son effet. « Il dit : tout Baye Fall est artiste, mais tout artiste n’est pas Baye Fall. Même s’il porte des dreadlocks ». Détails pour certains, fierté pour d’autres, cette coiffure imite celle de Cheikh Ibrahima Fall. « Il a passé tant de temps à travailler pour Dieu.Toute sa vie. Pour lui, se laver les cheveux était un acte infime par rapport à sa tâche. Ses dreads se sont formées, elles sont restées ». Samba se laisse pousser les cheveux pour les emmêler. Tapha, lui, garde son crane rasé. « J’ai moins chaud comme ça », sourit-il.

« Sur le cou d’un Baye Fall, tu peux lire son histoire »

Lorsque le Marabout Fallou Galassamina, messager de Dieu, priera pour eux, ils seront considérés comme des Baye Fall à part entière. Mais pour eux, le chemin vers la spiritualité continuera. Que l’on soit né ou que l’on soit converti, « On meurt Baye Fall », énonce Tapha. À ce moment-là, ils pourront porter la tenue spécifique, et surtout leur collier. Constitué de feuille de Coran enroulées dans des lanières de cuivre, cet objet est à la fois un symbole de protection et d’appartenance. « Il y a quelque chose à l’intérieur. Quelque chose de très fort, de très spirituel », affirme le disciple.

Une photo de Cheikh Amadou Bamba, fondateur du mouridisme complète l’arsenal. En plus, les garçons porteront une photo du Marabout Fallou Galassamina, attachée à une fine cordelette de cuivre. « Lorsque tu vois un Baye Fall, tu peux lire l’Histoire de la communauté et la sienne autour de son cou », murmure Samba. Sur leur tête, une Kalla complétera la tenue. Ce couvre-chef (casquette en laine, bonnet ou autre) se garde autour de la ceinture et se porte sur la tête lors des travaux. « Pour se protéger du soleil ou lorsque l’on porte des choses lourdes sur la tête. »

« La Allah ila Allah »

Le mode de vie des Baye Fall est tourné vers le travail et la religion. Autour de ces activités, les deux autres fondamentaux de la culture, la discipline et la prière en découlent. « Bien travailler, c’est être discipliné, explique Samba. En travaillant, nous rendons grâce à Dieu. La prière c’est quelque chose de globale, que nous exprimons dans chacune de nos actions. Et aussi par le chant. » Une forme de prière permanente. Que ce soit dans la rue, en cuisine ou aux champs, les incantations résonnent dans la commune de Mbacké. « La Allah ila Allah » (« Il n’y a d’autre Dieu que Dieu »).

Chantées en groupe ou seul, les prières glissent sur le sable, imprègnent les maisons et s’envolent vers le ciel. Ce soir du samedi 8 juillet, elles font vibrer les murs, diffusées par un imposant système de sono. Les disciples du Marabout Fallou Galassamina sont réunis pour célébrer le Magal Mbacké. Le son des percussions se mêle à la puissance de leurs voix pour fêter l’anniversaire du 3e Khalife (chef) des Mourides, Abdoul Ahad Mbacké qui fut aussi l’un des fondateurs de la ville. C’est l’ancêtre de leur Marabout et, pour l’occasion, jeunes et anciens disciples entrent ensemble en transe. Vidéo de Clémentine Pawlotsky et Malika Butzbach.

Malika Butzbach

 

Pour retrouver l’ensemble des épisodes de la série sur les Mourides

Talibés, la voie de Dieu

Baye Fall: missionnaires de l’Islam mouride

Le chemin spirituel des jeunes Baye Fall

Deux toubab à Touba

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