L’agriculture s’urbanise sans l’Europe

En France, le secteur de l’agriculture urbaine est en plein changement. La production intensive devient l’objectif de start-up déterminées à cultiver en ville. Ces nouveaux professionnels demandent de l’aide à l’Union européenne qui ne subventionne pas ce type d’agriculture. 

2020. Sur le toit du parc des Expositions de Versailles poussent fruits et légumes. La parcelle fait 14 000 m2. Une surface conséquente, auréolée du titre symbolique de « plus grande ferme urbaine du monde ». Ce projet gigantesque représente la dynamique qui touche actuellement le secteur de l’agriculture urbaine en France. Plus largement, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui définit l’agriculture urbaine comme « la culture des plantes et l’élevage des animaux à l’intérieur et aux alentours des villes », 800 millions de personnes la pratiqueraient à travers le monde.

La France, première puissance agricole européenne

Sur le territoire français, cela concernerait 1 600 personnes pour une surface totale de 47 hectares de terrains cultivés, selon les chiffres de l’AFAUP (Association française d’agriculture urbaine professionnelle), qui fédère  les acteurs de l’agriculture urbaine. Dans un an, Paris comptera 30 hectares de ce type d’agriculture selon les engagements de la mairie. Des chiffres à mettre en comparaison avec les 448 000 agriculteurs au total que compte la France, qui cultivent 48 millions d’hectares de terre. L’Hexagone est la première puissance agricole européenne.

Historiquement, l’agriculture urbaine est basée sur un modèle économique qui s’éloigne de la production intensive. « L’agriculture urbaine a huit fonctions : aménagement urbain, interactions sociales, éducation, loisirs, santé, économie, sécurité alimentaire et environnement », soutient Jeanne Crombez, responsable d’exploitation de la ferme urbaine de Gally, située à Saint-Denis (93). La jeune femme continue : « Beaucoup d’acteurs sont des structures associatives qui mettent en relation les habitants avec les agriculteurs urbains pour transmettre leur savoir faire. L’agriculture urbaine a un rôle plutôt social. » Mais, elle le sent bien, cela est en train de changer. « Certaines start-up sont là pour produire et trouver des nouvelles technologies de production », explique celle qui est aussi secrétaire générale de l’AFAUP. 

Produire des fraises dans des containers

La start-up Agricool produit des fraises en containers. L’entreprise en possède cinq à Paris et un à Dubaï pour une production annuelle de sept tonnes. Ces structures d’une trentaine de m2 permettent de faire pousser autant de fraises que sur une surface de 4000 m2 en pleine terre grâce à la technique dite de l’aéroponie. L’aéroponie est une façon de faire pousser des végétaux hors de la terre. Normalement la terre sert à nourrir la plante. En culture aéroponique l’approvisionnement en eau et en éléments nutritifs des racines est assuré par des vaporisations permanentes de solutions nutritives à base de sels minéraux. 

Les racines poussent dans le vide. Elles ne sont pas en contact avec un substrat ou un liquide. Cela laisse plus de place à l’oxygène pour circuler. Les containers, situés en ville, produisent des fraises qui sont ensuite distribuées en circuit court. Agricool est même distribué par Monoprix où une barquette de 250 grammes produite par la start-up coûte 4,50 euros. Un prix assez élevé mais comparable à celui de l’agriculture biologique. Selon l’entreprise, cette technique, sans pesticide, utilise « 90 % moins d’eau » que l’agriculture traditionnelle et « 100 % d’énergies renouvelables ». Et ça marche. En plus d’avoir levé 25 millions d’euros en décembre, Agricool, qui compte déjà 70 salariés, prévoit d’embaucher à tour de bras. « On va recruter des dizaines de ‘cooltivateurs’ (surnom donné aux employés de la start-up) par an », prévoit Guillaume Fourdinier, co-fondateur d’Agricool, au micro de France Info. L’installation de onze nouveaux containers est à l’étude.

Le secteur se professionnalise

Le développement de l’agriculture urbaine s’appuie sur l’innovation de start-up en lien direct avec le produit mais aussi grâce à de nouveaux acteurs, éloignés historiquement de l’agriculture. Ils pourraient constituer de nouvelles sources d’emploi à l’avenir. « Vinci, par exemple, développe des projets intégrant de l’agriculture urbaine (dans ses projets immobiliers, ndlr) et pourrait recruter », se projette Christine Margentic, dans des propos rapportés par le site Emploi-Environnement.com. Elle est la responsable du premier parcours universitaire spécialisé en France qui ouvrira en septembre. Le parcours « agricultures urbaines et périurbaines » de la licence pro « Métiers de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme » de Nantes a pour but de former des professionnels de l’agriculture urbaine. 

