Moteur, tournez ! Au Sénégal, la production de séries explose ces dernières années. « Nafi », « Idoles », « Pod et Marichou » ont remplacé les telenovelas mexicaines et indiennes. Friands de ces nouvelles séries, les jeunes sont l’une des cibles des producteurs. Entre clichés et tabous, pas facile de parler de leurs vraies préoccupations.
20h00 à Dakar. L’heure de zapper sur la 2STV pour un nouvel épisode d’« Idoles ». La série cartonne au Sénégal depuis deux ans. Comme « Pod et Marichou » et « Nafi », elle fait partie de la nouvelle génération de séries diffusées au Sénégal. Leur nouveauté ? Produites localement, elles parlent de la société sénégalaise. Enfin, en théorie.
Attention, clichés !
Car les jeunes, plus de la moitié de la population, s’y retrouvent encore difficilement. « Quand un jeune est représenté dans une série, il fume et sa mère s’inquiète, déplore la cinéaste Fatou Kandé Senghor. Ou c’est un étudiant modèle parfait qui rend sa mère fière. Donc ça ne traite pas des problématiques de jeunes ».
Le jeune paresseux, voleur ou frimeur, l’image est peu reluisante. Elle est relayée par beaucoup de séries, dans un cadre souvent luxueux, loin du quotidien de la majorité des Sénégalais. Le réalisateur Amary Fall, alias Jahman, l’assume : « Dans notre métier, on vend du rêve ! »
Pour autant, les séries permettent de toucher des cordes sensibles. « Dans notre dernière production, Resto Saf Sap, on aborde le rapport des jeunes au digital » explique Jahman. « Ils sont accros à leur smartphone mais ne comprennent pas forcément les dangers de ce monde hyper connecté. On en parle avec un personnage qui passe sa vie à prendre des selfies. On dit à la jeunesse : ‘attention !’ ».
« Une série, ça sert à déconstruire »
Sensibiliser, plusieurs productions s’y attellent en évoquant aussi des sujets tabous comme la sexualité. Au risque de subir les foudres des politiques ou de la presse.
Mais pour Fatou Kandé Senghor, le chemin est encore long pour toucher aux préoccupations de cette jeunesse. « Quand les femmes sont jeunes dans la série, elles sont l’objet du désir, un vieux monsieur va vouloir en faire une troisième femme. C’est ce genre d’intrigue, regrette la réalisatrice.»
« Personne ne se dit qu’une jeune femme peut étudier, attendre avant de se marier. Ce n’est pas le programme de la grande masse. Car dans la croyance générale, la vie d’une femme est courte, il faut avoir des enfants tôt. »
La fiction pour changer le quotidien, Fatou Kandé Senghor y croit : « Le principe d’une série, c’est de déconstruire », estime la productrice, en plein tournage de sa série Wala Bok ! . « Mon personnage est une fille de 17 ans qui a la chance d’aller dans un bahut différent (…), elle s’habille en tenue large pour qu’on ne l’emmerde pas dans son quartier.»
La vie de tous les jours, avec ses frustrations et ses non-dits, voilà ce que voudrait voir Fatou Kandé Senghor sur les petits écrans. Les producteurs s’y mettent lentement car ils le savent, les jeunes sont l’une de leurs principales cibles. Pour préparer son projet de série sur l’adolescence, AdoCity, Jahman a même consulté pendant plusieurs semaines des jeunes pour sonder leurs rêves et leurs tracas.