Cannabis : le deal du siècle

Depuis plusieurs années, des associations de consommateur de cannabis et des patients atteints d’affections de longue durée militent pour une légalisation du cannabis thérapeutique. Déjà en coulisses, les différents acteurs s’affairent pour mettre la main sur cette manne verte.

D’ici la fin de l’année 2019, la France pourrait bien être le prochain pays à expérimenter la légalisation du cannabis thérapeutique. L’annonce, passée relativement inaperçue, a fait suite à l’avis d’un comité d’experts conseillant une telle légalisation, reprise en décembre 2018 par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM). Aucune proposition de loi n’est à l’ordre du jour pour le moment, mais une mission d’information au sein de l’Assemblée nationale devrait être lancée à la rentrée avec pour but de lancer cette expérimentation rapidement.

Ce rapport de l’ANSM a coïncidé avec celui de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) également publié en décembre 2018 dont le but était de mettre en place un cadre de régulation possible pour le cannabis thérapeutique au vu des différentes pratiques en Europe.

La France est en retard sur le sujet parmi ses voisins européens :  l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Croatie, le Danemark, la République Tchèque, la Finlande, la Grèce, la Lituanie, le Luxembourg, la Pologne, le Portugal ont tous légalisé l’usage thérapeutique du cannabis. Le Royaume-Uni l’a quant à lui légalisé pour certaines situations graves comme des cas de sclérose en plaques ou d’épilepsie.

A noter que si la plupart de ces 13 pays ont dépénalisé l’usage récréatif du cannabis, aucun ne l’a légalisé. Ce n’est ainsi que sur la partie thérapeutique, médicale, qu’une véritable légalisation a été opérée. Et c’est en partie pour s’aligner sur la plupart de ses grands voisins européens que la France a commencé à explorer le terrain d’une légalisation du cannabis médical.

Les Français, champions européens de la fumette : Si la France est en retard sur la législation relative au cannabis, les usagers français n’ont pas attendu d’être du côté de la loi. Les Français ont ainsi la plus grande prévalence à l’utilisation de cannabis en Europe, selon le rapport 2018 sur l’utilisation de drogues établi par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Autrement dit, les Français sont plus susceptibles de consommer du cannabis que tous les autres voisins européens. Derrière les 11,1% de consommateurs réguliers de cannabis parmi la population adulte française, suivent l’Espagne à 9,5%, la République tchèque à 9,4%, et l’Italie à 9,2%.

 

« Les signaux sont au vert du côté du gouvernement » pour une expérimentation affirme une conseillère du député LREM de la Creuse, Jean-Baptiste Moreau. Celui qui se désigne lui-même comme un « député paysan » est auteur de plusieurs tribunes en faveur de la légalisation du cannabis thérapeutique et a déjà organisé plusieurs colloques au palais Bourbon sur la question.

Quelles conséquences la légalisation du cannabis aura-t-elle donc sur l’économie française ? Il ne faut plus désormais se demander à qui profite le crime, mais à qui profite la légalisation.

Des patients aux aguets

Deux groupes américains, l’un d’investissement (Arcview) et l’autre de recherche (BDS Research) dans la filière légale du cannabis, estiment que le marché mondial atteindra les 57 milliards de dollars (soit 50 milliards d’euros) d’ici 2027.  Selon la même analyse, le marché du cannabis récréatif représentera les 2/3 du marché, le tiers restant étant représenté par le cannabis thérapeutique.

Le Dr. Peter Grinspoon, médecin américain spécialiste du cannabis médical, argue en 2018 dans le journal médical d’Harvard que si la plante n’est pas efficace pour les douleurs extrêmes comme celles post-opératoires, elle est en revanche bien utile pour les douleurs chroniques.

« La marijuana semble apaiser la douleur (liée) à la sclérose en plaque, et les douleurs nerveuses en général. C’est un domaine où peu d’alternatives existent et celles qui sont présentes comme le Neurontin, le Lyrica, ou les opiacés sont hautement sédatifs », autrement dit, les effets secondaires de la marijuana sont moins invasifs que les alternatives antalgiques, particulièrement parce que ces derniers ont tendance à « shooter » le patient, notamment à le rendre somnolent.

Le médecin liste également les nausées, les pertes de poids, et les glaucomes comme des champs d’action possibles de la marijuana, de même que le « traitement contre les syndromes post-traumatiques de soldats revenant de zones de conflit ».