Mais les contours du secteur restent flous. La preuve, afin de mieux cerner le profil de ceux qui composent ce milieu, l’AFAUP a lancé une grande enquête sur « les nouvelles formes d’agriculture » et les personnes qui les portent. Le but ? Mieux connaître les innovations de ce secteur pour les faire reconnaître « auprès des services de l’État, des assureurs, des urbanistes, de l’Europe ». 

Pas un centime de l’Europe pour les agriculteurs urbains

Car ces porteurs de projets ont du mal à se faire subventionner contrairement aux agriculteurs traditionnels. « Ici, à la ferme de Gally, nous sommes financés par le privé. Nous avons eu des aides à l’investissement mais pas au fonctionnement, de la région Ile-de-France et de la chambre d’agriculture », calcule Jeanne Crombez.

 

 

Ces agriculteurs urbains ne touchent pas d’aides de l’Union européenne. Pourtant l’agriculture est le premier grand amour de l’Europe. En 1962, la Politique agricole commune (PAC) devient la première politique de la très jeune Union européenne, créée en 1958. La PAC reste le pilier principal de l’UE. Pour l’exercice 2014-2020, 362,8 milliards d’euros ont été alloués au financement des agriculteurs, soit un peu moins de 40% du budget de l’UE. La volonté de l’Europe est de rediriger sa politique agricole vers un système de production plus durable. Pourquoi les agriculteurs urbains, fer de lance d’une agriculture plus écologique ne pourraient pas bénéficier de ces larges subventions ?

L’Union européenne reconnaît bien le statut d’agriculteur pour les fermes urbaines historiques comme la ferme de Gally. Le problème se situe ailleurs. « Nos parcelles sont trop petites pour que l’on puisse recevoir des aides de la PAC. La taille des parcelles est un souci pour les agriculteurs urbains », explique Jeanne Crombez, responsable d’exploitation de cette ferme de Saint-Denis. Mais il n’y a pas que la taille qui compte. Les cultivateurs innovants ne sont pas reconnus comme agriculteurs et ne sont pas subventionnés.

Théo Champagnat, co-fondateur de Cycloponic, une start-up qui fait pousser des champignons hors-sol dans un sous-sol parisien, assure pourtant qu’il a démarché les autorités européennes pour obtenir des subventions. Sans succès : « Nous avons fait une demande de subventions pour acheter du matériel. Sans réponse ». Même son de cloche dans la start-up FarmBox qui vend des containers à installer en ville pour faire pousser des fruits et légumes en aéroponie comme Agricool.

« Nous ne sommes pas pour l’agriculture artificielle »

Fabien Persico, à l’origine de Farm Box, pointe du doigt le problème : « Je ne suis pas considéré comme agriculteur et je n’ai pas accès à la PAC. Je n’ai eu aucune aide de l’Union européenne pour l’instant. » Du côté de Cultures en ville et d’Agripolis, les porteurs de projet de la future « plus grande ferme urbaine  du monde » située à Versailles, on assure « travailler en ce moment à essayer de recevoir des aides de l’Union européenne ». 

En 2020, la Politique agricole commune de l’Union européenne doit être renégociée. Une échéance qui semble trop courte pour laisser le temps à ces nouvelles formes d’agriculture d’intégrer le débat public. Pour le lobby « Pour une autre PAC », qui milite pour que la PAC subventionne une agriculture plus écologique, la reconnaissance du statut d’agriculteur urbain n’est pas à l’ordre du jour. Jacques Morineau, son président : « A ce jour, il n’a jamais été question de l’agriculture urbaine au sein de la PAC. Ce n’est absolument pas une priorité ». De plus, il ne souhaite pas que l’Europe subventionne les techniques d’agriculture hors-sol comme l’aéroponie. « Nous ne sommes pas pour l’agriculture artificielle », conclut le lobbyiste. L’agriculture urbaine pourrait, selon certaines études scientifiques, nourrir jusqu’à 10% de la planète. Un chiffre conséquent qui pose la question de la légitimité de cette politique européenne.

Martin FORT