Le diplôme est prestigieux, mais entre le monde académique et le monde du travail, il y a un fossé pour les docteurs fraîchement diplômés. Malgré un haut niveau d’études, tous ne parviennent pas à occuper l’emploi rêvé.
« Fais des études et tu pourras faire ce que tu veux. » Cette phrase, beaucoup l’ont entendu enfant. Derrière elle se cache en réalité l’idée que plus les études sont longues, plus on a de chance d’avoir le métier de ses rêves. Alors en théorie, à bac +8, tout devrait aller pour le mieux. Pourtant, la réalité est tout autre.
« L’après-thèse ? Je préfère ne même pas y penser. » Pour Lucie*, étudiante en quatrième année de thèse en géologie, l’avenir professionnel est un « stress permanent ». Entre le rendu du manuscrit, la galère financière quand on n’est pas financé et la crise des débouchés dans son milieu, difficile d’y voir clair. Pourtant, Lucie s’imaginait bien faire de la recherche au début de sa thèse.
« Pourquoi j’ai fait une thèse ? Parce qu’être docteur, c’est la classe ! », s’exclame Sacha, en quatrième de doctorat en droit constitutionnel. Si le diplôme reste synonyme d’excellence, ceux qui décident de pousser jusqu’à bac+8 semblent plus le faire par amour de la recherche que par stratégie professionnelle.
« En recherche, il y a beaucoup trop de candidatures pour un seul poste, et souvent, le piston joue »
A l’origine, le doctorat sert à préparer une carrière dans la recherche. Après la soutenance, les diplômés partent en quête d’un “post-doc” – un contrat à durée déterminée dans un laboratoire de recherche – pour ensuite postuler à des postes de maître de conférence. Mais en France, le parcours est semé d’embûches. « En recherche, il y a beaucoup trop de candidatures pour un seul poste, et souvent, le piston joue », regrette Sacha.
Pourtant, trois ans après, près de la moitié des diplômés exercent hors secteur académique, comme le note un rapport sur l’insertion professionnelle des doctorants publié en décembre 2017 par le ministère. Preuve en est que le doctorat ne mène pas qu’à la recherche.
Le privé convoite les docteurs
Si l’accès à des postes en recherche publique est plus difficile que par le passé, une porte de sortie est envisageable dans le secteur privé. Pourtant, docteurs comme recruteurs ne sont pas toujours au fait des possibilités qui s’offrent à eux.
« La démarche scientifique qui est adoptée dans la recherche peut être utilisée dans bien d’autres domaines. »
Amandine Bugnicourt, docteure en biologie, s’est rapidement rendu compte du malentendu qui peut exister entre docteurs et employeurs. En 2008, elle fonde ainsi Adoc Talent Management, une entreprise qui se charge de faire le lien entre les deux parties. « Contrairement aux ingénieurs, les docteurs ne sont pas des profils faciles à trouver, car chacun est unique. Si on veut un ingénieur, on va à la sortie d’une école et on sait qui on va trouver. Ce n’est pas le cas avec les docteurs qui ont tous travaillé sur des sujets différents. »
La PDG de l’entreprise est formelle : il y a toujours du travail pour quiconque a un bac+8, quel que soit le domaine étudié. « La démarche scientifique qui est adoptée dans la recherche peut être utilisée dans bien d’autres domaines : les docteurs en histoire ou en littérature peuvent très bien se réorienter dans la production culturelle par exemple, où ils seront en charge de rédiger des synthèses. »
Des entreprises comme Merck, EDF ou même des start-ups sont clientes de l’entreprise d’Amandine Bugnicourt. Plus encore, ce sont les entreprises du conseil qui, selon la chef d’entreprise, sont les plus friandes de profils bac+8. « Le conseil au client ressemble à la démarche scientifique de la recherche : il faut identifier un problème avant de proposer des solutions. »
Des débouchés donc, mais qui ne sont pas toujours parvenus aux oreilles des principaux concernés. Ainsi, Sacha espère surtout pouvoir passer les concours administratifs ou le barreau après sa thèse en droit constitutionnel ; Lucie quant à elle pense plutôt à se réorienter vers des postes d’ingénieur, quel que soit le domaine, ou à aller vers l’informatique, qui recrute beaucoup de profils scientifiques.
