Femmes trans : mauvais genre en prison

Les femmes transgenres doivent faire face à de nombreuses difficultés en prison : placées à l’isolement, des relations tendues avec les surveillants, un accès difficile aux médecins… Un plan mené par l’administration pénitentiaire et des initiatives locales tentent désormais de rendre leur conditions de vie en prison moins compliquées.

Incarcérées dans des prisons pour hommes, les femmes transgenres emprisonnées en France doivent faire face à un vide juridique concernant leur identité. Être une personne transgenre, c’est vivre un genre différent de celui assigné à la naissance. Par exemple, un femme transgenre est une femme qui s’est vue assigner le genre masculin à la naissance, avant d’effectuer une transition de genre.

Ravani est une femme trans, quadragénaire, brésilienne. Chignon sur la tête, au coin d’une table du local de l’association Acceptess-T – qui vient en aide aux personnes transgenres – elle décrit précisément sa vie en détention. Lors de son arrivée en France en 2006, elle est travailleuse du sexe : « Pour avoir voulu aider une copine qui devait de l’argent à son proxénète, j’ai été condamnée à 9 mois de prison en 2015. Bien que je sois une femme j’ai été incarcérée dans le quartier pour hommes de Fleury-Mérogis », raconte Ravani.

 

Qui sont les femmes transgenres en prison ?

Beaucoup des femmes trans emprisonnées en France sont étrangères, et originaires d’Amérique du Sud. C’est le cas de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, observe Julia Poirier. Elle poursuit : « Il y a aussi la barrière de la langue, car tout passe par l’écrit en prison. Les femmes transgenres en détention sont aussi très pauvres et considérées comme ‘indigentes’ par l’administration : ce sont les détenus qui ne touchent aucune rémunération, ni par leurs proches ni par leur travail en prison, comme elles ont un accès difficile au travail. Elles n’ont donc pas d’argent, et l’Etat leur verse 30 euros par mois et un kit avec deux rouleaux de papier-toilettes, un savon, une brosse à dent, du dentifrice et de l’eau de javel pour nettoyer leur cellule ».

Les femmes transgenres sont beaucoup plus précaires que le reste de la population. Et c’est souvent cette précarité qui les a poussées à commettre des délits, pour financer leur traitement hormonal et leur transition. Les femmes trans en détention sont également souvent liées au travail du sexe. Le Genepi, Acceptess-T et Act Up Paris dénoncent ainsi « la loi de pénalisation des clients » des travailleuses du sexe. Une enquête de l’ONG « Médecins du monde » en 2018 explique que pénaliser les clients a dégradé les conditions de vie de 85% des travailleuses du sexe.

 

Aujourd’hui, aucune loi encadre le placement en détention des personnes transgenres, excepté depuis 2016 la mention d’état civil sur les papiers d’identité, lorsqu’elles ont pu le modifier. Les détenus doivent donc être emprisonnés en fonction de cet état civil, c’est à dire le sexe indiqué sur les papiers d’identité. « Cela arrive très régulièrement que l’administration pénitentiaire ne respecte pas cet état civil et donc la loi. Même si le changement de la mention du sexe à l’état civil a été fait, s’il n’y a pas eu de chirurgie complète, l’administration pénitentiaire se fonde sur les parties génitales pour déterminer le quartier dans lequel le détenu va être placé », avance Julia Poirier, déléguée de l’association Genepi – qui vient en aide aux détenus en prison – pour la région Île-de-France.

Pour autant, Isabelle*, qui travaille depuis de nombreuses années à l’administration pénitentiaire, précise que « les établissements doivent respecter la mention d’état civil, et ce n’est pas les prisons en tant que telles qui affectent les détenus. Elles ne décident que des quartiers ». Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), propose quant à elle que « ce ne soit plus le changement d’état civil qui occasionne l’affectation mais le début de la transformation du corps ».

 

Un plan national pour mieux prendre en charge les personnes trans en prison

 

« On ne peut pas faire de politique publique communautaire en France », regrette Isabelle*. Pour elle, « ce sont les associations et les établissements locaux qui ont pris le relais » sur ce sujet. Diane Leriche est porte-parole de l’association Acceptess-T, et elle refuse d’entendre cet argument de « politique publique communautaire ». « On ne se situe pas au niveau communautaire, mais au niveau des droits fondamentaux ! Tout ce qu’on souhaite, c’est que les droits fondamentaux, les droits humains des personnes trans soient respectés », martèle-t-elle.

Mais les choses pourraient évoluer ! Le 22 avril 2019, le JDD annonce que « l’administration pénitentiaire travaille sur une doctrine nationale de gestion des détenus transgenres ». Une information qu’Isabelle ne souhaitait ni confirmer ni infirmer. Par ailleurs, ni Acceptess-T ni le Genepi n’ont été contactés par le ministère de la Justice pour travailler sur cette question. Seule la Dilcrah travaille aujourd’hui à l’élaboration de cette « doctrine nationale » avec l’administration pénitentiaire. Diane Leriche demande « à ce que tout le monde se mette autour de la table pour en discuter. Si l’administration pénitentiaire nous appelle, nous irons sans hésiter» .

