Dans son petit local du 9ème arrondissement à Paris, Noël classe, trie, et oriente ses clients collectionneurs. Son souci constant, transmettre cette passion vieille d’un demi-siècle, dont il a fait son métier il y a seulement quatre ans.
“La philatélie, c’est comme tomber amoureux : ça vous prend que vous soyez patron ou balayeur !”, raconte rigolard Noël Chevaudonnat, qui voit défiler “toutes les classes sociales” dans sa petite boutique de timbres, lettres et cartes postales du 9ème arrondissement. Lui-même a connu le coup de foudre à l’âge de 7 ans, en 1964. Une passion qui n’était pas complètement née du hasard : enfant, son père l’embarquait une semaine sur deux aux rencontres d’un club de philatélistes du Val d’Oise. Quand d’autres gamins échangent des billes ou des cartes Pokémon dans la cours de récré, jeunes et moins jeunes collectionneurs y troquent leurs timbres et y dévoilent leurs dernières trouvailles. “A l’époque, on n’avait pas la télévision. Par le biais des timbres, j’apprenais l’histoire de France, du monde, je voyageais!” se remémore cet homme à l’air jovial, tout en manipulant des timbres à l’aide d’une pince à épiler.
“J’aime parler de collection”
Dans le bazar organisé de son petit local, Noël ne chôme pas. “C’est un métier chronophage”, reconnaît-il volontiers. Trier, classer, mais surtout recevoir et accompagner ses clients, parfois venus de loin, à construire leurs collections. “Certains philatélistes ont à l’esprit de vendre. Ce qui m’intéresse, c’est de parler de collection”. Petit, il n’en avait qu’une seule, centrée sur Napoléon III dont le portrait orne aujourd’hui les boiseries de sa devanture. Mais les thématiques prisées par les 100 à 200 habitués qui fréquentent sa boutique sont très variées et parfois surprenantes. “J’ai un client qui ne s’intéresse qu’aux timbres représentant un chien qui tire la langue. Un autre rassemble exclusivement des timbres à l’effigie d’oiseaux en cage.”
Transmettre le flambeau à la jeune génération
Bien sûr, le marché du timbre souffre de la situation économique générale. “L’argent ne circule plus. Lorsque j’acquiers un beau timbre, très onéreux, je peux mettre trois ans à le revendre, en faisant une légère plus-value. Il est plus facile de revendre des timbres moins rares, d’une valeur d’une centaine d’euros”. L’autre handicap que connaît la profession est lié à la flambée des prix de la Poste. “Là où acquérir tous les timbres de l’année coûtait 50 francs dans mon enfance, aujourd’hui il faut débourser 800 euros. Les parents n’ont pas les moyens de dépenser cette somme pour nourrir la passion de leur enfant”. Un constat qui désole Noël, car à ses yeux, la philatélie ne survivra que par les plus jeunes initiés. “Ca m’intéresse moins d’aider des gens de 60 ans, qui dans 10, 20, ou 30 ans ne seront plus en état de cultiver cette appétence.” Sur les expositions, dans les clubs, Noël s’évertue donc à encourager et à échanger avec les enfants. “Un gamin de douze ans arrêtera puis y reviendra plus tard”.
Reconverti sur le tard
Une conviction dont ce passionné peut témoigner personnellement. Pour lui, la vente de timbres est en effet le fruit d’une reconversion tardive. Entré en 1976 au sein d’une grande entreprise financière dont il s’applique à taire le nom, Noël en est chassé il y a quatre ans après une longue carrière de directeur de la sûreté et de la sécurité. “Toujours la même histoire. Trop vieux, trop cher”, soupire-t-il avec une pointe d’ironie. Encore à quelques années de la retraite, le féru de timbres voit alors dans son licenciement l’occasion de retourner à ses premières amours. “Et je n’étais pas mécontent de devenir mon propre patron!” ajoute-t-il. Lorgnant quelque temps sur ce local de la rue de Maubeuge, déjà occupé par un marchand de timbres, il en rachète le bail en 2015. Un choix qu’il ne regrette en aucun cas, sans toutefois renier son passé dans la sécurité. Et pour cause, “protéger son commerce s’avère essentiel lorsqu’il abrite des timbres d’une valeur de plusieurs milliers d’euros”, ajoute-t-il non sans humour. Le soir, en quittant ses précieuses collections, Noël active les cinq niveaux de sécurité de sa boutique et son déclencheur infrarouge, qui assurent une arrivée de la police avant même que le rideau de fer n’ait pu être forcé.
Nolwenn JAUMOUILLÉ