« Les entreprises ont besoin de personnes qui savent innover »
Pourtant, selon Amandine Bugnicourt, la tendance est à l’embauche de profils hautement qualifiés. « C’est lié à la transformation du monde du travail : la transition numérique, les questions autour de l’environnement, de la façon de travailler. On est dans une période où les entreprises se remodèlent, et elles ont besoin pour cela de personnes qui savent innover, et qui vont venir apporter une culture du questionnement. »
Toujours est-il que, quand un docteur a travaillé pendant trois ans voire plus sur un sujet qui le passionne, dénicher un emploi dans le conseil ne fait pas toujours rêver. Lucie étudie par exemple le climat sur l’île de Kerguelen. Un sujet qui n’a pas d’application sur le monde actuel, mais qui contribue à l’enrichissement des connaissances. Elle a bien conscience du fait que « ça ne sert à rien », mais elle trouve cela épanouissant. Ses idées de carrière future relèvent plus du pragmatisme que du bonheur professionnel. « Ce sont des métiers qui paient bien, et à bac+8 c’est quand même ça qu’on attend », confie-t-elle, réaliste.
Les femmes toujours moins bien loties
Les chiffres sont formels : une femme docteure gagne moins bien sa vie, a un taux d’emploi plus faible et est moins facilement embauchée avec un statut cadre qu’un homme.
Un constat qui n’est pas sans rapport avec la difficulté pour les femmes de lier carrière professionnelle et vie personnelle. En moyenne, les doctorants finissent leur thèse à 31 ans : pour les femmes qui choisissent d’avoir des enfants, il faut parfois faire des choix. texte
Les thèses CIFRE : un confort supplémentaire
Certains doctorants ont su trouver le bon filon avec la thèse CIFRE (convention industrielle de formation par la recherche). En 2017, 1 433 doctorants ont bénéficié d’un tel contrat, soit environ 10% de tous les nouveaux doctorants. Le dispositif permet aux thésards d’être à mi-chemin entre la recherche et le monde de l’entreprise. Il assure également une stabilité financière, puisque l’entreprise qui embauche le doctorant lui verse un salaire. La CIFRE, qui existe depuis une trentaine d’années, a tout de même été majoritairement utilisée par de grosses entreprises, et pour des thèses en sciences dures et expérimentales.
Les collectivités au service des doctorants
Aujourd’hui, HESAM Université, une université fédérale qui rassemble plus d’une quinzaine d’établissements de l’enseignement supérieur français, entend bien faire changer les choses avec le projet “1 000 doctorants pour les territoires”. Son président, parti du constat que les collectivités territoriales ne se saisissaient que très peu du dispositif CIFRE, a monté un projet de liaison entre acteurs publics territoriaux, directeurs de thèse et futurs doctorants en sciences humaines et sociales (SHS).
« Pour beaucoup de collectivités, c’est une manière de […] faire revenir les enfants qu’elles ont formé sur le territoire. »
Jordana A. Harriss, chargée du projet, explique le principe : « il y a une plateforme sur internet, où les étudiants peuvent déposer une annonce avec leur projet de thèse ; mais il est aussi possible que ce soient les agents qui proposent un contrat ». Elle ajoute : « pour beaucoup de collectivités qui se sentent isolées, c’est une manière d’être financé par l’Etat, mais aussi de faire revenir les enfants qu’elles ont formé sur le territoire. Dans un contexte de montée en capacité et en compétence des collectivités, c’est une aide précieuse. » Le dispositif est donnant-donnant : le doctorant a conscience de la portée de son travail dès la première année de sa thèse.
Parmi les sujets de thèse du dispositif lancé en février : la rénovation du bâti en milieu rural ou encore l’écologie politique à Martigues et son influence sur l’aménagement urbain. Des cas très concrets, qui offrent des possibilités d’emploi par la suite pour les doctorants, forts d’une expérience de terrain sur trois années.
Surtout, les thèses CIFRE offrent une garantie supplémentaire de travailler dans le secteur voulu. Ainsi, une enquête du ministère montre qu’en 2015, 27% des anciens doctorants en CIFRE voyaient leur contrat prolongé après la fin de leur thèse.
Une ombre au tableau, toutefois : ces thèses doivent avoir des applications très concrètes, et ne sont donc pas ouvertes à tous les domaines de la recherche. Il est ainsi bien plus simple d’obtenir un contrat CIFRE en sciences expérimentales qu’en histoire ou en littérature.
Un taux d’emploi pas bien plus élevé que les bac+5
En France, faire une thèse n’est pas forcément un pari gagnant. Le système de valorisation des grandes écoles engendre une survalorisation des profils bac+5 diplômés de ces établissements. Résultat : le taux d’emploi des doctorants n’est plus élevé que de deux points par rapport aux détenteurs d’un master – 90% contre 88%. Dans l’Union Européenne, cet écart grimpe à 4,4 points.texte
*Le prénom a été modifié.
MATHILDE BRUGNIERE