La principale règle : ne pas croiser les autres détenus

 

En détention à Fleury-Mérogis, Ravani est placée dans le « quartier spécifique », avec d’autres détenues transgenres. Impossible de connaître le nombre exact de personnes trans dans les prisons françaises : « On ne peut pas évaluer le nombre de personnes transgenres en détention », explique Isabelle. Certaines estimations évoquent 100 à 200 détenus transgenres en France, sur plus de 71 000 détenus.

 

La réforme judiciaire réduirait-elle mécaniquement le nombre de détenus trans ?

La réforme judiciaire présentée fin avril 2019 par Nicole Belloubet, garde des Sceaux, prévoit de privilégier les peines alternatives lorsque des personnes sont condamnées à de courtes peines de prisons. Les peines de moins d’un mois ne seront plus effectuées en maison d’arrêt. Cette nouvelle loi « devrait réduire drastiquement le nombre de femmes trans incarcérées, qui le sont pour la plupart pour de courtes peines », réagit Isabelle de l’administration pénitentiaire.

 

Le « quartier spécifique » de Fleury-Mérogis, situé au dernier étage d’un bâtiment de la maison d’arrêt pour hommes, abrite les femmes transgenres. Elles sont placées à l’isolement, une solution pensée par le centre pénitentiaire pour protéger les détenues trans des autres détenus.

« Je demande à un gardien si je peux m’inscrire à la chorale, il me regarde et me dit que ce n’est pas possible car je suis trans », Ravani femme transgenre ex-détenue

« Les seules activités que l’on avait c’était un atelier de peinture et un cours de français… et uniquement entre personnes trans. Une fois, j’entendais les autres détenus chanter. Je demande à un gardien si je peux m’inscrire à la chorale, il me regarde et me dit que ce n’est pas possible car je suis trans », raconte Ravani. « Elles passent leur heure de promenade quotidienne dans une salle de 15 mètres carrés au dernier étage, avec un grillage à la place du plafond. Pour l’administration pénitentiaire, il y a une règle : personne ne doit croiser les détenus transgenres », explique Julia Poirier. Ainsi, « avant d’ouvrir la porte de leur cellule et qu’elles fassent deux mètres pour aller dans la salle d’atelier, il fallait que les surveillants bloquent toutes les entrées et que tous les autres détenus soient rentrés dans leur cellule pour le pas les voir ».

Et la vie avec les surveillants pénitentiaires ne se passe pas forcément bien. Ils les « mégenrent » souvent, c’est-à-dire utiliser un pronom masculin pour une femme et inversement. Pourtant « ils sont censés être formés », affirme la déléguée du Genepi. Lorsqu’elle était en prison, Ravani était souvent humiliée par les gardiens : « Une fois, en période de fête, j’entends plusieurs gardiens fêter la nouvelle année dans le couloir. J’entends aussi des gardiens en formation. Et là, on ouvre ma cellule. Il y a une quinzaine de personnes devant moi, qui me regardent comme si c’était un spectacle ». Les gardiens l’appelaient toujours « monsieur », tout comme le médecin de la prison. Ravani, qui a besoin d’hormones et de sa trithérapie – elle est séropositive – a mis plus de six mois à obtenir ses traitements.

 

Des prisons mieux formées que d’autres

 

Il existe des centres pénitentiaires où cela se passe mieux comme à Caen. Dans la prison normande, Karine Verinière, la directrice de l’établissement, a mis en place des dispositifs pour mieux accueillir les détenues transgenres : « nouveau prénom sur la carte d’identité interne à la prison, pouvoir enfiler des vêtements féminins, et même des permissions de sortie pour une épilation définitive ou l’achat de sous-vêtements », relate un article du Journal du Dimanche du 22 avril 2019.

Le 17 mai 2019, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, le Genepi ainsi que d’autres associations venant en aide aux détenus transgenres en prison comme Acceptess-T et Act Up Paris, ont écrit une tribune relayant les volontés des femmes transgenres incarcérées à Fleury-Mérogis, dans Médiapart. Leurs principales revendications concernent, au-delà de la mise en détention correspondant au genre des détenues, « l’accès au sport, à une cour de promenade extérieure, au travail en atelier, aux mêmes cours, formations et activités que les détenus hommes, et un accès suffisant au téléphone ».

Une réinsertion compliquée

 

Une fois sortie de prison, peu de choses sont faites pour leur réinsertion. « La prison est faite pour punir et réinsérer. Mais la réinsertion est souvent oubliée pour les femmes trans », juge Diane Leriche. Lorsque Ravani sort de prison, en juillet 2016, elle se retrouve à la rue, sans rien, avec une obligation de quitter le territoire : « Personne ne m’avait préparé à la sortie. Et aujourd’hui, il y a plein de moments qui me ramènent à ma détention, dit-elle les larmes aux yeux. Quand je vais au commissariat pour mon contrôle judiciaire, c’est un policier différent à chaque fois. Et je dois raconter à nouveau mon histoire ».

*Le prénom a été modifié.
1Contacté lors de la réalisation de cet article, le syndicat des directeurs de centre pénitentiaires n’a pas répondu à nos sollicitations.

Yanis CHOUITER
@YanisChouiter sur Twitter