Autre bénéfice de la marijuana, à l’inverse des antalgiques comme l’Oxycontin ou le Fentanyl, les molécules actives du cannabis n’entraînent aucune dépendance. De même, la consommation de cannabis n’est pas susceptible de provoquer une mort par surdose.

Le cannabis face au marché du tabac et des antalgiques  Ces 50 milliards représentent le double de l’estimation du marché mondial des cigares et cigarillos d’ici 2025 selon Persistence Market Research. Mais ils ne restent qu’une goutte d’eau dans le marché actuel des cigarettes qui en 2017 atteignait plus de 625 milliards d’euros selon Euromonitor International. Du côté pharmaceutique, le marché mondial des antalgiques devrait représenter près de 24 milliards d’euros d’ici 2022 selon Allied Market Research.

Si aux Etats-Unis, les laboratoires pharmaceutiques se sont surtout opposés à la légalisation du cannabis thérapeutique, en Europe, c’est un mouvement inverse que l’on observe avec un lobbying intense au niveau des institutions de l’UE.

Les laboratoires européens y voient ainsi un nouveau marché à conquérir, une manière de diversifier leur portfolio en offrant une alternative considérée plus « saine » car « naturelle ».

Faire du blé avec du chanvre

Beaucoup de partisans d’une légalisation du cannabis thérapeutique s’inquiètent de cette arrivée massive des géants du pharmaceutique. Stephen Murphy, directeur général du cabinet international de conseil sur le cannabis Prohibition Partners estime dans un article de Politico de décembre 2018 que « les laboratoires ne font appel (aux usagers) que pour les utiliser, raconter leurs histoires et puis continuer le business ».

Le cannabis, d’une plante à la production et à la consommation illégales depuis la fin du XIXe siècle, deviendrait par un simple coup de baguette législative, un produit presque comme les autres.

En-dehors de l’aspect économique de transformation et de distribution du cannabis thérapeutique qui pourrait être demain l’apanage des grands laboratoires pharmaceutiques, c’est toute la chaîne de production sur laquelle il faut se pencher.

Car si aujourd’hui la très grande majorité du cannabis disponible sur le marché noir provient de plantations illégales au Maroc, en Afghanistan, ou en Albanie, demain une légalisation de la production de la marijuana verrait fleurir une nouvelle industrie agricole dans l’UE.

C’est pour cela notamment, qu’en France, c’est Jean-Baptiste Moreau, un député d’un département rural, qui mène le combat pour la légalisation au sein du Parlement.

La culture du cannabis réclamant beaucoup moins d’eau, et rapportant financièrement beaucoup plus qu’une céréale comme le blé par exemple, pourrait voir des agriculteurs aujourd’hui en difficulté, se tourner vers cette filière plus lucrative. Aujourd’hui de plus en plus d’agriculteurs se sont déjà tournés vers la culture du chanvre, le nom commun du cannabis. Une culture légale en France, à condition que le produit fini contienne moins de 0,2% de THC , la molécule psychotrope de la plante. (cf. encadré)

Deux molécules pour deux effets différents

Le cannabis thérapeutique est à différencier du cannabis récréatif du fait de ses deux principales substances actives, le THC d’un côté, le CBD de l’autre. La molécule du THC est ainsi une molécule psychotrope qui donne la sensation euphorisante au consommateur. La molécule du CBD est quant à elle plus relaxante. C’est cette dernière que la légalisation du cannabis thérapeutique mettrait à l’honneur puisque la teneur en THC du produit mis sur le marché serait limitée légalement à des quantités bien inférieures à celles trouvées sur le marché noir. Autrement dit, une personne qui consommerait régulièrement du cannabis pour « planer » ne trouverait pas son compte dans le cannabis thérapeutique.

Selon le ministère de la Culture, en 2017 la France comptait six chanvrières, pour 1.414 producteurs, et 16.400 hectares dédiés à la culture de cette plante, essentiellement utilisée par l’industrie textile, et à laquelle on attribue également des bienfaits de biodiversité.

Compte-tenu du potentiel économique, notamment en matière d’emplois et de retombées fiscales, le gouvernement pourrait bien aider à subventionner cette nouvelle filière afin d’accélérer son développement, non sans ironie au vu de la guerre menée contre le cannabis par l’Etat Français depuis plusieurs décennies.

Robin LEGRAND